Nouveaux réalistes

La ville tient l’affiche

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2014 - 701 mots

Dans un espace-ville, le Musée Tinguely déploie la radicalité des premières années des affichistes, où collages, décollages et affiches lacérées se transforment en figures ou en signes déroutants.

BÂLE (SUISSE) - Un titre n’est jamais innocent. Choisir, pour la récente manifestation bâloise l’appellation « Affichistes » résume bien la volonté de mettre en évidence la vision commune de ces artistes, exposés le plus souvent avec les Nouveaux Réalistes. Certes, Raymond Hains, Jacques Villeglé, François Dufrêne mais aussi Mimmo Rotella, partagent avec les autres créateurs fédérés par Pierre Restany la fameuse « aventure de l’objet ». Mais, ils ont peu en commun avec les techniques employées par Arman, Yves Klein, César ou Daniel Spoerri.

Qui plus est, leur pratique, qui fait appel aux affiches lacérées, est nettement antérieure à la formation des Nouveaux Réalistes (1960). De fait, Hains et Villeglé ont commencé à rassembler des affiches déchirées dès 1949. Ils récoltent leurs œuvres dans la ville et s’attachent à la mémoire non dénuée d’une certaine nostalgie, à l’importance de « l’archéologie du présent » (Hains parle même de « rapt archéologique). En 1957, ils présentent leurs travaux, avec Dufrêne, à la galerie Colette Allendy, qui accueillera un peu plus tard Klein et Arman. Ainsi, l’exposition démarre sur une œuvre historique, considérée comme le premier décollage, faite à quatre mains par Hains et Villeglé, Ach Alma Manetro (1949). Le parcours fait penser à une ville, ses rues et ses passages, tant les œuvres reflètent un monde contemporain, urbain et industriel avec lequel les artistes sont en phase. À leur façon, en faisant des prélèvements sur les desquamations des façades et des panneaux d’affichages, ils produisent souvent des œuvres de taille monumentale, une reconstitution des palissades qui parcourent la ville (voire l’imposant Tapis Maillot 1, 1959 de Villeglé de 118/490 cm).

Relevant avant tout de la technique du collage pictural, ces vastes panneaux sont comme des installations virtuelles qui importent l’espace de la réalité quotidienne. Leur démarche, perçue comme plus sophistiquée que celle du pop art, consisterait en un archivage de fragments choisis pour leur caractère particulier, souvent souligné par un titre métaphorique.

S’approprier la poésie urbaine
Le mérite de la présentation, outre un accrochage très soigné, est d’articuler la production plastique des affichistes selon des thèmes différents. Même s’il s’agit d’une vision d’après-coup car rien ne garantit que les artistes envisageaient leur travail en ces termes, les sections proposées ici (politique, processus, lettrisme, abstraction ou pop) sont éclairantes. C’est probablement la salle consacrée à l’abstraction qui est la plus réussie, car elle permet de voir toute la mémoire fragmentée de la matière, travaillée par des grattages, des coupes, des couches superposées. À la différence de la peinture, ces palimpsestes palpables ne se limitent pas à la visualité et s’adressent autant au doigt qu’à l’œil. Parmi les œuvres, ce sont celles de Dufrêne qui offrent les effets plastiques les plus étonnants. Contrairement à ses amis, qui s’interdisent de modifier les lacérations des affiches, Dufrêne travaille toujours par grattages ses trouvailles de passant de Paris. « C’est moi qui gratte, écrit-il, pour révéler, d’une certaine épaisseur d’affiches, une couche privilégiée qui recueillit la naturelle empreinte de sa voisine du dessous. J’interviens, par décollages successifs, à un, deux, trois ou quatre étages. ». Livrée de la nuit (la tapisserie), 1961 est un parfait exemple d’une autre façon de faire la peinture, d’organiser des formes, des couleurs et des matières que rien ne destinait à coexister dans un espace donné. Ailleurs, ce sont les lettres, les inscriptions qui attirent l’attention sur l’aspect sémantique de ces travaux qui s’inscrivent dans l’actualité, qu’il s’agisse de la guerre d’Algérie ou de revendications sociales (Raymond Hains, Pour la Paix, la Démocratie, le Progrès social I, 1962). Contestataire également, Wolf Vostell, lui, pratique le « Dé-coll/age » en 1958 et l’infléchit vers le happening.

Enfin, c’est l’artiste italien Mimmo Rotella qui, en utilisant parfois les mêmes images médiatiques que les artistes américains, crée une version européenne du pop art (Marilyn I, 1963-64). Une œuvre symbolique car, si les affichistes, comme l’ensemble des Nouveaux Réalistes, ont fait leur place dans le récit de l’histoire de l’art, le pop art, lui, est entré dans la légende.

Les affichistes

Commissaire : Roland Wetzel
Nombre d’œuvres : 100

La poésie de la métropole, les affichistes

Jusqu’au 11 janvier 2015, Musée Tinguely, Paul Sacher-Anlage 1, Bâle (Suisse), tél. 41 (0) 61 681 93 20, www.tinguely.ch, mardi-dimanche, 11h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°424 du 28 novembre 2014, avec le titre suivant : La ville tient l’affiche

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