École d'art

À Strasbourg, la HEAR croise les pratiques

Par Geneviève Gallot · Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2022 - 1000 mots

STRASBOURG

Alors que la Haute école des arts du Rhin (HEAR) s’engage dans une nouvelle étape avec l’extension de son site strasbourgeois à la Manufacture des tabacs, les étudiants continuent à innover.

Projet de réhabilitation de la Manufacture des Tabacs de Strasbourg, Atelier d’architecture Philippe Prost (APP). © Image Vurpas Architectes
Projet de réhabilitation de la Manufacture des Tabacs de Strasbourg, Atelier d’architecture Philippe Prost (APP).
© Image Vurpas Architectes

Mulhouse et Strasbourg. À l’occasion du dernier jour de son exposition « Der Grosse Spieler : ein Bild der Zeit - Le Joueur : une image de notre temps », présentée à la Chaufferie et à l’Aubette, à Strasbourg, le « plastimusicien » Michel Aubry proposait, le 4 décembre dernier, son film Rodtchenko à Paris avec la participation d’étudiants musiciens. Un ciné-concert suivi d’une soirée roulette, billard, échecs… Diplômé des Arts déco de Strasbourg, passionné par le bois, le son et leur fabrication, l’artiste protéiforme fut un pionnier de ces « circulations » que la HEAR favorise depuis 2011.

10 ans déjà ! Cette école est née d’un regroupement inédit tant disciplinaire que territorial : l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, l’École supérieure d’art de Mulhouse – nommée Le Quai – et les enseignements supérieurs de musique du Conservatoire de Strasbourg sont réunis dans un seul établissement réparti sur trois sites, entre Mulhouse et Strasbourg. Aujourd’hui, la HEAR propose à environ sept cents étudiants une vingtaine de diplômes et formations allant de la peinture au design ou à la didactique visuelle, du trombone à la musique de chambre ou à la création électro-acoustique. Et un important chantier s’ouvre qui doit permettre à la HEAR, à compter de la rentrée 2023, d’étendre une partie de ses locaux (plateau scénique, ateliers vidéo, son, cinéma d’animation, studios de musique…) au sein de la Manufacture des tabacs de Strasbourg située à quelques mètres du bâtiment historique des Arts déco.

Outre un regroupement géographique de ses activités pédagogiques, la HEAR y bénéficiera du voisinage de deux écoles d’ingénieurs – l’École nationale du génie de l’eau et de l’environnement et l’École et observatoire des sciences de la terre –, d’une bibliothèque partagée, d’un incubateur, d’une auberge de jeunesse et d’un bar-restaurant, épicerie biologique… Une configuration porteuse de nouveaux croisements et fécondations mutuelles. « Après dix ans d’activité, ce vaste projet urbain vient comme un parachèvement de la HEAR ! », souligne David Cascaro, directeur de l’établissement.

« Écologie acoustique »

Plusieurs itinéraires témoignent du socle solide d’expériences pluridisciplinaires que la HEAR entretient et enrichit. Ainsi, Stéphane Clor, 34 ans, artiste pluriel, diplômé de l’Académie supérieure de musique de Strasbourg-HEAR et de l’université des arts appliqués de Vienne (Allemagne), conjugue son et espace dans sa pratique. « J’ai exploré les champs de l’inaudible dans des installations vibratoires, expérimenté la restructuration de l’espace par l’imperceptible grâce à des fils transparents tendus dans l’espace ; je m’interroge sur les limites : celle de la perception d’un son, celle du temps que je cherche à étirer sur une échelle nouvelle, beaucoup plus ample. » Avec son groupe Nuits, et tout en reconnaissant la difficulté d’un art hybride, l’artiste travaille à la création d’Aposiopèse à partir du paysage sonore du marais poitevin. La pièce, s’appuyant sur l’idée d’« écologie acoustique », au sens de la relation des êtres humains avec leur environnement à travers le spectre du son, conjuguera, dans une mise en espace, violoncelle, accordéon, batterie, dispositif électronique, phonographie, enregistrements sonores d’oiseaux, du vent, de l’activité humaine…

L’art, la nature et les territoires

Loïse Doyen, 22 ans, étudiante de 4e année, développe une vision également transversale au sein de « Parcours nomade », programme entre art et design, lié aux enjeux de la transition socio-écologique et privilégiant trois axes : le vivant, l’autre, le territoire. Installée sur le site de Mulhouse, l’artiste pratique la peinture sur divers supports, trampolines ou brouettes, et crée des petites pièces de maroquinerie avec des peaux de poisson. « Passionnée par la pêche depuis mon enfance, j’ai décidé de pêcher des dorades, perches ou roussettes, de les manger, de récupérer leur peau, de la plonger dans des bains de sel d’alun pendant sept jours pour la rendre imputrescible, puis de la tanner. Parfois, je récupère des peaux de thons ou de saumons considérées comme des déchets par les poissonniers, restaurateurs ou criées. Avec un maroquinier, je donne ensuite forme à des bijoux. »

Nées de l’attention aux territoires, des initiatives innovantes peuvent aussi émerger à la croisée de l’animal et du végétal comme ce projet consacré à la revalorisation de la filière laine en France que la HEAR conduit avec le parc naturel du Haut-Languedoc. « Avec l’apparition des fibres pétrochimiques dans les années 1950, la filière lainière française s’est effondrée », rappelle Florence Wuillai, 25 ans, designer textile, diplômée de la HEAR. « Désormais la laine issue de la tonte est largement considérée comme un déchet et exportée à 80 % vers la Chine. Des actions nouvelles prennent heureusement corps pour la renaissance de la filière ; la laine est une matière magnifique, écologique, avec un énorme potentiel. Et le cheptel français compte plus de 7 millions de moutons ! » Travaillant sur le feutre de laine, matière jugée généralement rustique, la designer parvient à mettre au point un fil très résistant avec trois laines différentes issues de brebis de Bretagne, des Alpes et des Vosges. « Pour moi, l’essentiel est de travailler aussi bien avec les bergers qu’avec les artisans et les ingénieurs. »

Rose Ekwé, 28 ans, designer textile et tisserande, formée d’abord à l’École Duperré à Paris, puis diplômée de la HEAR en design textile, actuellement résidente aux Ateliers de Paris, a toujours considéré le champ du textile comme « le plus immense pour expérimenter. À partir d’un fil, on peut créer de la matière. Or on peut faire un fil avec tout ! Le plus passionnant est de faire du textile avec ce qui n’est pas du tout textile. » À la recherche de nouvelles matières durables et désirables, la designer s’empare de biomatériaux et, en collaborant avec des ingénieurs, invente les « Gélotextiles », biodégradables et compostables, tissés avec des fils fabriqués à partir d’algues brunes mélangées à des fils de lin ou de chanvre. « Il y a là, me semble-t-il, un choc intéressant de temporalités, de textures, de matières… » Susceptibles de nombreuses applications, ces matières ont déjà éveillé l’intérêt de grandes marques automobiles et cosmétiques.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°580 du 7 janvier 2022, avec le titre suivant : À Strasbourg, la HEAR croise les pratiques

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