Paroles d’artistes

Michel Aubry, sculpteur : « L’expérience de la mise en musique est fondamentale »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2013 - 697 mots

À Ivry-sur-Seine, le Crédac accueille Michel Aubry et ses « Mises en musique » de morceaux de l’architecture Constructiviste.

Au Crédac, à Ivry-sur-Seine, Michel Aubry réactive ses Mises en musique de morceaux de l’architecture constructiviste: Le Club ouvrier d’Alexandre Rodtchenko, ainsi que le Pavillon de l’URSS et le Kiosque de Melnikov conçus pour l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris de 1925.

Qu’est-ce qui initialement vous a fait vous intéresser à la représentation soviétique lors de cette exposition de 1925? De la documentation, un espace nostalgique, la propagande attachée à tout cela…?
Mon intérêt pour ce moment de présentation des architectures soviétiques ou des objets constructivistes ne date pas de cette exposition puisque c’est un travail que j’ai entamé depuis une vingtaine d’années, mais c’était là l’occasion de resituer plusieurs objets qui avaient toujours été montrés séparément. Tout est finalement parti d’une fiction quand, à partir des lettres expédiées à sa femme depuis Paris par Rodtchenko, j’ai commencé à reconstruire des environnements qui intervenaient dans mes propres expositions. Le principe de mon film Rodtchenko à Paris (2003-2007) est devenu un principe de montage d’exposition, d’invention ou de relecture de certains objets qui sont parfois devenus des reconstructions, reconstitutions et mises en musique. Pour attaquer ce grand projet j’ai avancé en prenant d’abord le Club ouvrier comme alibi. Puis ce fut ce Pavillon de l’URSS de Melnikov, un endroit où l’on vendait tous ces objets de l’URSS qui n’étaient en fait pas nouveaux, mais au contraire assez anciens, comme des tapis ou de la porcelaine.

Vous avez transformé ces reconstitutions architecturales en instruments de musique, en y insérant des roseaux notamment. Comment avez-vous effectué ce saut vers la «mise en musique» et quelle finalité tirez-vous de cette expérience?
L’expérience de la mise en musique est fondamentale. Il s’agissait là d’un moment de réflexion sur la manière dont le club ouvrier et l’anamorphose qu’il a subie sur la photo qui le documente pouvaient finalement se rencontrer. Ce sont des choses qui m’intéressent beaucoup, notamment la manière dont les proportions des sons peuvent peut-être induire de nouvelles fonctionnalités pour les meubles, et en tout cas des distorsions très importantes. Car le club se voulait comme un lieu d’égalité et dans mon installation certains meubles, comme les chaises, sont des objets très dissonants, de tailles toujours inégales; ce qui fait qu’on se retrouve dans une position de supériorité ou de domination tout à fait différente de ce qui était voulu dans l’idée égalitaire du club par exemple. Ce double jeu de la contraction de certains meubles montre qu’à un certain moment, le club ou les autres objets du constructivisme mis en musique, comme le Pavillon de Melnikov, font partie d’un monde complètement mouvant, il n’y a pas de repères finalement. La musique peut réduire quelque chose, l’augmenter et le distordre.

La distorsion est évidemment frappante face aux jeux d’échelles, d’évaluation ou de dévaluation. Est-elle aussi une manière de pointer la distance qui a pu exister entre le projet lui-même et les conditions réelles de sa production?

Oui c’est exactement là que ça se passe, en tout cas dans cette exposition. C’est-à-dire qu’il y a ce moment où le kiosque est un peu grinçant et avec lui-même et avec sa conception. Mais il y a aussi le moment où le pavillon, qui aurait pu être un projet emblématique avec des matériaux nouveaux, est construit par les charpentiers de Paris. On se retrouve donc avec un objet tout à fait constructiviste dans sa conception, alors que dans sa réalisation c’est une grande grange de bois. Et puis le club ouvrier qui aurait dû être présent dans les usines est finalement un objet de foire puisque lorsqu’il est présenté à l’Exposition de 1925, retentit déjà le chant du cygne de tous ces mouvements en URSS. Il y a donc en effet quelque chose de vraiment étonnant : le club n’est pas dans une usine mais dans une foire, le kiosque ne présente pas d’objets constructivistes mais des tapis, et le Pavillon n’est pas une architecture de verre et de métal à l’image de ce qu’aurait pu être la tour de Tatline de 300 mètres de haut, mais c’est un objet en bois démontable.

MICHEL AUBRY. THE SEARCHERS

jusqu’au 15 décembre, Centre d’art contemporain d’Ivry – Le Crédac, La Manufacture des œillets, 25-29, rue Raspail, 94200 Ivry-sur-Seine, tél. 01.49.60.25.06, www.credac.fr, tlj sauf lundi 14h-18h, samedi-dimanche 14h-19h.
Michel Aubry expose également à la galerie ”ŽEva Meyer, à Paris, jusqu’au 14 décembre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°400 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Michel Aubry, sculpteur : « L’expérience de la mise en musique est fondamentale »

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