École d'art

Prépas aux écoles d’art une année en immersion

Par Mathieu Oui · L'ŒIL

Le 21 novembre 2018 - 1939 mots

PARIS

Durant l’année de préparation aux écoles d’art, les candidats sont encouragés à se constituer un dossier artistique, à nourrir leur culture et à défendre leurs choix. Avec les concours en ligne de mire.

Ecole Prepa Beaux Arts Marseille
Ecole Prépa des Beaux Arts de Marseille
© ESADMM

Dix heures du matin en ce mardi 16 octobre, un grand bâtiment moderne à Saint-Ouen dans le nord de Paris, non loin du marché aux puces. C’est dans ce vaste espace lumineux en rez-de-chaussée que les étudiants de la promotion Civetta de la Via Ferrata, la prépa de l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) de Paris, passent la plupart de leur temps. Morceaux de bois en attente d’être sculptés, mobile suspendu déployant des tirages sur film plastique, affiches et dessins aux murs, grandes tables encombrées d’ordinateurs et de matériels divers… : il règne ici un désordre de bon aloi. Des jeunes avec un mug fumant à la main ont le visage encore un peu ensommeillé. Michaël Jourdet, l’enseignant, tente de les réveiller en faisant l’appel. Pour ce jour de rendu de l’atelier de pratique artistique, les absents sont nombreux. Sur les vingt-cinq inscrits, une dizaine ne sont pas là. L’une des élèves s’est fait excuser pour son retard : elle « finit ses courses de matériel au magasin de bricolage ». Après seulement quelques semaines de cours, la pression monte d’un cran. Dans deux jours aura lieu le premier oral blanc, simulant l’entretien du concours face à un jury d’enseignants. « Nous allons évaluer leur façon de sélectionner et de présenter leurs travaux : comment ils expliquent leur production ou quels sont les artistes qu’ils donnent en référence », explique Michaël.

La pratique artistique au cœur

Pour l’heure, place à l’exercice de rendu. À tour de rôle, chacun doit présenter pendant cinq minutes une dizaine de visuels autour de la notion de protocole. Kim, 17 ans, a choisi une technique de tirage photographique à base d’un procédé chimique, la chromoskedasic. Le professeur souligne l’intérêt de ce procédé pour son rendu aléatoire, mais il remarque que la jeune étudiante a déjà utilisé cette méthode pour un précédent exercice autour du thème du rebond. « Attention à ne pas t’enfermer dans ton domaine, conseille Michaël. Pour enrichir ta pratique, il faut que tu t’aventures vers un terrain moins confortable comme la performance ou la vidéo. »Occupant trois jours de la semaine, les ateliers de pratique artistique (dessin, peinture, sculpture, volume, photo, vidéo, etc.) constituent un élément central de l’enseignement à la Via Ferrata. À travers la multitude de productions réalisées au cours du premier semestre, il s’agit à la fois de se familiariser avec la pratique artistique et, très concrètement, de se constituer un dossier artistique. Celui-ci sera présenté lors des concours d’entrée aux écoles d’art. L’objectif est qu’il soit à la fois le plus riche possible et le mieux à même de refléter la créativité de son auteur, sa personnalité. « En arrivant ici, nous nous attendions tous à suivre des ateliers de peinture ou de sculpture, témoigne Maïlys, 18 ans. En fait, les enseignants ne nous apportent pas de technique, nous sommes très libres. » « La technique arrivera plus tard, quand nous serons à l’école », renchérit Marc-Aurèle, 20 ans.

Certes, les étudiants sont libres de produire ce qu’ils veulent, mais ils doivent toujours s’efforcer de donner du sens, d’expliquer leur démarche. Lors de la présentation des rendus, chacun est d’ailleurs encouragé à poser des questions ou à donner son avis sur la production des autres élèves, tant sur le fond que sur la forme. « Il y a beaucoup d’entraide entre nous, souligne Marc-Aurèle. On se montre nos travaux et on se conseille les uns les autres ; on se donne des références. »

Un programme complet

En complément des ateliers de pratiques artistiques, l’enseignement à la Via Ferrata comprend des cours d’histoire de l’art, de dessin d’après modèle vivant, d’initiation au traitement numérique et aux techniques de publication, du multiple, de l’édition et du livre d’artistes. Au total, les étudiants ont 35 heures hebdomadaires de cours. La plupart des classes prépas fonctionnent sur cette alternance entre enseignement pratique et apport théorique, avec aussi des travaux collectifs et des séances de workshop, des semaines dédiées à un thème ou à une réalisation. Certains établissements sont un peu plus orientés vers les arts appliqués ou le graphisme, ou mettent en valeur certains matériaux, comme à Beauvais (textile, matériaux souples et céramique). De nombreuses activités complémentaires sont généralement proposées par les prépas, telles que des visites d’expositions ou d’ateliers d’artistes, voire des stages. Sur le blog de la prépa des Beaux-Arts de Marseille, les élèves peuvent diffuser des images des visites d’expositions et des workshops thématiques auxquels ils participent.

Un an de maturation

L’autre intérêt de cette année préparatoire est de permettre de vérifier que l’on est bien fait pour ces études artistiques et d’affiner son projet. À travers les discussions avec les enseignants, les contacts avec les anciens ou les visites d’écoles, chacun va aussi pouvoir cibler l’établissement qui correspond le mieux à son profil et à son envie. « La plupart de nos profs sont soit enseignant en école d’art soit d’anciens diplômés. Ils peuvent donc nous expliquer le mode de fonctionnement de leur établissement », remarque Élisabeth Banom, ancienne préparationnaire et aujourd’hui en troisième année à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy.

Côtoyer ces enseignants tous les jours permet de recueillir des informations précieuses sur les spécificités de telle ou telle école. « L’autonomie requise dans une école comme celle de Cergy est très supérieure à celle demandée en première année aux Beaux-Arts de Lyon par exemple », constate Emmanuel Hermange, directeur de la prépa d’Issy-les Moulineaux Les Arcades. « Si un jeune est plutôt d’un caractère réservé, le choix d’une petite école lui permettra d’avoir une meilleure impulsion », ajoute Michaël Jourdet. Les anciens élèves des prépas sont aussi régulièrement sollicités pour conseiller les nouveaux, répondre à leurs questions, voire les héberger lors des concours. Chaque année, par exemple, Les Arcades organise une journée des anciens durant laquelle ces derniers sont invités à venir présenter leur parcours et leur école. Il arrive aussi que certains se rendent compte qu’ils font fausse route et préfèrent abandonner au bout de quelques mois ou se réorienter. « Chaque année, nous avons des élèves qui se découvrent un profil plus orienté en arts appliqués, par exemple l’animation ou le graphisme. D’autres se réorientent vers des études plus théoriques comme l’histoire de l’art », observe Nicolas Pilard, coordinateur et enseignant à l’École supérieure d’art et de design Marseille-Méditerranée (ESADMM).

Pression à l’entrée

L’existence des prépas répond à la forte sélection qui s’exerce à l’entrée des écoles d’art. En 2018, ils étaient ainsi 2 135 inscrits à concourir à l’entrée de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs (ENSAD) de Paris pour 74 admis, soit un taux de sélection de 3,4 %. Certes, toutes les écoles n’affichent pas la même sélectivité mais, compte tenu de la forte demande, les classes prépas artistiques ont de beaux jours devant elles. « Sur les quelque 2 000 nouveaux inscrits chaque année dans les écoles supérieures d’art, les prépas publiques en forment 550 », estime Emmanuel Hermange, qui dirige l’association des prépas publiques. Une estimation qui explique la part importante du secteur privé. Pour répondre à la demande, de nouvelles créations de classes publiques sont annoncées. C’est ainsi que l’École des beaux-arts de Nantes Saint-Nazaire doit ouvrir, à la rentrée 2019, une classe préparatoire d’une soixantaine de places sur le site de Saint-Nazaire. Elle devrait accueillir des étudiants nationaux et internationaux qui suivront 30 heures de cours hebdomadaires, dont des cours de langue (anglais pour les nationaux, français pour les internationaux).

De son côté, l’école municipale d’arts plastiques de Vitry envisage également d’ouvrir à la rentrée prochaine une formation préparatoire pour 12 à 15 élèves. « L’école d’art dispose d’un contexte artistique riche avec la présence sur notre ville du MAC VAL et de la galerie municipale Jean Collet », explique la directrice Élisabeth Milon. Cette prépa au tarif accessible devrait permettre de répondre aux besoins de formation des jeunes issus de milieux populaires, voire à certains élèves de l’école de poursuivre leur parcours dans des études artistiques.

"S’entraîner à l’épreuve orale" 

« Les exercices d’expression orale en prépa m’ont été très utiles car l’oral du concours compte pour 50 % de la note. Il est très important et les candidats négligent souvent cette épreuve. Avant ma prépa aux Beaux-Arts de Marseille, j’avais quelques difficultés pour m’exprimer ou expliquer mes projets et les professeurs m’ont réellement entraînée. En première année, le cursus artistique demande beaucoup d’autonomie et nous sommes énormément livrés à nous-mêmes. Cette année préparatoire nous permet de savoir si cette voie nous correspond vraiment. Les professeurs arrivent à cerner les profils et à nous réorienter s’ils pensent que nous n’avons pas les capacités à nous diriger vers les beaux-arts. Je conseille donc de les écouter et, si vous voulez faire une école d’art, alors soyez impliqué ! »

 

Sirine Mokdès, 21 ans, en 3e année aux Beaux-Arts de Marseille dont elle a suivi la classe prépa.

"Des cours d’excellentequalité" 

« J’ai fait un bac littéraire au lycée Henri IV et, au départ, je visais plutôt une prépa littéraire. Je ne pensais pas m’engager dans l’art mais j’ai changé d’avis au dernier moment. C’est mon professeur d’arts plastiques au lycée, qui enseigne aussi dans cette prépa, qui m’en a parlé. J’apprécie l’organisation très différente du système scolaire français, très hiérarchisé. Ici, les élèves sont très autonomes et les rapports humains sont différents par rapport au lycée. Il y a beaucoup de dialogue avec les enseignants qui se montrent très disponibles pendant les cours ou par e-mail. Les cours sont d’excellente qualité, et les différents niveaux des élèves sont tirés vers le haut. Je pratique la photo, la vidéo, le dessin et l’écriture et j’envisage de passer les concours des Beaux-Arts de Paris et de la Villa Arson à Nice. »

 

Zoé Bernardi, 18 ans, inscrite à la prépa Via Ferrata de l’ENSBA

"Créerde façon pertinente" 

« Les professeurs sont très rigoureux avec nous et prennent en compte notre individualité. Chacun nous donne son ressenti sur notre travail. Ces différents avis sur notre production nous permettent de faire notre propre chemin, en piochant ici et là. La plupart des cours reposent sur notre production : les profs ont tendance à adapter le contenu de leurs interventions à ce que l’on produit. Par exemple, si nous sommes plusieurs à travailler en photographie, ils vont se pencher plus sur ce médium. Nous sommes poussés à beaucoup produire, mais avec toujours en parallèle une réflexion sur ce que l’on fait. On nous encourage à créer des choses pertinentes, à ne pas être dans une production machinale. Cette formation nous permet de mieux comprendre l’art et d’avoir un regard personnel plus percutant sur ce que l’on fait. »

 

Marc-Aurèle Ngoma, 20 ans, inscrit à la prépa Via Ferrata de l’ENSBA.

"L’occasion de commencer à montrer son travail" 

« La prépa est essentielle pour constituer un dossier artistique, organiser sa pensée et établir ce que l’on veut faire dans une école d’art. La prépa des Arcades est un lieu à taille humaine, avec une dynamique de travail collectif, et où l’on peut nouer des liens et s’entraider. C’est aussi une année où l’on commence à montrer son travail aux autres, aux enseignants et aux élèves, et où l’on se confronte à la critique, positive ou négative. On y parle d’art et on s’intéresse à d’autres pratiques. Auparavant, je faisais essentiellement du dessin et de l’écriture. J’ai pu essayer le volume, le moulage, la sérigraphie et la photo argentique. Alors que je m’intéressais surtout à l’histoire de l’art classique, j’ai découvert des artistes et des pratiques contemporaines comme la performance. »

 

Élisabeth Banom, 24 ans, en 3e année aux Beaux-Arts de Cergy, ancienne étudiante de la prépa des Arcades

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°718 du 1 décembre 2018, avec le titre suivant : Prépas aux écoles d’art une année en immersion

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