École d'art

Perpignan, autopsie d’une fermeture

PERPIGNAN

Pourtant vieille de deux siècles, la Haute École d’art de Perpignan ne fera pas sa rentrée des classes. Les allers-retours sur son avenir et sa pédagogie déclinante ont plombé sa destinée.

Façade de la Haute école d'art de Perpignan. © Andéa.
Façade de la Haute école d'art de Perpignan.
© Andéa

PERPIGNAN - Voir une école fermer n’est jamais bon signe. Rien ne remplace la vie sociale et intellectuelle disparue, et l’économie locale, privée des étudiants qui logent, déjeunent et sortent dans la ville, en sort rarement indemne. Après dix ans d’un feuilleton ayant plombé le moral de la communauté artistique et universitaire de la ville, la Haute École d’art de Perpignan (Heart), fondée en 1817, a définitivement fermé ses portes en juin dernier. Quels enseignements tirer de cet échec ?

Petit rappel. Au printemps 2006, le maire (UMP) de Perpignan, Jean-Paul Alduy, annonce qu’il va fermer l’école. La municipalité finance la Heart à plus de 80 % et la juge trop coûteuse. Malgré une mobilisation qui dépasse des murs de l’école, la décision est effective dès septembre 2006 : la 1re année (L1) est supprimée, autant « par mesure d’économie » selon la Mairie, que pour anticiper sur la fermeture prévue à la fin des cycles pédagogiques engagés. Les 2e, 3e, 4e et 5e années (L2, L3, M1 et M2) se poursuivent donc pour respecter l’obligation de délivrance des diplômes. En septembre 2007, il ne reste plus que les L3, M1 et M2, et ainsi de suite jusqu’à la seule présence d’une quinzaine d’étudiants de M2, en 2009-2010. Chaque année, la direction de l’école réécrit un projet d’établissement à l’aune de ses moyens en baisse, les postes vacants n’étant pas remplacés.

Coup de théâtre en 2010, le nouveau maire (UMP), Jean-Marc Pujol, autorise la réouverture d’une L1 tandis que le nouveau projet d’établissement est jugé pertinent par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES, à l’époque « AERES », NDLR). En septembre 2011, les L1 et L2 sont pourvues, et ainsi de suite jusqu’en septembre 2013, où les quatre premières années sont actives, quoique peu fréquentées : la menace de fermeture a fait fuir les candidats. Fin 2013, concomitamment à une évaluation sévère du diplôme de master par le HCERES, la L1 est de nouveau supprimée. En 2014, seules les L2, L3, M1 et M2 sont ouvertes. La désertion s’accentue et une poignée de L3 et M2 vivra la fin de l’école en 2015-2016.

La suppression de la première année, fermeture programmée de l’école
Que retenir de ces dix années d’atermoiements ? Première évidence, la suppression d’une année est de mauvais augure. En annonçant sa fermeture programmée, l’école fait fuir les meilleurs étudiants et les promotions baissent en qualité et en nombre. L’École supérieure d’art d’Avignon, qui s’apprête à ouvrir sans L1, le sait. Par ailleurs, la proportion importante de professeurs salariés dans l’équipe pédagogique empêche de pouvoir ajuster la masse salariale à hauteur du manque à gagner en frais de scolarité.

La question économique a été ici exacerbée par l’endettement de la Ville, équivalent à deux fois celui de la moyenne nationale, et par l’incapacité du conseil d’administration de l’école, dont le statut est celui d’un EPCC (établissement public de coopération culturelle), à intégrer d’autres collectivités dans le financement – Avignon est dans le même cas sur ces points. S’ajoute un contexte politique défavorable, avec un service culturel où les inimitiés personnelles et les démissions successives n’assurent pas de continuité. La présence forte du Front national constitue enfin un facteur supplémentaire d’instabilité.

Viennent ensuite les éléments propres à l’école. Les évaluations du diplôme et de l’établissement par le HCERES ont été régulièrement médiocres (ce qui n’est pas le cas de l’école d’Avignon, bien mieux notée). Seul le nouveau projet estimé cohérent en 2010 par l’agence a semblé pouvoir inverser la tendance. De l’aveu même de professeurs concernés, « trop d’anciens élèves sont devenus professeurs, créant une “endogénéité” mauvaise pour l’école ». Un autre explique : « Les “professeurs TGV” [ne restant qu’une journée par semaine sur place, NDLR], aussi bons soient-ils, ne participent pas de la dynamisation du tissu local. Restaient sur place des professeurs en fin de carrière, qui n’étaient plus en phase avec la scène contemporaine. » Dans un système où le corps enseignant est le premier vecteur de l’insertion professionnelle des étudiants, l’absence de mixité générationnelle et géographique pose un problème.

De manière générale, au-delà du contexte local défavorable, politiquement et économiquement, c’est l’isolement croissant de l’école qui est pointé par les anciens professeurs, les observateurs et les anciens élèves : même le centre d’art contemporain Walter-Benjamin, installé dans des murs voisins et géré par l’école, a limité les liens avec le reste du tissu artistique local. D’autre part, la Heart n’a jamais mutualisé ses moyens avec l’École supérieure des beaux-arts de Nîmes, comme envisagé un temps, ni collaboré avec l’Université, ainsi que le préconise le HCERES pour toutes les écoles d’art. Dommage, l’ouverture cette année d’un master « Arts, paysage et curating » au sein de l’université Perpignan Via Domitia aurait pu être l’occasion d’un partenariat pertinent.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°464 du 30 septembre 2016, avec le titre suivant : Perpignan, autopsie d’une fermeture

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