Visions d’Europe centrale

Du 18 au 21 novembre, Paris Photo met en valeur les scènes photographiques de cinq pays d’Europe centrale aux accents spécifiques.

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2010 - 1402 mots

Après le Japon et le Moyen-Orient, Paris Photo jette un éclairage sur cinq pays d’Europe centrale : la Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Slovénie.

Malgré l’usage d’une appellation plus politique que géographique, apparue après la conférence de Yalta en 1945, le salon n’entend pas englober ces nations dans une narration unique, voire pointer d’éventuelles influences interculturelles, mais au contraire dégager des accents spécifiques. Ce d’autant plus que le rapport à l’Union soviétique et la chute du communisme ont été vécus différemment selon les pays. « Les Slovènes ne sont pas des Polonais qui ne sont pas des Tchèques. Chaque pays a sa vision de l’histoire, souligne Guillaume Piens, commissaire du salon. La photographie s’y est aussi développée à vitesse variable. La république tchèque possède plus de structures et de réseaux de diffusion. En Hongrie, la photographie est un véritable patrimoine, et la diffusion a été possible grâce aux photographes émigrés comme Brassaï ou Kertész. Les Tchèques et les Hongrois ont connu un moment extraordinaire dans les années 1930, la Pologne plutôt dans les années 1950. La Slovénie s’est surtout distinguée dans les années 1980 avec l’art contemporain. Les marges de liberté ont été différentes selon les pays et selon les époques. »

Excepté leur expérience du communisme, ces cinq pays ne présentent pas de véritables dénominateurs esthétiques communs. Dans l’entre-deux-guerres, la Pologne a ainsi prétendu construire un modèle national cranté sur le pictorialisme, refusant la photographie soviétique et les avancées allemandes. « Bien évidemment, la République tchèque, la Hongrie et la Pologne occupent une place spéciale et bien connue par rapport au canon de l’histoire de la photographie et de l’art contemporain de l’Ouest, précise Nataša Petrešin-Bachelez, commissaire de la section « Statement ». Différents styles et mouvements étaient présents, mais nous pouvons suivre le développement de l’avant-garde et du modernisme, du documentaire, puis le tournant progressif de la photographie en outil de l’art conceptuel et de la performance, intégré par la suite dans le champ de l’art contemporain. » Habituée du salon, la galerie Vintage (Budapest) met en exergue l’avant-garde hongroise, avec quelques figures phare comme Alexandre Trauner ou László Moholy-Nagy, mais aussi Tibor Hajas et ses discrètes performances dans les rues. La poésie dépouillée d’André Kertész anime, pour sa part, les cimaises de Howard Greenberg (Londres) et Bruce Silverstein (New York). Les tirages extraits de Paris de nuit de Brassaï figurent, quant à eux, chez Sage Paris. Outre la Slovénie, la Pologne sera sans doute l’une des découvertes du salon. Car on en connaît moins les photographes que les artistes contemporains utilisant, entre autres, le médium photographique, comme Zbigniew Libera présenté par Anne de Villepoix (Paris), ou Zofia Kulik à l’affiche chez Éric Franck (Londres). « Il y a beaucoup de chaînons manquants dans l’histoire de la photographie polonaise, admet Adam Mazur, commissaire au centre d’art Zamek Ujazdowski à Varsovie. Les archives ont été mal conservées et répertoriées. Aussi, les photographes n’ont pas le sentiment d’être pleinement artistes s’ils ne sont que photographes. » 

Manque de reconnaissance 
Pour Karolina Lewandowska, directrice de la Fondation Archeologia Fotografii à Varsovie, le manque de (re)connaissance tient aussi au faible nombre de publications et d’expositions, ainsi qu’à une méthodologie encore imparfaite pour ce qui est des catalogues. « Il n’y a pas de marché, très peu de collectionneurs, mais plutôt des gens qui achètent occasionnellement, ajoute Rafal Lewandowski, directeur de la galerie Asymetria (Varsovie). L’achat n’est pas ancré dans les habitudes. Il y a toujours l’idée que la photo ne nécessite pas d’efforts. La reconnaissance ne se fait, en Pologne, que si un artiste est validé par l’étranger. » Celui-ci montrera, sur Paris Photo, le travail singulier de Zofia Rydet, notamment son cycle du monde des sentiments et de l’imagination, sorte de journal intime à tonalité crépusculaire. Il exposera aussi Jerzy Lewczynski, lequel déjoue les codes de la photographie de propagande. Plutôt que de montrer le visage glorificateur de l’ouvrier, il en exhibe les stigmates du labeur. L’absurde, la parodie et les changements d’identité forment l’univers de Stanislaw Ignacy Witkiewicz, écrivain, dramaturge et théoricien de l’art polonais, lui aussi exposé par Lewandowski. Immortalisées par Joseph Glogowski, ses performances composées d’une suite de mimiques grimaçantes avaient été montrées au Musée des beaux-arts de Nantes en 2004. Dans la section « Statement », le vertige borgésien du Franco-polonais Nicolas Grospierre prend ses aises chez ZPAF i S-KA (Cracovie). C’est un travail plus féministe que déploie, dans la même section, la galerie Czarna (Varsovie) avec les transferts sur papier et plâtre réalisés dans les années 1970 de Teresa Gierzynska. Féminisme aussi dans les portraits masculins de Dorota Buczkowska, où le visage de l’homme est encapsulé dans un agrégat de lingeries personnelles formant une gigantesque métastase. Une œuvre à mi-chemin entre photographie et sculpture. 

Les foires « off » se développent
Malgré l’annulation, faute de combattants, du salon Art Picture, deux petits événements alternatifs prendront pied dans le sillage de Paris Photo. Organisée par La Bellevilloise, qui avait accueilli les deux premières éditions de Slick, Photo Off réunit une trentaine de galeries concentrées sur les artistes émergents. À noter notamment le travail décoiffant du Japonais Hal, découvert en 2008 à Paris Photo et présenté par l’agent Sophie Boursat. « Il y a une énorme envie de découvrir autre chose que ce qu’on voit habituellement à Paris Photo, indique Janette Danel, directrice du salon. Je suis moi-même surprise de l’enthousiasme. Il y a visiblement une vraie part de marché à prendre et Paris est prête pour des offs. » Baptisée Offprint, la manifestation initiée par Yannick Bouillis, propriétaire d’une librairie spécialisée dans les publications néerlandaises, se focalise pour sa part sur le créneau de l’édition et des livres de photographies. Photo Off, du 18 au 21 novembre, La Bellevilloise, 21, rue Boyer, 75020 Paris, www.photooff.com, le 18 18h30-22h30, les 19 et 20 11h-22h30, le 21 11h-20h30 Offprint, du 18 au 21 novembre, Espace Kiron, 10, rue de la Vacquerie, 75011 Paris, www.offprintparis.com, tlj 15h-21h

L’engouement pour les pièces uniques
Les notions de multiple et d’unique ont souvent fait débat. « On a toujours reproché à la photographie d’être un multiple, mais l’un des premiers procédés officiellement connus est une pièce unique, le daguerréotype, qu’on a critiqué pour son unicité à l’ère de la reproduction industrielle », rappelle la galeriste parisienne Françoise Paviot. Une catégorie d’acheteurs ne jure que par le multiple. « Pour certains, la question des éditions est rassurante. Ils voient leurs images dans un musée, et ils ne se privent pas des leurs. Quand un collectionneur a acheté un tirage à 20 000 euros et qu’un autre obtient 40 000 euros aux enchères, il est satisfait. À travers un autre cliché identique, il tire une plus-value », remarque le galeriste parisien Renos Xippas. D’autres amateurs recherchent toutefois l’exceptionnel. Françoise Paviot montrera ainsi, sur Paris Photo, des photogrammes de Gary Schneider et d’Adam Fuss, ainsi que des tirages peints à la main d’Ian Paterson. Premier procédé de photographie couleur mis au point par les Frères Lumière, l’autochrome siège sur le stand de Lumière des Roses (Montreuil) avec un mur de vingt-six spécimens réalisés par Léon Gimpel entre 1925 et 1933 et représentant des enseignes lumineuses la nuit. La bonne fortune de ce procédé a duré jusqu’en 1936 avant d’être détrôné par le kodachrome. Lentement mais sûrement, l’autochrome réintègre toutefois le marché. Voilà trois ans, Daniel Blau (Munich) lui avait consacré son stand. À la foire de Bâle, en juin, Hans P. Kraus (New York) avait sorti de ses tiroirs une autochrome de Heinrich Kühn. En 2005 chez Artcurial, à Paris, un spécimen attribué à Étienne Clémentel, représentant Monet à Giverny, a atteint 30 831 euros lors de la vente du fonds du journal L’Illustration. Lumière des Roses montrera aussi trois plaques de verre, elles aussi singulières. « Ce sont des pièces qu’on peut exposer en transparence. Il s’agit de la matrice originale de la photographie. Nous sommes à la naissance même de l’image », indique Philippe Jacquier, directeur de la galerie. C’est aussi sur l’unicité que joue la galerie Xippas avec notamment les Polaroid de Samaras et les représentations d’architectures et de paysages urbains réalisées en camera obscura par Vera Lutter. Cinq sténopés du Hongrois Gabor Öz seront enfin à l’affiche chez le galeriste parisien Hervé Loevenbruck (Paris). « Le public plus porté sur les photos historiques sera flatté de voir que les artistes contemporains réutilisent des techniques primitives », observe ce dernier.

PARIS PHOTO

Commissaire : Guillaume Piens
Nombre d’exposants : 106
Tarif des stands : 368 euros le mètre carré
Nombre de visiteurs en 2009 : 40 000

Du 18 au 21 novembre, Carrousel du Louvre, 99, rue de Rivoli, 75001 Paris, www.parisphoto.fr, tlj 11h30-20h sauf le 21 novembre 11h30-19h

Légende photo :
Gabriella Csoszó, Free copies 13., 2007 - lambda print - Copyright Gabriella Csoszó, courtesy Faur Zsófi-Ráday Gallery, Budapest

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°334 du 5 novembre 2010, avec le titre suivant : Visions d’Europe centrale

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