Le Mois de la photo fête ses 30 ans

57 expositions sont au programme autour du thème « Paris collectionne »

Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2010 - 1488 mots

La manifestation s’appuie largement sur la collection réunie par la Maison européenne de la photographie.

La rétrospective « André Kertész » au Jeu de paume, le fonds méconnu de la Fondation Re Rebaudengo à la Cité de l’architecture, les reportages de Pierre et Alexandra Boulat au Petit Palais, le lauréat du prix de l’Académie française Thibaut Cuisset à l’Institut de France, Saul Leiter ou Françoise Huguier dans les galeries : en cinquante-sept expositions resserrées autour du thème « Paris collectionne », le Mois de la photo 2010 fête ses 30 ans. La manifestation, devenue européenne depuis 2004, a même été labellisée dans trente capitales, de Houston à Beyrouth. « En 1980, aucune manifestation photographique n’existait à Paris. L’idée s’est imposée de créer un événement qui fédère musées et galeries pour redonner ses lettres de noblesse à la photo, qui avait connu un véritable engouement au XIXe siècle. Aujourd’hui, elle a perdu son statut de document au profit de celui d’œuvre d’art », se félicite Jean-Luc Monterosso, fondateur de la biennale au sein de l’association Paris Audiovisuel. Il est également directeur de la Maison européenne de la photographie (MEP) qu’il a fondée en 1996, et dont la collection, riche de 20 000 épreuves contemporaines et d’une cinquantaine de vidéos de photographes, est célébrée à travers les choix rigoureux de l’exposition « Autour de l’extrême », expurgée de la participation jugée inopportune de François-Marie Banier. Le corps, mutilé, mortifié dans les images à l’âpre beauté formelle de George Dureau, de David Nebreda ou du jeune brésilien Rodrigo Braga est l’un des thèmes de cette étude des limites, sans cesse repoussées, de la création. L’ensemble s’achève dans l’éblouissement de L’Ultime au blanc létal qu’exprime Rossella Bellusci. 

Redécouvertes
Pour cette édition anniversaire du Mois de la photo, des prêts de la MEP font redécouvrir de rares vintages ou des ensembles jamais exposés, comme les quarante tirages de Mario Giacomelli à l’Institut culturel italien, ou le portfolio, peu vu, sur la France en 1956-1958 de Harry Callahan choisi par la Fondation Henri Cartier-Bresson. Sous le titre « Variations », une sélection d’œuvres de cet employé au labo photo des usines General Motors de Detroit en 1944, devenu enseignant à l’Institute of Design de Chicago en 1946, décline à l’infini des compositions minimales elliptiques, à la manière noire que foudroie un rai de lumière pointant le sujet. Trois thèmes leitmotiv que Callahan résumait par « tous ces va-et-vient entre la ville, la nature et Eleanor », sa femme et modèle.  Largement mise à l’honneur lors de cette édition du Mois de la photo, la collection trentenaire de la MEP continue de s’enrichir et d’être documentée. En 2014, elle accueillera la série Paris vu par Martin Parr, tandis que les éditions Steidl s’apprêtent à publier les six tomes de son catalogue raisonné incluant les portfolios controversés de Larry Clark qui font l’actualité au Musée d’art moderne de la Ville de Paris (lire le JdA no 333, 22 octobre, p. 12). Fête de l’argentique, le Mois de la photo témoigne d’un intérêt croissant pour les nouvelles technologies. « L’irruption du numérique, qui a décloisonné cet art fragile qu’était la photo, donne une vitalité à la création visuelle dans le monde », note Jean-Luc Monterosso. Sur Internet, la plateforme réflexive « Mutations » en examine les nouveaux supports. 

Sur les routes de France
En 2012, la photographie française figurera parmi les thèmes d’une édition conçue par les directeurs artistiques Agnès de Gouvion Saint-Cyr, Eleonore Durizani et Stéphane Varnier. En avant-goût, la Bibliothèque nationale de France (BNF) présente « La France de Raymond Depardon » sur son site François-Mitterrand. Durant cinq ans, le grand reporter à l’agence Magnum a scruté le territoire, de Berck-Plage à Menton, dans une vision documentaire frontale. Fourmillant de détails, trente-six grands formats aux couleurs irréelles ou criardes évoquent les cartes postales coloriées d’antan, comme le photoréalisme américain d’Edward Hopper et d’Andrew Wyeth. Nourries de références à Walker Evans et Paul Strand, les vues de devantures décrépies de bars, de commerces et de monuments aux morts familiers renvoient l’image d’un pays arriéré à la tristesse pesante, figé dans des décors des années 1950-1960. De rares vues de champs d’éoliennes, de lotissements couverts de paraboles qui connotent le XXIe siècle, figurent dans le catalogue de cette exposition qui est confrontée aux regards mi-plasticiens, mi-documentaires du jeune collectif français F14. De la « Mission héliographique » en 1851 à la mission de la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) en 1984, la représentation du paysage a tôt figuré au patrimoine photographique. L’exposition « Primitifs de la photographie, le calotype en France (1843-1860) », organisée par la BNF sur le site Richelieu, l’enrichit en dévoilant des vues inédites issues de ce procédé pionnier de négatif papier, qui fut breveté en 1841 par l’Anglais William Henry Fox Talbot. 180 superbes calotypes font revivre ce cénacle d’artistes et d’amateurs fortunés en train d’expérimenter les techniques du développement et du tirage qui produisent des chefs-d’œuvre, tels que les paysages méconnus d’Henri Courmont, un disciple de Le Gray mis à l’honneur au salon Paris Photo (lire p. 18), l’époustouflant panorama de Tripoli par Louis de Clercq (1859-1860), ou la fameuse vue du cloître de Saint-Trophime à Arles par Édouard Baldus (1851, montage novateur de cinq négatifs). Grâce au calotype, la photo devient un multiple, élevé au rang des beaux-arts. En contrepoint, au Musée de l’Orangerie, associé au Musée d’Orsay et à l’Albertina de Vienne, la rétrospective « Heinrich Kühn » retrace une quête à contresens du medium. Pictorialiste de renom vers 1900, lié à Alfred Stieglitz et à Edward Steichen, ce riche dilettante, obsédé de perfectionnement technique, enferme sa photographie de chevalet dans des études de valeurs et des effets de lumière marqués par l’impressionnisme. D’admirables portraits formels de ses enfants comme de leur gouvernante Mary Warner, son modèle favori, contentent l’œil sans émouvoir. Vers 1907, ses paysages préfigurent la « Nouvelle vision » des années 1920, alors que ses autochromes n’ajouteront que la couleur à son style dépassé.

Lumière sur le prix Niépce
Depuis cinquante-cinq ans, le prix Niépce, décerné par l’association Gens d’images, récompense chaque année l’œuvre d’un photographe professionnel. Une rétrospective des lauréats en plus de 120 images, dont certaines proviennent des collections de la MEP, met en lumière le premier prix créé en France dans cette catégorie à l’initiative d’Albert Plécy, Jacques-Henri Lartigue et Raymond Grosset, relayés par Janine Niépce. Au Musée du Montparnasse à Paris, sans exclusive, des reportages, des portraits, des paysages naturels ou urbains, des œuvres plasticiennes embrassent plus d’un demi-siècle de création photographique, qui va de Jean Dieuzaide, premier lauréat, en passant par Robert Doisneau, Jeanloup Sieff, Lise Sarfarti, Stéphane Couturier, Jürgen Nefzger et Jean-Christian Bourcart (né en 1960), lauréat 2010. Ancien photographe de mariage ayant collaboré au quotidien Libération, puis à l’agence Rapho, l’auteur de la série Le Plus Beau Jour de la vie s’est mué en photographe de quartier pour se frotter à la pauvreté ordinaire d’un ghetto miné par le crack dans la série Camden, NJ, remarquée aux Rencontres d’Arles en 2009. Bourcart avait cherché, sur Internet, « la ville la plus dangereuse des États-Unis », où il réside. Le 15 décembre, une présentation du lauréat aura lieu à la galerie VU’, à Paris. « Rétrospective 1955-2010 du prix Niépce », du 16 novembre au 12 décembre, Musée du Montparnasse, 21, avenue du Maine, 75015 Paris, www.museedumontparnasse.net, tlj sauf lundi 11h-19h

Hommage à l’éditeur Gerhard Steidl
Signe de l’engouement croissant pour le livre de photos, les éditeurs sont mis à l’honneur à la Monnaie de Paris. Le Mois de la photo met en avant l’Allemand Gerhard Steidl à travers l’exposition remaniée « Steidl. Quand la photographie devient livre, de Robert Frank à Karl Lagerfeld » venue du Musée de l’Élysée à Lausanne. Sept salles explorent les coulisses de son imprimerie et sa maison d’édition de Göttingen, au nord de l’Allemagne, dévolue depuis 1972 à de grands noms contemporains allant de Robert Adams, William Eggleston ou Joël Sternfeld à Valérie Belin et Taryn Simon. La scénographie, didactique, est mise au service de raretés et de nouveautés telles que le livre d’artiste On the Road d’Ed Ruscha, d’après Jack Kerouac ; Works, l’œuvre complet de Lewis Baltz ; Hot Dreams, en cinquante-deux tomes, de Jim Dine ; et La Maison Hermès, que vient d’explorer Koto Bolofo. Des portraits inédits, par Karl Lagerfeld, du modèle Baptiste Giabaconi remplacent la parution, ajournée, de Daphnis et Chloé, Now. L’an dernier, les Rencontres d’Arles, puis la MEP, honoraient le pionnier français Robert Delpire, le compétiteur de Steidl qui lui a retiré l’édition française du livre mythique Les Américains (1948) de Robert Frank, dont est montrée l’édition du cinquantenaire qui s’accompagne du rare portfolio intégral prêté par la MEP. « Steidl. Quand la photographie devient livre, de Robert Frank à Karl Lagerfeld », du 9 novembre au 19 décembre, Monnaie de Paris, 11, quai de Conti, 75006 Paris, www.monnaiedeparis.fr, tlj sauf lundi 11h-18h

Autour de l’extrême
Jusqu’au 30 janvier 2011, Maison européenne de la photographie, 5/7, rue de Fourcy, 75004 Paris, tél. 01 44 78 75 00,www.mep-fr.org, tlj sauf lundi et mardi 11h-20h. Catalogue, coéd. Contrasto et MEP, 260 p., 39 euros
 Commissariat : Jean-Luc Monterosso, directeur de la MEP
Nombre d’artistes : 80
Nombre d’œuvres : plus de 200

 Harry Callahan Variations
Jusqu’au 19 décembre, Fondation Henri Cartier-Bresson, 2, impasse Lebouis, 75004 Paris, tél. 01 56 80 27 00, www.henricartierbresson.org, tlj sauf lundi, 13h-18h30, mercredi jusqu’à 20h30, samedi 11h-18h45. Catalogue, éd. Steidl, 208 p., 35 euros
 Commissariat : Agnès Sire, directrice de la Fondation Henri Cartier-Bresson

Raymond Depardon
Jusqu’au 9 janvier 2011, BNF, site François-Mitterrand, Quai François-Mauriac, 75013 Paris, tél. 01 53 79 59 59, www.bnf.fr, tlj sauf lundi 10h-19h, dimanche 13h-19h. Catalogue, coéd. BNF et Seuil, 336 p., 59 euros, ISBN 978-2-0210-0994-1
 Commissariat : Anne Biroleau-Lemagny, conservatrice générale, chargée de la photographie XXIe à la BNF La France de Raymond Depardon

Heinrich Kühn
Jusqu’au 24 janvier, Musée de l’Orangerie, jardin des Tuileries, 75001 Paris, tél. 01 44 77 80 07, www.musee-orangerie.fr, tlj sauf mardi 9h-18h. Catalogue, éd. Hatje Cantz, 280 p., 49 euros
 Commissariat : Monika Faber, conservatrice en chef du département Photographie de l’Albertina ; et Françoise Heilbrun, conservatrice en chef du Musée d’Orsay

Primitifs de la photographie, le calotype en France (1843-1860)
Jusqu’au 16 janvier 2011, BNF, site Richelieu, 5, rue Vivienne, 75002 Paris, tél. 01 53 79 59 59, www.bnf.fr tlj sauf lundi 10h-19h, dimanche 12h-19h. Catalogue, coéd. BNF et Gallimard, 328 p., 59 euros
 Commissariat : Sylvie Aubenas, directrice du département des Estampes et de la photographie à la BNF ; et Paul-Louis Roubert, maître de conférences à l’université de Paris-VIII

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°334 du 5 novembre 2010, avec le titre suivant : Le Mois de la photo fête ses 30 ans

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