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NFT : saisie financière record aux États-Unis

NEW YORK / ÉTATS-UNIS

C’est la première fois qu’une plateforme d’échange de NFT est directement visée par une enquête fédérale pour blanchiment d’argent alors que l’administration Biden s’alarme du manque de régulation du secteur.

New York. Le département de la Justice américain (ou DOJ, l’équivalent de notre ministère de la Justice) l’a qualifiée de « saisie financière la plus importante de son histoire ». Dans un communiqué publié le 8 février, il annonce avoir confisqué 94 000 bitcoins (soit 3,6 Md$ ou 3,2 Md€) à Heather Morgan, « entrepreneuse et rappeuse » connue sous le nom de scène Razzlekhan, et son mari Ilya Lichtenstein, arrêtés la veille à New York. Le DOJ accuse le couple de les avoir volés lors du piratage de la plateforme d’échange de cryptomonnaies Bitfinex en 2016 et d’avoir depuis tenté de les blanchir, tout en ayant déjà réussi à en liquider plus de 25 000 (près de 1 Md$ ou 800 M€), « à travers diverses transactions virtuelles […] dont l’achat de NFT ». Le lendemain, les comptes que possédaient Heather Morgan et Ilya Lichtenstein sur OpenSea, l’une des plus grandes plateformes au monde d’échange de NFT (jeton non fongible), étaient supprimés et leurs collections virtuelles entièrement gelées.

La plateforme OpenSea accusée de négligence

La mesure est historique. C’est la première fois qu’une plateforme d’échange de NFT est directement visée par une enquête pour blanchiment d’argent, qui plus est pour des sommes d’une pareille ampleur. C’est aussi la première fois qu’une telle plateforme est sommée de réagir si fermement, dans un monde en ligne qui a pourtant fait de l’absence de contrôle et de régulation sa philosophie centrale.

« La mission d’OpenSea est de construire la plateforme d’échange de NFT la plus inclusive et la plus à même d’inspirer confiance », répond un porte-parole de la plateforme. Ce dernier ajoute qu’elle fait appliquer ses règles d’utilisation (lesquelles mentionnent explicitement l’interdiction d’« avoir recours au service pour acheter, vendre ou transférer des biens volés, acquis frauduleusement ou sans autorisation ») « de différentes manières, y compris en suspendant ou en supprimant des comptes, comme nous l’avons fait dans ce cas-ci, par précaution ».

L’enquête du DOJ met directement en cause le rôle d’OpenSea dans l’attribution de certificats d’authenticité validant la propriété numérique d’une œuvre sans vérifier la provenance des fonds ou le profil des acheteurs. Ces critiques font écho à la mise en garde contenue dans un récent rapport du département du Trésor (le ministère des Finances américain) sur la régulation du marché de l’art contre le risque que représentaient les plateformes d’échange de NFT eu égard au blanchiment. L’administration Biden évalue aujourd’hui la possibilité d’étendre le « Bank Secrecy Act », ou loi sur le secret bancaire, aux différentes plateformes, ce qui les forcerait à déclarer et à vérifier la légalité des transactions les plus importantes, à signaler à la justice celles qui leur paraissent frauduleuses et, surtout, à identifier les utilisateurs derrière leurs pseudonymes dans ce milieu virtuel où règne l’anonymat.

Des collectionneurs laissés-pour-compte

Le département de la Justice n’a pas souhaité préciser si les NFT possédés par Heather Morgan et Ilya Lichtenstein sur OpenSea ont été eux-mêmes saisis comme preuves. Ils ont en tout cas été bloqués par la plateforme, qui empêche leur commerce et l’accès aux œuvres qui leur sont associés. De nombreux collectionneurs se sont émus de cette intervention qu’ils considèrent comme une trahison de l’esprit original de la « blockchain », la technologie de sécurisation des transactions au cœur de l’écosystème des NFT et des cryptomonnaies : « C’est un marché décentralisé, OpenSea doit se contenter d’offrir des outils d’accès et laisser ensuite le marché décider du bien-fondé de chaque transaction », s’alarme « 0x99ed », collectionneur chevronné actif dans la communauté dont 90 000 dollars (80 200 euros) de NFT ont été gelés par la plateforme pour avoir été mal acquis par un pirate avant lui.

Quelques investisseurs malchanceux se sont retrouvés, de la même façon, victimes collatérales de la saisie historique du département de la Justice américain. Le jour de l’annonce de l’arrestation de Heather Morgan et Ilya Lichtenstein, un collectionneur se faisant appeler « Ethmuppet » sur les plateformes se réjouissait ainsi sur Twitter d’avoir acquis sur OpenSea deux NFT créés par Heather Morgan elle-même pour la somme de 600 dollars (530 euros). Quelques heures plus tard ceux-ci étaient gelés et Ethmuppet ne pouvait plus ni y avoir accès ni les remettre sur le marché. « J’ai acheté ces NFT légalement et honnêtement, dans le respect des règles d’utilisation de la plateforme. OpenSea décide ensuite de censurer la personne qui les a créés et a, de fait, ôté toute valeur à mon achat », se plaint-il alors.

Il estime, avec l’intérêt médiatique qu’a suscité l’affaire, que ces NFT valent aujourd’hui « plus de 200 000 dollars » (178 000 euros) et reproche à OpenSea comme au département de la Justice de l’avoir lésé en les immobilisant de la sorte. « C’est effrayant de voir qu’ils peuvent, comme ça, supprimer la collection de quelqu’un selon leur bon vouloir, en fonction d’agissements qui n’ont en aucune façon quelque chose à voir avec OpenSea, rendant, dans les faits, caduques les transactions de ces NFT », commente-t-il. Comme d’autres, il demande aujourd’hui à être remboursé à la hauteur du préjudice dont il se dit victime.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : NFT : saisie financière record aux États-Unis

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