Espagne - Fiscalité

FISCALITÉ ESPAGNOLE

L’Espagne renforce l’imposition des grands patrimoines, dont certaines œuvres d’art

Par Julie Goy, correspondante en Espagne · Le Journal des Arts

Le 6 décembre 2022 - 771 mots

ESPAGNE

Une nouvelle taxe vise à contrer les stratégies de contournement de l’actuel impôt sur la fortune par plusieurs Communautés autonomes.

Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, 2018 © Ministry of the Presidency / Government of Spain, CC BY-SA 3.0
Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, 2018.
© Ministry of the Presidency / Government of Spain

Espagne. Le gouvernement espagnol est décidé à rendre réellement effectif l’impôt sur le patrimoine [IP], qui touche aussi certaines œuvres d’art, en instaurant une taxe provisoire, en principe incontournable. Car, depuis 1991, les Espagnols paient un impôt sur le patrimoine par tranche (de 0,2 % à 3,5 %), pour ceux dont la valeur nette du patrimoine dépasse 700 000 euros. Or sa mise en œuvre relève des dix-sept Communautés autonomes qui ont la possibilité de mettre en place des déductions ou des exonérations qui, dans les faits, réduisent son rendement. Le rendement est d’ailleurs assez faible : 1,2 milliard d’euros. C’est pour contrer ces phénomènes d’évitement que le gouvernement (socialiste) de Pedro Sánchez a institué une nouvelle taxe dénommée « Solidarité sur les grandes fortunes » [SGF] sans possibilité pour les Communautés de la contourner.

Cette nouvelle taxe s’ajoute à l’impôt sur le patrimoine de 1991 et ne sera à payer qu’en 2023 et en 2024. Contrairement à l’IP, elle concerne les patrimoines nets de plus de trois millions d’euros, touchant ainsi 23 000 contribuables. Son barème est le même que pour l’IP : de 1,7 % pour la tranche entre 3 et 5 millions d’euros à 3,5 % pour la tranche au-dessus de 10,6 millions d’euros. Les Régions qui n’ont pas instauré de déductions sur l’IP en sont exemptées, de sorte que la taxe aura des effets surtout à Madrid, en Andalousie et en Galice, trois Régions qui avaient jusqu’alors ouvert la possibilité de déductions totales ou partielles.

Comme pour l’IP, la SGF exonère certaines œuvres d’art relevant de trois grandes catégories : les biens du patrimoine historique espagnol qui ont été déclarés d’intérêt culturel et ceux inscrits à l’Inventaire général des biens mobiliers, les biens du patrimoine culturel déclarés comme tels par les Communautés autonomes, ainsi que certains objets d’art et antiquités.

Pour être détaxées, les œuvres doivent rester dans leur jus

Dans cette dernière catégorie, qui intéresse le plus les collectionneurs, sont considérés comme des objets d’art pouvant bénéficier d’une exemption : « les peintures, sculptures, dessins, lithographies, gravures, photographies ou autres qui, dans tous les cas, doivent être des œuvres originales ». De même, sont considérés comme des antiquités, les objets suivants : « biens meubles, utiles ou ornementaux à l’exclusion des objets d’art, qui ont plus de cent ans et, [précision très importante, NDLR], qui ont conservé leurs caractéristiques originales fondamentales », précise la loi, c’est-à-dire qui n’ont pas été altérés par des modifications ou des réparations durant les cent dernières années. Une condition qui ne favorise pas la restauration des meubles ou tableaux et dont la mise en œuvre paraît difficile à contrôler.

Autre condition qui complique le calcul de l’assiette de l’impôt et de la nouvelle taxe : sont exemptés les biens culturels d’une certaine valeur, dont les montants sont fixés par la loi, dans une longue liste : les tableaux et sculptures de moins de cent ans d’une valeur de 90 151 euros et 60 101 euros pour les œuvres picturales centenaires ou plus.

Les biens culturels doivent également se trouver sur le territoire espagnol. L’IP (et donc la SGF) vise principalement les personnes qui sont domiciliées en Espagne, mais peut aussi concerner des Espagnols vivant à l’étranger, qui possèdent des objets localisés en Espagne. Dans ce dernier cas, les non-résidents doivent se conformer aux éventuels accords internationaux pour éviter la double imposition par rapport à l’impôt qu’ils doivent payer en Espagne pour les actifs situés dans le pays.

Dépôt possible dans une institution culturelle

Une autre exemption possible, pour les collections importantes, réside dans le dépôt de celles-ci dans une institution culturelle espagnole, pendant une durée de trois ans minimum. « Pour les fortunes concernées, c’est la meilleure solution car, en contrepartie d’une dépossession temporaire de leur collection, ils ne paient pas de taxe », explique Marta Suárez-Mansilla, avocate spécialisée en droit culturel. Mais dans les faits, ce mécanisme est plus difficile à mettre en œuvre, car les institutions culturelles ne sont pas obligées d’accepter le dépôt d’un collectionneur : les avantages doivent aussi profiter à l’institution qui reçoit les pièces, le dépôt entraînant des frais pour celle-ci. « La collection doit présenter un grand intérêt artistique pour l’institution. Les cas que je connais concernent des œuvres très importantes, telles que celles de Goya ou du Greco », précise Marta Suárez-Mansilla.

L’objectif du ministère des Finances est de faire entrer la nouvelle taxe en vigueur avant le 31 décembre prochain, afin que le premier versement soit effectué en juin 2023 sur les actifs déclarés en 2022. Le gouvernement espère ainsi collecter 1,5 milliard d’euros en plus.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°600 du 2 décembre 2022, avec le titre suivant : L’Espagne renforce l’imposition des grands patrimoines, dont certaines œuvres d’art

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