Centre d'art

Jérôme Sans, Nicolas Bourriaud : Ouverture du Palais de Tokyo (part I)

Par Valérie Marchi · L'ŒIL

Le 1 février 2002 - 1571 mots

L’aile Ouest du Palais de Tokyo, érigée en 1937, accueille depuis le 22 janvier un nouveau lieu pour la création comtemporaine, après des travaux de réhabilitation dus aux architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal. A sa tête, un tandem inhabituel pour une grande institution artistique française. Point de hauts fonctionnaires, mais deux critiques d’art associés, Jérôme Sans et Nicolas Bourriaud, qui entendent faire de ce palais un véritable laboratoire de l’art vivant, expérimental et réactif. Ouvert à l’éducation, il accueille en son centre un pavillon pédagogique dont la direction a été confiée à Ange Leccia. Rencontre avec les trois hommes clés du projet.

Pourriez-vous rapidement revenir sur la génèse de ce site de création contemporaine ?
Jérôme Sans : Notre projet a commencé à l’automne 1998. Nicolas et moi, nous sommes retrouvés autour d’un livre d’entretien que je venais de réaliser avec Daniel Buren. Nous nous sommes dit qu’il n’était plus possible de continuer à répéter la sempiternelle complainte d’un manque à Paris d’un lieu expérimental pour la création contemporaine. On ne pouvait plus attendre. Il fallait passer à l’action. De là est née une réflexion commune et la quête d’un espace pouvant remplir ces fonctions. En mars 1999, Catherine Trautman, ministre de la culture à l’époque, décidait de réactiver le Palais de Tokyo qui était laissé pour compte depuis quelques années en y créant un centre d’art. Un concours auprès de candidats (tous indépendants) a été ouvert, auquel nous avons répondu positivement avec un projet qui était le développement du travail que nous avions défini auparavant. Loin d’être une candidature opportuniste comme beaucoup de gens l’ont cru, c’est véritablement le fruit d’une collaboration que nous avions Nicolas et moi depuis un an.

Nicolas Bourriaud : C’est deux désirs qui se sont croisés. Celui de la Délégation aux Arts plastiques et le nôtre, d’une manière totalement indépendante.

JS : Ce lieu est aussi né d’une volonté de créer une direction à deux têtes. Un endroit qui ne serait plus le reflet d’une seule personnalité mais d’un dialogue ouvert.

Le choix était donc délibéré de la part du Ministère de la culture de
ne pas faire appel à un haut fonctionnaire  ?
JS : Tout à fait et c’était une grande première en France, surtout à Paris intra-muros. C’était la première fois qu’un tel concours était orienté d’emblée dans ce sens et sans lui, Nicolas et moi n’avions aucune perspective de direction d’aucune institution artistique de cet ordre-là. On est l’un des rares pays au monde où la corporation des conservateurs gère l’ensemble des postes de la direction des grandes institutions françaises.

Vous êtes-vous inspirés d’exemples précis, notamment à l’étranger ?
JS : Le Palais de Tokyo est un composite des désirs que nous avions pour une institution, doublé de divers éléments et fragments que nous avons trouvés de manière éparse, sporadique, dans différents lieux en France comme à l’étranger. Des éléments qui nous paraissaient particulièrement efficients, du Magasin de Grenoble à sa naissance, au Consortium à Dijon, du Spiral Building ou du Watari-um à Tokyo, au PS1 de New York, INOVA à Milwaukee, au Kunstwerke de Berlin, ou l’About Café à Bangkok, et quelques autres...

NB : Nous nous sommes posé la question de la méthode. Etant donné que nous avions la chance de pouvoir mener le projet de
A à Z, depuis le programme architectural jusqu’à la programmation, nous nous sommes d’emblée dit que nous n’étions pas tenus de suivre des recettes. Nous avons donc essayé de redéfinir tous les postes, en en gardant certains qui nous paraissaient essentiels, mais en nous posant aussi les questions suivantes : qu’est-ce que les horaires d’un centre d’art actuellement ? Les horaires de la poste ou de la banque ! Or, est-ce que la bataille culturelle aujourd’hui ne se joue pas plutôt en soirée ? La programmation doit-elle se décliner forcément en expositions ? Ne peut-il s’agir juste d’une œuvre montrée, d’une zone d’activation permanente ? Pour nous, il était important de ne pas se sentir emprisonnés dans des formules existantes, mais d’essayer d’attraper ça et là des éléments intéressants, de les combiner ensemble et de construire un lieu, une machine qui nous ressemble et qui ne soit pas impersonnelle.

JS : Une machine qui ne soit pas dépassée par une lourdeur qui s’installe de manière incidieuse, ce qui est en général le cas de la plupart des outils institutionnels qui manquent ou finissent par manquer de souplesse, de flexibilité. On a essayé de ne pas tomber dans le piège de la monumentalité du lieu par rapport à ce qu’on allait réaliser. On a souhaité rester une équipe très modeste. C’est plus une maison pour les artistes et les créateurs en général, un lieu où l’on a envie d’aller, de revenir, de rester. Contrairement aux institutions qui, trop souvent, sont conçues finalement comme des lieux de passage.

NB : Nous sommes attachés à une politique de proximité à tous les niveaux. Proximité du public avec les artistes, sentiment de proximité qu’on peut avoir avec la création contemporaine par le fait qu’il n’y a pas l’appareillage majestueux habituel. Le lieu lui-même est d’une simplicité désarmante, parce que même les murs ne sont pas apprêtés. Toutes ces petites décisions concourent à donner au Palais de Tokyo une atmosphère à la fois chaleureuse et expérimentale.

Comment avez-vous conçu la programmation et quels sont vos partis pris ?
JS : Nos partis pris ont consisté à ne pas remplir aussitôt les grilles des trois ans de programmation à venir avec tous les artistes que nous appréciions. Nous nous sommes dit que ce serait plus intéressant de ne jamais aller au-delà d’un an de programmation et d’aménager des plages d’ouverture afin de pouvoir réagir au plus vite à l’actualité. Notre objectif est de rester réactif.

NB : On a donc construit une grille légère, avec des projets qui sont plus ou moins à long terme. Elle comprend un certain nombre d’espaces, la verrière, les alcôves, mais elle associe aussi d’autres lieux. Nous avons d’un côté un ensemble d’expositions monographiques, de l’autre une exposition de groupe, sorte de carnet de voyage des deux dernières années, avec les plasticiens qui nous semblent porteurs de certaines problématiques, qui reviendront par la suite dans la programmation. Il y a un principe auquel nous tenons, c’est de pouvoir retravailler plusieurs fois avec les mêmes artistes. Nous voulons les suivre dans la durée et à l’étranger.

JS : Notre rôle est de les accompagner dans l’espace aussi ! Nous voulons être les ambassadeurs à l’étranger des artistes français présentés ici. Nous souhaitons coproduire leurs expositions avec des institutions françaises et/ou étrangères. Pour nous, une institution c’est aussi ça, s’engager pleinement à leurs côtés.

Y a-t-il d’autres types de manifestations ?
JS : Les projets éphémères, les manifestations de quelques minutes, d’une heure, de deux jours. Les projets en extérieur, dans les jardins, dans le quartier avec Tokyorama. Il s’agit d’une série de parcours scénarisés par des créateurs.

NB : C’est un format d’exposition sur le modèle de la flânerie, dans le sillage des surréalistes, de Dada. C’est toute une mémoire de l’art moderne que l’on réactive. Seules 15 à 30 personnes participent à la manifestation,  bénéficiant ainsi d’un rapport privilégié avec l’artiste.

Dans votre programmation vous parlez d’une plate-forme. De quoi s’agit-il exactement ?
JS : C’est un terme un peu rapide pour un espace mental, nomade. C’est une plate-forme expérimentale de débats, de conférences, de colloques, de projections de films, de concerts. Elle va prendre ancrage dans différents points du Palais de Tokyo.

NB : Elle porte aussi ce nom car c’est la métaphore de l’ensemble du projet. Elle va favoriser les rencontres et les discussions entre les différents acteurs de la vie culturelle, sociale, politique et économique. Des personnalités du monde culturel français vont animer des soirées et auront carte blanche pour concevoir leur propre programmation.

On parle de plus en plus d’interdisciplinarité, de transversalité, de connivences, le Palais de Tokyo sera-t-il le point d’orgue de cette tendance ?
NB : L’interdisciplinarité est aussi une manière de suivre les artistes.
Ce n’est pas une décision que nous prenons, c’est une décision que l’époque prend pour nous. Nous ne faisons rien d’autre dans notre programmation que rendre compte du travail des artistes.

JS : Chaque programmation induit d’autres programmations. En fait, c’est tout l’univers visuel, mental, musical de l’artiste que nous souhaitons montrer.

NB : Prenons un exemple précis : pour l’exposition personnelle de Navin Rawanchaikul, au moment de l’inauguration, sept ou huit soirées sont consacrées chacune à des thèmes différents tournant autour de l’histoire de l’art passée et future (débat sur la science-fiction, etc. ).

Quel est votre positionnement par rapport à l’Arc ?
NB : Nous sommes complémentaires de toutes les institutions existant déjà. Notre souhait le plus cher est de monter avec nos homologues parisiens des projets communs. Nous avons d’ailleurs déjà deux projets de collaboration avec le Cnp autour de Franck Scurti et d’Erwin Wurm.

Quel est votre budget et quels sont vos partenaires économiques ?
JS : Nous avons, outre la participation importante de la Dap qui donne une subvention annuelle de 1,75 millions d’euros, dont 230 mille euros pour le pavillon unité pédagogique, des partenariats privés (Jas Hennessy & co, la Caisse des dépôts et consignations, Pioneer, Bloomberg) à hauteur de 1,06 millions euros.

- PARIS, Palais de Tokyo, Site de création contemporaine, 13, av. du Président Wilson, tél. 01 47 23 54 01, ouverture midi-minuit, www.palaisdetokyo.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°533 du 1 février 2002, avec le titre suivant : Jérôme Sans, Nicolas Bourriaud : Ouverture du Palais de Tokyo (part I)

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