Patrimoine

Les craintes suscitées par un projet de règlement européen à l’importation

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · lejournaldesarts.fr

Le 30 octobre 2017 - 1195 mots

BRUXELLES / BELGIQUE

BRUXELLES (BELGIQUE) [30.10.17] - Au nom de la lutte contre le financement du terrorisme, l’Union européenne prévoit de se doter d’un nouveau règlement imposant l’obtention d’un certificat d’importation ou une déclaration pour tous les biens culturels de plus de 250 ans entrant sur l’espace européen. Le projet de texte soulève de très nombreuses difficultés et craintes.

Au 1er janvier 2019, une ligne Maginot ceinturera l’espace européen pour lutter contre le financement du terrorisme issu du trafic de biens culturels. Les travaux de terrassement ont débuté en juillet dernier lors de la présentation d’un projet de règlement concernant l’importation de biens culturels. Ils devraient continuer en novembre avec l’étude du texte devant le Parlement européen.

La forteresse douanière qui émergera apparaît déjà inadaptée aux réalités de ce trafic illicite si complexe, aux contraintes d’un marché de l’art mondialisé et aux moyens notamment humains dédiés par les États membres de l’Union.

Une double ligne de fortification est aujourd’hui prévue. En première ligne, la nécessité d’un certificat d’importation pour trois catégories de biens culturels, dont les manuscrits rares et incunables, et en second ligne, celle d’une déclaration douanière pour les autres typologies de biens culturels d’au moins 250 ans d’âge.

L’idée est née, en décembre 2015, d’une lettre cosignée par les ministres de la Culture français, italien et allemand appelant la Commission européenne à présenter dans les meilleurs délais un règlement pour lutter contre l’importation illicite de biens culturels au sein de l’Union européenne. La ministre de l’époque, Fleur Pellerin, souhaitait voir élargies les dispositions alors en discussion de la loi pour la liberté de création, l’architecture et le patrimoine (LCAP) au niveau européen. Mais de l’idée à sa concrétisation, la machine bruxelloise a profondément bouleversé le dispositif envisagé en accouchant d’un texte rigide et contraignant pour l’ensemble des acteurs concernés.

L’initiative –louable- vise à empêcher l’importation et le stockage dans l’Union de biens culturels exportés illicitement depuis un pays tiers, ce qui devrait permettre tout à la fois de réduire le trafic de biens culturels, de lutter contre le financement du terrorisme et de protéger le patrimoine culturel, en particulier les objets archéologiques provenant de pays touchés par des conflits armés. La simplicité du raisonnement de la Commission européenne est quelque peu déroutante. Un rapport parlementaire français s’en était déjà fait l’écho en juillet 2016, soulignant que les objets les plus précieux sont sans doute « blanchis » pendant quelques années avant d’entrer dans le commerce international et qu’un certain fantasme entoure la part supposée de contribution d’un tel trafic au financement du terrorisme.

Alors qu’un contrôle à l’exportation renforcé de la part des pays tiers serait sans aucun doute plus efficace, le choix porte ici sur une preuve renforcée des diligences menées par tout acheteur important un bien culturel provenant d’un pays tiers à l’Union.

La Commission a fait le choix de s’appuyer sur une définition commune des biens culturels à l’importation, fondée sur la convention Unidroit de 1995, convention que la France n’a jamais ratifiée. Un seuil d’ancienneté minimal de 250 ans est ainsi retenu pour la définition du champ d’application des mesures projetées. Ce seuil garantira « que les mesures prévues au présent règlement se concentrent sur les biens culturels les plus susceptibles d’être convoités par les pilleurs dans les zones de conflits, sans pour autant exclure d’autres bien dont le contrôle est nécessaire en vue de protéger le patrimoine culturel ».

Quant à l’obligation de fournir des informations sur les biens et leur provenance, celle-ci « garantit que les acheteurs et les importateurs de l’Union font preuve de diligence en ce qui concerne la légalité des biens culturels introduits dans l’Union ».

Autorisation ou déclaration selon la nature du bien Un double système sera alors mis en place. Le système d’autorisation, concernant les biens classés c d et h, impose la présentation d’un certificat d’importation aux autorités douanières. Ce certificat est délivré par l’autorité compétente de l’État membre d’entrée et les pièces justificatives et informations nécessaires dépendront de la situation du pays source, selon que ce dernier a ou non ratifié la Convention de l’Unesco de 1970. Un modèle de certificat d’importation devrait être mis en place.

Mais le délai maximal de trois mois prévu pour délivrer le certificat, apparaît déjà bien trop court pour permettre à l’administration de vérifier la provenance effective du bien concerné. Pour les autres biens culturels, une simple déclaration signée par le détenteur du bien suffira. Celle-ci imposera d’attester que l’exportation du bien depuis le pays source a été réalisée conformément à la législation et à la réglementation de ce dernier. Accompagnée d’un document standardisé décrivant les biens de manière suffisamment détaillée pour permettre leur identification par les autorités douanières, la déclaration devra également être présentée aux autorités douanières. Les autorités douanières pourront cependant toujours réaliser un examen physique du bien, que celui-ci soit soumis à autorisation ou déclaration, et procéder alors notamment à une expertise.

La crainte d’un forum shopping
Mais certains États membres ont d’ores et déjà exprimé une inquiétude en raison du manque d’experts nationaux sur certaines typologies d’œuvres et de biens culturels. Si tous les États membres de l’Union européenne sont évidemment dotés d’experts dans le domaine des arts de leur propre pays ou des arts européens, les arts extra-européens n’ont pas toujours de spécialistes au sein de l’administration. La problématique des ressources humaines à affecter rejaillit une nouvelle fois.

Un véritable forum shopping pourrait alors se développer. Tel ou tel marchand ou acquéreur pourrait choisir d’aller porter sa demande en Estonie, en Pologne ou en Hongrie pour se voir délivrer une autorisation de circulation du bien sur l’ensemble de l’espace européen. Le contrôle uniforme à l’entrée de l’Union est ainsi bien illusoire.

Quant à l’entrée en vigueur au 1er janvier 2019 du texte, celle-ci se fera après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. La crainte d’un déplacement du marché outre-Manche s’en sort une nouvelle fois renforcée. À la possible fin de la TVA à l’importation, à laquelle pourrait s’ajouter une mise à mal du droit de suite, se conjuguerait désormais l’exclusion de la nouvelle procédure douanière au bénéfice du commerce anglais.

La ligne Maginot européenne sera alors de peu d’efficacité face aux autres places mondiales du marché, telles que le Royaume-Uni, la Chine et les Etats-Unis.

Une évolution souhaitée du texte
Le texte est aujourd’hui en phase de compromis, en raison d’un blocage au Parlement européen. D’après les informations du Journal des Arts, deux commissions (IMCO et INTA) souhaitent prendre la main sur le texte imposant un prochain départage lors de la conférence des présidents. Cette situation pourrait permettre une éventuelle modification du projet.

Trois problématiques sont en jeu : la révision du seuil d’ancienneté de 250 ans jugé par les acteurs du marché bien trop contraignante et systématique, la possibilité de consultation par acte délégué jugée trop arbitraire et la modification de l’exception pour les importations temporaires qui impose une lourdeur administrative pour l’ensemble des participants aux foires internationales telles que la Biennale Paris et la TEFAF. Les marchands seraient, en effet, contraints de solliciter au moins trois mois en avance un certificat sous peine de voir leurs œuvres retenues en douane pendant six mois ou d’être empêchés de les présenter.

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Le drapeau de l'Union européenne © Photo MPD01605 - 2011 - Licence CC BY-SA 2.0

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