Italie - Monument

Rome ville éternelle ?

Les grands chantiers de Rome

Entre dégradations, négligences et budgets réduits à peau de chagrin, la Ville de Rome doit se retrousser les manches pour mettre en valeur son patrimoine

Par Tina Lepri & Edek Osser · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2012 - 1369 mots

ROME / ITALIE

La richesse artistique et culturelle de Rome n’est plus à prouver, elle est à sauver. Entre les coupes drastiques des financements de l’État, la lourdeur administrative et les nuisances engendrées par le tourisme, les musées et les sites archéologiques romains font face à une crise sans précédent. Seul le Colisée, doté d’un mécène parvient à tirer son épingle du jeu.

ROME - Symbole de la situation contradictoire dans laquelle se trouvent les trésors culturels de l’Italie, la Ville éternelle est à la fois joyau archéologique et victime de négligences. Écroulements de sites, dégradations en son centre historique, abus dans des zones restreintes, fermetures subites de musées et de monuments à peine restaurés… Rome doit aujourd’hui faire face à la nécessité d’un chantier titanesque de mise en valeur patrimoniale. Alors que les coupes budgétaires se font toujours plus drastiques, seul le Colisée tire son épingle du jeu.

La renaissance du Colisée
Après des décennies d’humiliation, l’amphithéâtre Flavien va enfin renaître. Propriétaire de la marque Tod’s, Diego Della Valle finance l’opération à hauteur de 25 millions d’euros, ce au bout d’une longue bataille juridique qui en dit long sur la difficulté des rapports public-privé en Italie. En décembre, le chantier démarrera sur la partie la plus endommagée par la circulation automobile (6,6 millions d’euros). Le maire de Rome, Gianni Alemanno promet une déviation partielle du trafic en 2015, mais l’association environnementale Legambiente a recueilli des milliers de signatures pour transformer le Forum en zone piétonnière. Viendra ensuite la construction d’un centre d’accueil pour les sites du Colisée, du Palatin et du Forum (4,5 millions d’euros). La troisième phase (à l’étude) restaurera les zones souterraines. « À la fin des travaux, la superficie de visite aura augmenté de 25 % », indique la surintendante pour l’Archéologie Mariarosaria Barbera. Le site restera ouvert au public pendant les travaux programmés jusqu’à fin 2015.

Dégradations inacceptables
Rome doit avant tout s’attaquer au « décor » de la ville, envahie par les vendeurs à la sauvette, par les mimes, centurions et gladiateurs qui escroquent les touristes, et les cars qui stationnent moteur allumé. Le Circus Maximus est devenu une vitrine publicitaire démesurée en accueillant spectacles sportifs et musicaux, et les rives du Tibre sont envahies par les stands sous tentes. « La Région encaisse des loyers dérisoires, tandis que les stands  rapportent des milliers d’euros à ces manifestations commerciales qui ont doublé en cinq ans », dénonce Nathalie Naim, conseillère municipale des Verts. « La terrasse du Forum est devenue une discothèque abusive, dont les décibels (87 au lieu des 35 autorisés) font trembler les sites jusqu’à l’aube. » En septembre, la municipalité et le ministère de la Culture se sont accordés pour faire respecter le code déjà existant des Biens culturels et paysagers, en se livrant à des contrôles scrupuleux et réguliers.

32 millions de recettes
En 2010, le plafond de l’une des galeries souterraines de la Domus Aurea s’écroulait. Fermé depuis, le site ne doit rouvrir que partiellement en 2015. Exemple parmi d’autres de négligence des trésors archéologiques, la Maison d’Auguste : faute de surveillants, rares sont les occasions de la visiter. Or le manque de gardes n’est pas le seul problème. Maria Grazia Filetici, architecte de la Surintendance, doit jongler entre cinq chantiers de restauration : « Nous sommes peu, et sans manutention, le risque le plus grave est l’annulation [du budget] des restaurations à peine achevées. Ces dernières années les effectifs ont diminué de 70 % : archéologues, architectes, administratifs. La situation est intenable, je n’ai pas de portable de service, le ministère n’a pas de contrat d’assurance pour couvrir les risques liés aux chantiers. » Avec cinq millions de visiteurs, le pôle archéologique Colisée-Forum-Palatin est le plus riche d’Italie. Malgré les 32 millions d’euros encaissés chaque année, les dépenses pour l’entretien des centaines d’hectares, le fonctionnement et les laboratoires sont énormes. Et la machine administrative beaucoup trop lourde.

1,3 million de m3 abusifs
Selon l’étude commandée par la Surintendance archéologique de Rome, 30 hectares du Parc archéologique régional de l’Appia Antica ont été bétonnés depuis 2002 : « Depuis 1967, 1,3 million de m3 ont été édifié, et les ravages continuent malgré la création du parc régional en 1988 ». Une construction sur deux est illégale et la dernière s’élève à 60 mètres du Mausolée de Cecilia Metella. « Il n’existe aucune forme de répression et les contrôles sont réduits à zéro », déplore Rita Paris, directrice du Parc de l’Appia Antica. La Surintendance a pourtant beaucoup investi pour valoriser le parc : restauration et réouverture du Mausolée de Cecilia Metella, de la Villa des Quintili et l’église médiévale de Saint Nicolas, achat et restauration de la villa de Capo di Bove qui a révélé des thermes du temps d’Hérode Atticus.

Musées en jachère
Fermeture le dimanche, horaires réduits la semaine, salles fermées sans préavis… En juin, l’arrivée des touristes à Rome a sonné le début des heures noires pour les musées nationaux. Idem pour les musées municipaux, qui ont au cours du premier semestre 2012 subi une baisse de fréquentation de 15 % – à l’exception des Musées du Capitole qui, grâce à une belle programmation, ne connaissent pas la crise. Avec deux mille visiteurs en moyenne par jour, la situation de la Galerie Borghèse est dramatique : manque de surveillants, le fonds de secours du ministère à sec, annulation des expositions temporaires, menace de fermetures des salles, chute d’une partie du blason des Borghèse qui orne la façade, fermeture de la cafétéria et licenciement d’une partie du personnel… Après qu’Anna Coliva, directrice des lieux, a tiré la sonnette d’alarme, le ministère a pris ses responsabilités pour normaliser la situation.

Retraite forcée
Rossella Vodret, à la tête du Pôle muséal de Rome, s’inquiète : « Nous avons des recettes d’environ 8 millions d’euros par an. Moins que Florence, plus que Naples. L’équilibre parfait entre dépenses et recettes ne nous permet aucun autre investissement. La situation du personnel est dramatique. Il nous faudrait 180 gardiens, nous n’en avons que 120. D’ici quelques mois, la révision du budget envoie trente de nos dirigeants et fonctionnaires à la retraite, dont des directeurs de grands musées et moi-même. Le départ à la retraite forcé des chefs de service est délétère. Il ne reste qu’une dizaine de jeunes fonctionnaires inexpérimentés ».

Publicité
Avec dix-sept musées sous sa tutelle, la Ville de Rome tient un rôle important dans le panorama culturel. Surintendant à la Culture depuis 2008, Umberto Broccoli a foi en le mécénat : « Ma surintendance dispose d’environ 40 millions par an, deux fois moins qu’il y a quelques années ». Il prend pour exemple la restauration du Mur d’Aurélien qui nécessiterait 75 millions : « Heureusement, le ministère a changé un décret insensé qui interdisait toute publicité sur le Mur. » Le mécénat publicitaire pourrait, par exemple, donner vie au Nouveau Musée de Rome, chimère maintes fois annoncée depuis une vingtaine d’années. 120 millions d’euros seraient nécessaires pour financer l’écrin qui abriterait les quelque 60 000 pièces archéologiques de l’ancien Antiquarium fermé en 1939.

Art moderne et contemporain
Les deux musées d’art contemporain de la ville sont eux aussi atteints d’un manque de fonds chronique. Doté d’un budget annuel de 6 millions d’euros financés par la ville, d’une importante collection permanente, d’un second lieu d’expositions et d’événements dans d’anciens abattoirs (La Pelanda), le Macro a les reins solides. Ouvert en 2010, le MaXXI s’en tire à bon compte grâce à son architecture spectaculaire (450 000 visiteurs en 2011). Mais en avril 2012, la situation dégénère : d’après le ministère, la gestion est trop coûteuse et les deux années à venir afficheront un déficit conséquent. Après l’intervention de la tutelle, le bilan financier est assaini fin août. Désormais, les mécènes devront se substituer à l’État pour des financements d’ampleur. La Galleria Nazionale d’Arte Moderna souffre quant à elle d’un sérieux problème de personnel (144 en 2010, 123 aujourd’hui). La directrice Maria Vittoria Marini Clarelli imagine des solutions : faire profiter le public des connaissances des nombreux gardiens diplômés en histoire de l’art, renforcer le système de télésurveillance, revoir les horaires à la baisse pour ouvrir toutes les salles. Et d’une manière générale, elle plaide pour une coordination des musées dans l’optique d’une programmation pluriannuelle.

Légende photo

Le Colisée à Rome - © Photo Andreas Tille - 2004 - Licence CC BY-SA 3.0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°378 du 2 novembre 2012, avec le titre suivant : Les grands chantiers de Rome

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