Michael Werner - De la galerie au musée

Prolifique, la collection du marchand d’art, dont un important ensemble est offert en donation au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, révèle des choix souvent situés en marge des chemins tout tracés

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 17 octobre 2012 - 1086 mots

Après Berlin, Cologne et New York, le marchand d’art et collectionneur Michael Werner a inauguré une nouvelle galerie à Mayfair, quartier huppé de Londres. Dans un entretien accordé au Journal des Arts, il explique sa donation d’une centaine d’œuvres au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Le public peut les découvrir dans la grande exposition que l’institution consacre actuellement à la collection du marchand.

Affirmer que l’entreprise est colossale relève du doux euphémisme. C’est avec quelque 860 œuvres d’une quarantaine d’artistes que la collection de Michael Werner, riche de près de 2 000 entrées, est célébrée au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Une double célébration puisque l’événement acte la non moins considérable donation de 127 œuvres effectuée par le marchand d’art allemand (lire aussi p. 32) à cette même institution. Une donation qui n’est toutefois pas présentée dans sa totalité puisque certaines pièces rejoindront ultérieurement l’accrochage des collections permanentes. Ce geste permettra de combler des lacunes relatives à l’art allemand, notamment à la génération ayant émergé à partir du milieu des années 1960 pour atteindre la maturité dans les années 1980, à l’instar de Jörg Immendorff, Markus Lüpertz, A.R. Penck, Antonius Höckelmann ou Per Kirkeby (qui, bien que Danois, vécut longtemps en Allemagne), des artistes de tout temps ardemment défendus par le galeriste et dont il cède ici de larges et cohérentes séries de travaux de premier ordre, à la fois picturaux et sculpturaux. La donation fait également entrer dans la collection des œuvres de maîtres tels Otto Freundlich – une Composition géométrique de 1933 – et Wilhelm Lehmbruck, jusque-là absent des institutions françaises. Mais aussi, d’André Derain, pas moins de seize masques en bronze produits à partir de la fin des années 1930, et des pièces d’Étienne-Martin, Gaston Chaissac, Robert Filliou, Niele Toroni, ou encore Marcel Broodthaers et James Lee Byars.

Communauté de points de vue
Si l’une des clefs de cette générosité tient d’une communauté de points de vue entretenue de longue date avec le directeur du musée, Fabrice Hergott, elle doit aussi à l’institution elle-même. Werner aime à raconter en effet à quel point la visite de la rétrospective consacrée à Jean Fautrier en ces murs en 1964 fut essentielle pour le tout jeune galeriste qu’il était alors, ayant lui-même ouvert sa première enseigne à Berlin l’année précédente avec une exposition de Georg Baselitz. C’est le Fautrier porteur d’un romantisme sombre qui d’emblée retint son attention, et des quatre-vingts numéros exposés il fit plus tard l’acquisition de trois d’entre eux, entre autres œuvres du même artiste. Il n’est ainsi pas surprenant que ce dernier amorce la copieuse présentation avec une trentaine de travaux, sur toile ou sur papier mais aussi en bronze. Car c’est là l’une des préoccupations constantes du galeriste collectionneur que de s’intéresser pour l’essentiel à des artistes mêlant peinture et sculpture à leur pratique. Tout au long du parcours, les exemples de mixité abondent chez une grande majorité des protagonistes, révélant là un goût poussé tant pour la recherche et l’essai que pour un genre d’artistes sans limites affichées. Ceux-ci essayent et osent, comme lorsque Penck varie modes d’expression et formats en passant d’une sculpture de près de 3 mètres de hauteur (Moi-Conscience de soi, 1987) à une série de minuscules statuettes mesurant moins de 2 centimètres ; une manière également de montrer les évolutions et différents états d’une personnalité et donc de contrer une vision figée d’un travail, ainsi qu’en atteste une grande salle consacrée à Immendorff. Ces préoccupations justifient également un intérêt permanent porté à la sérialité, en ce que la répétition de thèmes ou motifs participe de l’essai et du développement d’une idée à une échelle élargie.

Primauté du corps
De là vient sans doute une folle passion avouée pour le dessin, sur laquelle est axée une grande part de la collection et dont certaines pièces remontent aux XVIIIe et XIXe siècles. « C’est la matière dont je me sens le plus proche, j’aime sa qualité et j’ai une relation psychologique et physiologique avec les œuvres sur papier ; j’ai l’habitude d’acheter vingt dessins d’une série et trente d’une autre », confie Werner. De très belles feuilles sont à glaner dans l’accrochage, notamment de formidables fusains d’Eugène Leroy, quelques sanguines d’Otto Dix, des pièces de Günter Brus, mais aussi une vaste série de dessins sur papier d’emballage de Joseph Beuys.

Se fait jour au fil de la déambulation une conviction chez Michael Werner que l’art est fait d’une « addition d’individualités », comme le note la commissaire Julia Garimorth, et non d’inscriptions dans de grands courants ou dans une histoire linéaire. Et c’est bien le sel de cette aventure que de voir les choix se situer systématiquement en marge du goût dominant. Derain ? On ne retrouve pas le fauve flamboyant mais le Derain tardif et sombre qui fut rejeté (Deux figures de la Grande Bacchanale noire, v. 1939-1941). Fontana ? N’apparaît pas l’homme du Concetto spaziale mais celui traçant des nus féminins à la gouache ou à l’encre. Picabia ? Nulle trace d’un mécanisme ou d’un dessin dadaïste mais une fabuleuse suite de tableaux plus tardifs – et récemment réhabilités – affirmant la primauté du corps.

Un corps qui, très présent dans le parcours, dialogue avec l’esprit et le domaine du sensible à travers de belles feuilles d’Henri Michaux ou des sculptures de James Lee Byars, notamment un cube en marbre de Carrare d’un mètre de côté recouvert à la feuille d’or (The Table of Perfect, 1989) et enfermé dans une Tente rouge (1989), non loin d’une boule en or mise sous cloche et intitulée La Conscience (1985) !

Alors que cette présence récurrente du corps peut interroger, sont alignés en fin de parcours trois grands bronzes de Per Kirkeby. Les analogies faites entre fragments corporels et nature semblent constituer ici d’incertaines voies de passage (Torse I et II, 1983 ; Porte I, 1987) qui, finalement, rappellent le préambule du parcours et la proximité de deux sculptures d’Étienne-Martin et de Beuys, deux artistes anti-modernistes pour lesquels l’évocation du corps et de l’esprit s’est faite à la fois organique et cosmique. La marge et l’ailleurs, des territoires pour Michael Werner...

LA COLLECTION MICHAEL WERNER

Jusqu’au 3 mars, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, av. du Président-Wilson, 75116 Paris
tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-22h.

Catalogue, éd. Paris Musées, 598 p., 53 €.

- Commissaire : Julia Garimorth

- Nombre d’artistes : 39

- Nombre d’œuvres : environ 860

Voir la fiche de l'exposition : Collection Michael Werner

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°377 du 19 octobre 2012, avec le titre suivant : Michael Werner - De la galerie au musée

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