Soutine, trop sage à l’Orangerie

Le Journal des Arts

Le 17 octobre 2012 - 807 mots

La rétrospective du peintre met en lumière une peinture saisissante, brutale et forte, malgré un accrochage un peu convenu.

Chaïm Soutine (1893-1943) est un peintre qui laisse peu de prise aux historiens de l’art. L’homme a peu parlé de sa peinture, n’a pas laissé d’écrits, ouvrant la voie aux interprétations les plus diverses et au mythe de l’artiste maudit et incompris. La rétrospective qui lui est consacrée à l’Orangerie cet automne met donc sa peinture au cœur du débat, éclairant une manière et une palette plus que singulières, entre délire et folie.

Sous-titrée « L’ordre du chaos », l’exposition bénéficie d’un noyau d’œuvres de choix : vingt-deux tableaux issus de la collection de Paul Guillaume, premier marchand, mécène et admirateur du peintre. Ces toiles aujourd’hui dans les collections du Musée de l’Orangerie forment le plus grand fonds en Europe du peintre.

Passé par l’École des beaux-arts de Vilnius (Lituanie), Soutine arrive à Paris en 1913, âgé d’une vingtaine d’années. En compagnie de quelques compatriotes, parmi lesquels le peintre Kikoïne, il trouve un logement à la Ruche, lieu cosmopolite où l’« école de Paris » est en train de prendre forme. De sa rencontre avec Modigliani naît alors une amitié forte. Le peintre italien lui fait connnaître ses premiers clients, le pousse à vendre ses premières œuvres. Mais la renommée arrive d’outre-Manche : en 1922, le collectionneur Albert Barnes, alors à la recherche de nouveaux talents pour enrichir les collections de sa demeure de Merion (Pennsylvanie), arrive à Paris. Piloté par le marchand d’art Paul Guillaume, il s’enthousiasme devant les œuvres de ce peintre alors obscur et peu social. Au point d’acquérir près de cinquante-trois tableaux, parmi la série des pâtissiers et paysages. Dans un texte très éclairant du catalogue, Sophie Krebs montre que cet achat médiatisé suscite alors une spéculation sur la cote du peintre. Sa carrière « est lancée mais sur un air de suspicion qui le poursuivra toute sa vie ».

Esthétique de la laideur
À l’Orangerie, la scénographie fait la part belle à cette peinture déchirée et torturée. Très sobre, la présentation, dont l’éclairage a été pensé avec soin, accueille sur des murs blancs les tableaux répartis en genres picturaux. En introduction figurent les portraits d’amis et de mécènes. Clin d’œil à l’amitié entre les deux peintres, un Portrait de Soutine par Modigliani ouvre le parcours. Sept tableaux composent cette section, comme autant de morceaux d’exception. Entre une Madeleine Castaing (1929, Metropolitan Museum of Art, New York), impériale dans une robe vermillon, et un Portrait de Maria Lani (1929, Met), le génie et l’incroyable qualité de Soutine comme portraitiste sont évidents. L’auteur se fait presque caricaturiste dans le rendu des caractères et transforme le portrait en étude psychologique.

Viennent ensuite ses paysages chaotiques et déformés, comme tout droit issus d’un tremblement de terre fantastique : dès 1918, les chemins sinueux de la campagne prennent un envol irréel pour devenir, quelques années plus tard, des paysages sens dessus dessous, où les masures illuminées de couleurs se tordent dans une sorte de chorégraphie insensée. Dans La Route folle à Cagnes, La Gaude (1923, coll. part.), on chercherait en vain une construction rationnelle. Tout y est mouvement, couleur, défi, dans une atmosphère enfiévrée. L’exposition met en avant le travail sériel de Soutine, notamment au travers du motif de l’arbre, occasion pour le peintre d’exécuter des tableaux de tempête, à l’image de l’Arbre dans le vent (1939, coll. particulière).

Les natures mortes le confrontent à Chardin, comme dans Nature morte à la raie (1923, Cleveland Museum, Ohio), et à Rembrandt dans sa saisissante série de bœufs écorchés, à laquelle appartient le monumental Bœuf écorché du Musée de Grenoble (vers 1925). Le rouge sang envahit l’espace, le trait se fait brutal : ce même rouge sang que l’on retrouve dans la série des « Enfant de chœur » réalisée à la même époque. Il y a du Greco chez Soutine, une distorsion hallucinée alliée à un trait vif et une palette brute, qui confère à ses figures, dans la dernière partie du parcours, une vitalité hors norme. Soutine crée sa propre esthétique de la laideur, et le soin apporté au choix du corpus de l’exposition met en lumière cette beauté hideuse, presque contre-nature. Mais le découpage en genres, s’il atteste du classicisme de l’œuvre de Soutine, nuit à la rencontre avec cette peinture. Comme s’il y avait trop d’ordre dans ce chaos.

CHAIM SOUTINE (1893-1943) L’ORDRE DU CHAOS

Jusqu’au 21 janvier 2013, Musée de l’Orangerie, jardin des Tuileries, place de la Concorde, 75001 Paris
tél. 01 44 77 80 07, www.musee-orangerie.fr, tlj sauf mardi et jours fériés, 9h-18h. Catalogue, coéd. Musée d’Orsay/Hazan, 176 p., 35 €.

- Commissariat général : Marie-Paule Vial, directrice du Musée de l’Orangerie, assistée de Claire Bernardi, conservatrice au Musée d’Orsay

- Nombre d’œuvres : 63

Voir la fiche de l'exposition : Chaïm Soutine : L'ordre du chaos

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°377 du 19 octobre 2012, avec le titre suivant : Soutine, trop sage à l’Orangerie

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