Art contemporain

Trois artistes dont le jeu est le support de la création

Par Anne-Charlotte Michaut · L'ŒIL

Le 4 septembre 2023 - 768 mots

Certains créateurs ont fait de ce média le support de leur œuvre, tirant parti de ses ressorts particuliers. Portraits de trois d’entre eux.

Neïl Beloufa, un projet interactif à la manière d’un parc d’attraction

« Je ne veux plus jamais faire quelque chose qui ne soit pas disponible sous forme d’expérience online d’une manière ou d’une autre », affirme l’artiste Neïl Beloufa (né en 1985). Cherchant à explorer dans ses films, installations ou sculptures les problématiques sociétales avec « une distance critique », il se tourne tout entier vers le digital, qui correspond à « la très grande majorité des consommations culturelles actuelles ». En 2014, il a créé la mini-série Screen Talk, une fiction humoristique qui raconte l’arrivée d’une épidémie mondiale créant la panique auprès de la population, contrainte de communiquer par écrans interposés. Quelques années plus tard, le Covid-19 donne à ce récit dystopique des airs de réalité. C’est à ce moment-là qu’il décide de rendre le projet interactif en en faisant une « version parc d’attraction ». Screen Talk est alors devenu jeu vidéo interactif disponible en ligne, avec des quiz qui permettaient de gagner des points et pouvaient faire gagner une œuvre d’art papier certifiée par la blockchain. En version installation, c’est toujours la notion d’interactivité qui prime, avec la présentation d’écrans sur lesquels le visiteur peut choisir les épisodes de la série qu’il a envie de regarder, et des bornes de jeux d’arcade qui permettent aux visiteurs d’y jouer.

Ismaël Joffroy Chandoutis, Il floute les frontières entre le jeu et le réel

Artiste et cinéaste formé au montage et à la réalisation, Ismaël Joffroy Chandoutis est depuis toujours fasciné par les jeux vidéo, qui étaient « méprisés en tant qu’objet culturel dans les années 1990 ». Dès l’âge de 18 ans, il réalise des « machinimas », des films réalisés à partir de logiciels 3D de jeux vidéo servant à créer des images tridimensionnelles et détournés afin de reproduire l’univers virtuel du jeu en question (les décors, les personnages, etc.). Grâce à cette méthode de production, Ismaël Joffroy Chandoutis n’a pas besoin d’avoir recours à des processus techniques complexes d’animation et peut « inventer le film en passant du temps dans le monde virtuel, sans storyboard ni scénario ». À l’intérieur de cet univers virtuel, l’artiste opère tel un documentariste. En témoigne notamment son film Swatted, qui s’intéresse au « swatting », une forme de cyberharcèlement consistant à appeler les secours pour faire intervenir la police au domicile d’autres joueurs en train de se filmer en direct. Pour ce projet hybride, il a d’abord réalisé un long travail de collecte de témoignages et de vidéos en ligne, puis a travaillé avec des communautés de joueurs qui l’ont aidé à détourner le jeu Grand Theft Auto V. Souhaitant apporter une dimension métaphorique, il a dépouillé le jeu de nombreuses textures visuelles pour n’en conserver que les éléments filaires, conférant à l’image une esthétique minimaliste faisant écho aux réseaux. Des scènes de « swatting » filmées en direct sont également incorporées dans le film, floutant les frontières entre le jeu et le réel. Poursuivant ses recherches sur notre rapport aux technologies et au virtuel, il travaille actuellement à un projet qui s’intéresse à « la violence du cyberharcèlement et la gravité de la désinformation ».

Mimosa Echard une œuvre d’art totale

Lors de sa résidence à la Villa Kujoyama (Japon), en 2019, Mimosa Echard (née en 1986), une plasticienne lauréate du dernier Prix Marcel Duchamp, se passionne pour les myxomycètes, des organismes unicellulaires capables de se métamorphoser plusieurs fois dans leur vie. À rebours de l’univers très masculin du gaming, elle crée avec une amie développeuse Sporal, un jeu vidéo qui traite de « plein de formes d’identité », en proposant de déambuler dans « les cavités d’un organisme en perpétuelle transformation ». Les différents niveaux sont inspirés du cycle de vie des myxomycètes. Avec ce premier jeu vidéo, elle souhaite faire « quelque chose d’un peu pop », qui se démarque des recherches « art et science » et qui puisse s’adresser à la fois à des personnes venant du milieu de l’art et de celui du gaming. Si Mimosa Echard considère le jeu vidéo comme « une œuvre d’art totale », elle dit ne pas être convaincue par l’interactivité dans un espace muséal. Dès lors, Sporal est disponible en accès libre sur Internet, afin que chacun y joue chez soi et que l’expérience reste intime. Pour prolonger le projet, et fidèle à son attachement pour la notion de communauté, elle a demandé à trois streameuses de tester le jeu et de filmer leurs parties. Avec ces vidéos présentées côte à côte sous forme d’installation, nous sommes guidés par ces expertes qui communiquent leur expérience du jeu et dont les communautés réagissent en direct.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°767 du 1 septembre 2023, avec le titre suivant : Trois artistes dont le jeu est le support de la création

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