Sébastien Genvo : « Les jeux sont la première forme de création de l’humanité »

La notion de jeu vidéo se transforme énormément. Il y a 20 ans, elle renvoyait au divertissement. Aujourd’hui, le jeu n’est pas forcément opposé au sérieux. Pour le différencier de la simulation, il faut insister sur le fait qu’il a pour but de faire adopter une attitude ludique à quelqu’un. C’est un fait de communication : créer un jeu vidéo consiste à partager l’idée qu’on se fait du jeu ici et maintenant. Autrement dit, est jeu ce qui est expérimenté comme tel par le joueur.

La vraie question, pour un game designer est de faire passer un message par le jeu. Cette spécificité permet d’amener le joueur à réfléchir aux conséquences de ses actes, chose qu’on peut très difficilement faire au cinéma ou en littérature. Le pédiatre et psychanalyste Donlald Winicott disait que jouer est de l’imaginaire en acte. C’est ce qui rapproche le jeu de la fiction, et fait sa force : on est dans le « faire comme si », mais on n’est jamais coupé du réel. Tout l’art du game design est de maintenir le jeu dans cet entre-deux. Quand le joueur est trop du côté du réel, il ne joue pas, mais s’il s’identifie trop, il perd la notion de la réalité. Lie in my Heart, le jeu que j’ai créé en 2019, s’intéresse à ces questions. Parce qu’il s’agit d’une autobiographie, il propose un paradoxe très stimulant en termes de création : comment faire jouer sur la base d’un récit intime, qui invite à réfléchir à la vie et à la mort ?

Tout médium a une généalogie. Quand le cinéma est apparu, il faisait référence au théâtre pour se légitimer. Je n’aime pas dire que le jeu vidéo est un art, car la question de l’art est pour moi celle des institutions. Ce qui m’intéresse plus, c’est de sonder le jeu comme forme d’expression pour le joueur et pour le créateur. Les jeux sont la première forme de création et d’expression de l’humanité et, paradoxalement, ce sont les objets les plus déconsidérés en termes de création.