Le printemps des continents

Les Papous à Marseille, la Colombie à Paris

Le Journal des Arts

Le 14 avril 2000 - 1090 mots

C’est une figurine de terre cuite qui est devenu emblématique du pavillon des Sessions du Louvre et du futur musée du quai Branly. Le choix de cette statuette ChupÁ­cuaro rappelle combien la France est pauvre en collection d’objets des Amériques. Pour découvrir l’art des autres continents, les expositions temporaires restent incontournables. Et au moment où l’antenne du Louvre est inaugurée, plusieurs manifestations françaises s’intéressent aux créations des civilisations précolombienne, océanienne et africaine.

Avec l’exposition “Les Esprits, l’Or et le Chamane”, au Grand Palais, la présentation d’objets provenant du Musée de l’Or de Colombie, à Bogota, ne se veut pas uniquement une sélection d’œuvres du nord des Andes, produites entre 1 000 ans av. J.-C. et 1 500 ap. J.-C. Les quelque trois cents objets d’or, mais aussi de céramique ou de pierre, qui constituent ce trésor ne sont pas à regarder comme de simples bijoux, quoique la virtuosité de leur réalisation technique suffirait à elle seule à susciter l’admiration. À travers cette exposition, c’est le point de vue précolombien qui est mis en avant : pour les indigènes, l’or n’était pas une valeur marchande. Indissociable de l’énergie du soleil, source de vie, le métal était associé à certains rituels ; grâce à l’or, les prêtres, les chamanes, pouvaient entrer en relation avec le monde des esprits. La plupart des objets exposés font référence aux animaux qui étaient considérés comme les formes terrestres des esprits, des divinités des forces cosmiques ou des morts. Ces animaux étaient donc détenteurs de connaissances et, pour les consulter, bénéficier de leurs conseils, les chefs religieux devaient se métamorphoser. La transformation physique du chamane passait par l’or, ce qui explique l’importance des ornements et des accessoires en or évoquant les plus puissants prédateurs, mais aussi le passage de l’aspect humain à celui de l’animal, en particulier les oiseaux ou la chauve-souris. Le “vol chamanique”, un déplacement mental à travers l’espace et le temps, était rendu possible par l’absorption de plantes psychotropes et la méditation. Ce n’est que paré d’or et en état de transe que le chamane, devenu homme-jaguar ou homme-oiseau, pouvait alors rencontrer les esprits et résoudre les problèmes de la communauté. L’or et le chamane étaient garants de l’équilibre du monde.

De telles pratiques ont été vues comme véritablement sataniques par les Européens arrivant sur le continent américain, au XVIe siècle. Dès lors, les missionnaires ont éradiqué le pouvoir religieux indigène, les objets d’or ont été dispersés et fondus, les cachettes pillées, et ce jusqu’au XXe siècle. La valeur symbolique et magique du métal a disparu dans la fièvre de l’or, anéantissant une conception du monde dont ne subsistent aujourd’hui que de rares témoins.

Quelques pièces mélanésiennes sont présentées au pavillon des Sessions. Avec la grande exposition organisée par le Musée d’arts africains, océaniens et amérindiens de Marseille, une vision plus large des cultures d’une des plus grandes îles du monde est maintenant possible. Intitulée “Art Papou, Austronésiens et Papous de Nouvelle-Guinée”, cette présentation de 350 objets d’art de Mélanésie – qui relève davantage de l’histoire de l’art que de l’ethnologie – rassemble des pièces venues de divers musées d’Europe, d’Australie et des États-Unis, ainsi que de collections privées. La majorité des œuvres sont anciennes et exceptionnelles, compte tenu de la fragilité des matériaux qui les composent. Les techniques mises en œuvre et surtout la diversité des matériaux employés provoquent une émotion esthétique : bois, fibres, plumes, coquillages, toiles d’araignée, écorces battues, argile ont donné naissance aux formes les plus diverses. Les représentations élémentaires deviennent complexes, la simplicité chargée de symboles, les formes abstraites se révèlent figuratives. Mettre en évidence la qualité plastique de ces masques, statuettes, tambours, et boucliers était la volonté première des commissaires de l’exposition.

Pourtant, une telle diversité artistique s’explique également par la configuration géographique de la Papouasie Nouvelle-Guinée. L’île elle-même est un véritable petit continent, avec une grande variété de paysages, de végétaux et d’animaux, qui ont une part importante dans l’élaboration des objets aujourd’hui en vitrine. Les populations de cette région ont toujours été décrites comme des petites unités assez isolées, formant une sorte de mosaïque culturelle et linguistique. De ce constat est venue l’idée d’établir une géographie des objets selon une carte des répartitions linguistiques. Ainsi, le parcours de l’exposition fait que l’art des Papous et celui des Austronésiens sont présentés séparément. Les ethnologues et les historiens considèrent que les Papous étaient les premiers occupants de l’île. L’arrivée des Austronésiens s’est faite beaucoup plus tardivement, il y a environ 7 000 ans, et de manière tout à fait progressive. Fameux navigateurs, ils ont sans doute largement participé au peuplement des archipels océaniens. Les relations avec les autres îles de Mélanésie sont illustrées dans l’exposition : plusieurs objets viennent de Nouvelle-Irlande, de Nouvelle-Bretagne, des Trobriand..., mais ce contexte historique et environnemental est évoqué dans un parcours parallèle. Derrière les vitrines, dans un espace réservé, des ordinateurs permettent non seulement de trouver des informations sur les œuvres, mais également de manipuler l’objet au moyen d’une image virtuelle, autorisant presque ce que le musée ne peut accorder : la vision par chacun d’une pièce sous tous les angles. Une exposition de photographies prises sur le terrain par Eduald Serra entre 1950 et 1960 permet également d’évoquer un contexte si proche dans le temps et déjà presque disparu.

Dans le hall du Musée de l’homme, à Paris, “De la danse à la sculpture” s’attache à changer le regard porté sur les objets à partir de photographies confrontées à des sculptures africaines. Trop longtemps qualifiés de hiératiques, les statuettes et les masques évoquent le mouvement et la danse. Genoux fléchis, bras écartés du corps, taille cambrée et buste incliné animent les formes exprimées dans le bois ou le métal. L’importance de l’art éphémère de la danse en Afrique est mis en valeur avec le concours du chorégraphe ivoirien Alphonse Tiérou.

- LES ESPRITS, L’OR ET LE CHAMANE, MUSÉE DE L’OR DE COLOMBIE, jusqu’au 10 juillet, Galeries nationales du Grand Palais, place Clemenceau, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, tlj sauf mardi 10h-20h, mercredi 10h-22h.
- ART PAPOU, AUSTRONÉSIENS ET PAPOUS DE NOUVELLE-GUINÉE, 19 avril-30 août, Musée des arts africains, océaniens et amérindiens, Centre de la Vieille Charité, 2 rue de la Charité, 13002 Marseille, tél. 04 91 14 58 38, tlj sauf lundi 10h-17h jusqu’au 30 juin, 11h-18h jusqu’au 30 août.
- DE LA DANSE À LA SCULPTURE, UN AUTRE REGARD SUR L’ESTHÉTIQUE AFRICAINE, jusqu’au 20 mai, hall du Musée de l’homme, 17 place du Trocadéro, 75116 Paris, tél. 01 44 05 72 42, tlj sauf mardi 9h45-17h15, accès libre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°103 du 14 avril 2000, avec le titre suivant : Le printemps des continents

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