L’Océanie prend le large

Un marché en forte croissance

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 14 avril 2000 - 869 mots

Masques, boucliers et statuettes obtiennent depuis quelques années des prix très élevés en vente publique, signe que l’art océanien connaît un succès croissant auprès des collectionneurs. Ce marché, non spéculatif, se partage entre New York et Paris, où se tiennent des salons d’art primitif et d’importantes ventes publiques.

Figures emblématiques du Surréalisme, Tristan Tzara et André Breton ont contribué à populariser l’art océanien, qu’ils collectionnaient tous les deux ; Breton aimait le côté imaginatif de ces créations.

Le marché, en forte croissance depuis trois ou quatre ans, se partage entre New York et Paris, où se déroulent les ventes les plus importantes, mélangeant objets d’art africain, précolombien et océanien. Christie’s a ouvert à Amsterdam un département d’Art primitif où elle organise quelques vacations spécialisées en attendant de pouvoir vendre à Paris. Sotheby’s organisera le 19 mai, à New York, une vente d’arts premiers (africain et océanien), suivie le 26 juin, à Melbourne, par une vente d’art aborigène. À Paris, Me Charbonneaux dispersera le 21 avril un important ensemble d’art tribal comprenant quelques objets d’art du Pacifique.

L’Océanie, immense espace de 9 millions de km2, a été artificiellement scindé en 1831, par l’explorateur français Dumont d’Urville, en trois zones géographiques : la Mélanésie, la Polynésie et la Micronésie. Pour le marchand Anthony Meyer, il existe des caractéristiques artistiques propres à chacun de ces espaces. “Les pièces mélanésiennes sont très sculpturales, expressives, colorées et chargées d’une profusion décorative. Les objets polynésiens, plus sobres, se caractérisent par des forme très pures. Les sculptures de ces îles, peu nombreuses, sont plus compactes et hiératiques. L’art de la Micronésie est, lui, minimaliste et épuré”, explique-t-il.

La plupart des objets d’art océanien proposés sur le marché datent de la seconde moitié du XIXe siècle et du début du XXe. Les plus recherchés sont les objets cultuels : masques, statuettes, figures d’ancêtre, Tiki. Très décoratives, ces pièces avaient aussi des fonctions précises. Certaines visaient à honorer les morts ou les vivants, d’autres à susciter des récoltes abondantes. Les Tiki – on en trouve en pierre, en jade, en ivoire, en os de baleine ou en bois – s’apparentent à des fétiches et permettent d’attirer le bonheur ou de se protéger contre des phénomènes naturels tels que l’orage et le tonnerre. Les pièces les moins travaillées se négocient autour de 5-6 000 francs ; les plus belles et les plus anciennes, en jade, peuvent se vendre jusqu’à 300 000 francs.

Les masques, recherchés pour leurs qualités décoratives, figurent parmi les pièces les plus prisées des collectionneurs et obtiennent des prix élevés en vente publique. Ainsi, un masque Malangan de Nouvelle-Irlande a été adjugé 330 000 francs en juin 1998, chez Me Ricqlès. Cette pièce “surréaliste”, haute de 64 cm, aux couleurs rouge, blanc et noir, montre un visage entouré de serpents jaillissant de la bouche de petites statuettes, à côté de poissons volants et d’un oiseau piquant de son bec le nez du visage. De facture plus classique, un masque archaïque du Vanuatu, à la patine noire croûteuse, a réalisé 400 000 francs en juin 1999, à Paris. Les masques se sont beaucoup enchéris ; une pièce de ce type se serait vendue environ 200 000 francs il y a dix ans. Présenté dans la même vente Ricqlès, à Drouot Montaigne, un autre masque de cette région, qui rappelle certaines sculptures cycladiques, est parti à 320 000 francs. “L’art du Vanuatu, très expressif et un peu grotesque, a longtemps été boudé par les collectionneurs. Les expositions qui lui ont été consacrées en 1996 en Polynésie et en 1997 à Paris ont renversé la vapeur”, explique  Anthony Meyer, qui organisera du 8 juin au 15 juillet, pour les vingt ans de sa galerie, une exposition de spatules à chaux de la région de Massim (Papouasie Nouvelle-Guinée).

Les sculptures se négocient entre 50 000 et 500 000 francs, en moyenne, selon leur qualité et leur ancienneté. Une tête d’oiseau en bois provenant de Nouvelle-Irlande, décorée de fibres végétales, a été adjugée 71 000 francs au printemps dernier, et en juin 1998, à Drouot Montaigne, une femme-oiseau de Nouvelle-Guinée, présentant un beau décor sculpté en forme de vagues s’était vendue 400 000 francs.

Les objets guerriers sont, eux aussi, de plus en plus demandés. Les lances qu’Anthony Meyer présentait sur son stand de la foire de Maastricht, au mois de mars, sont parties très vite. Ces pièces se négocient entre 3-4 000 francs et quelques dizaines de milliers de francs, en fonction de leur ancienneté et de leur décoration. Pour les boucliers, très appréciés en raison de leurs qualités décoratives, les prix vont de 25 000 à 300 000 francs. Un grand bouclier en bois (1,60 m de haut) aux dessins géométriques de couleur ocre, blanc et noir, a été cédé 19 500 francs au printemps 1998 à Paris ; un bouclier Asmat de Nouvelle-Guinée de la fin du XIXe siècle se négocie en galerie autour de 45 000 francs. Les massues ou casse-tête partent entre 5 000 et 15 000 francs ; une massue des îles Salomon en forme de poisson stylisé a été adjugée 7 200 francs en juin dernier, à Drouot Montaigne. Les pièces plus finement sculptées, comportant des représentations humaines, peuvent aller jusqu’à 25 000 francs.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°103 du 14 avril 2000, avec le titre suivant : L’Océanie prend le large

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