Vraies et fausses questions

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 1 mars 1997 - 478 mots

Avec l’approche de l’ouverture du marché à la concurrence anglo-saxon­ne s’exacerbe une pensée (presque) unique, qui se résume approximativement dans le dialogue suivant : \"Donnez-nous (qui ?) les moyens (lesquels ?) de lutter à armes égales avec les Anglo-Américains\". À cette apostrophe réitérée est soudée une réponse appro­priée : \"Tout le mal vient des distorsions fiscales et parafiscales qu’il convient de supprimer\". À quoi les politiques français répondent que tout se décide désormais à Bruxelles. Vraie ou fausse question ?

Fausse, car lorsque les Britanniques viendront frapper du marteau à Paris, ils seront logés à la même enseigne fiscale que leurs homologues français et, comme tout le monde, enseigneront à leurs clients les subtilités de la taxe forfaitaire, du droit de suite et de la TVA. Vraie, parce que les œuvres bougent plus facilement que les études, et parce que les vendeurs des objets les plus importants connaissent le marché international et tiennent compte des disparités fiscales. On peut au moins espérer que l’installation des Britanniques accroîtra la solidarité des professionnels européens et leur capacité à influer sur les décisions des administrations française et bruxelloise. C’est ce qui vient de se produire pour le droit de suite. Il est légitime de penser aussi que Christie’s et Sotheby’s souhaitent un réel développement à Paris, ce qu’accréditeraient leurs investissements importants – qui ne semblent pas en trompe-l’œil – pour se doter d’espaces de vente. Dans cette hypothèse, leurs équipes à Paris devront être solidaires des professionnels français, et leur discours devra s’infléchir pour expliquer que vendre à Paris n’est pas nécessairement une catastrophe fiscale.

Surgissent alors d’au­tres questions, en particulier sur les conditions de mise en œuvre de la réforme, et notamment de l’indemnisation. Selon ses modalités, l’indemnisation peut dynamiser les études ou au contraire encourager l’attentisme. Dans ce sens, il est inquiétant de lire dans une réponse de Bercy à un parlementaire que "le fait générateur des versements effectués aux commissaires-priseurs est l’indemnisation d’un préjudice (...) et ne peuvent servir, de ce fait, à alimenter un fonds de restructuration de la profession". Si, en droit, la réponse semble fondée, elle manifeste une approche du "chacun pour soi" qui augure mal de la dynamique attendue. D’autres modalités de la réforme, en fonction de leur transcription, pourraient la transformer en un labyrinthe qui pérenniserait le monopole et une attitude défensive du marché. C’est le cas, par exemple, des dispositions imposant dans les statuts la mention des lieux de vente et des porteurs de marteau.

Comme il devient de plus en plus évident que le contribuable devra mettre la main à la poche, il est clair que l’indemnisation devra être modulée pour encourager l’investissement. Sinon, en pleine "fracture sociale", la légitimité même d’une indemnisation risque d’être discutée. Bref, il est urgent que les études françaises, en affichant leurs projets, montrent que la réforme n’est pas une fin en soi mais un commencement.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°34 du 1 mars 1997, avec le titre suivant : Vraies et fausses questions

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