Un bien curieux nouveau musée russe dédié au peintre Anatoli Zverev

Par Emmanuel Grynszpan, correspondant à Moscou · lejournaldesarts.fr

Le 4 juin 2015 - 818 mots

MOSCOU (RUSSIE) [04.06.15] - Quasi SDF de son vivant selon la légende, le peintre russe Anatoli Zverev décédé il y a 30 ans, se voit consacrer un luxueux musée privé en plein centre-ville, riche de plus de 1500 œuvres du peintre. Les visiteurs, apprécieront, ou pas, la musique envahissante qui sonorise les salles d’exposition.

De riches mécènes privés russes ont offert un toit à l’oeuvre du peintre non-conformiste Anatoli Zverev (1931–1986). AZ Museum a ouvert la semaine dernière en plein centre de Moscou, non loin de la place Pouchkine. Les trois étages du musée sont entièrement dédiés à l’oeuvre de ce personnage très connu, qualifié de « Daumier russe » par Jean Cocteau. Figure de l’artiste bohème par excellence, Zverev a grandi et vécu dans l’extrême pauvreté, mais laisse derrière lui un imposant catalogue de 30 000 oeuvres, peintures, aquarelles et dessins.

Selon la légende, il n’avait aucun intérêt pour le confort et la possession d’objet. Vivant de bouts de ficelle, ne sachant pas où il allait dormir le soir même, il vivait des aides d’un groupe d’amis à peine plus argentés que lui. Il distribuait ses oeuvres, qu’il peignait à une vitesse prodigieuse et en nombre considérable, autour de lui.

Ce « clochard céleste » hérite d’un musée qui ne lui ressemble guère. Tout un bâtiment de trois étages, entièrement refait à neuf, surmonté d’une agréable terrasse. Le design intérieur léché traduit l’opulence de ses propriétaires. L’agencement et l’usage immodéré de projections multimédia traduisent un goût pour le clinquant et la mode. La volonté d’être au goût du jour et d’attirer un large public va jusqu’à sonoriser toutes les salles avec une musique originale composée par Iraïda Ioussoupova. Tantôt jazzy, tantôt électronique, mais toujours envahissante voire intrusive, elle résonne bizarrement avec le trait léger et intemporel de Zverev. D’après Olga Bogomolova, une spécialiste du peintre employée par AZ Museum, « chaque exposition sera accompagnée d’une musique originale ». Et tant pis pour ceux qui préfèrent admirer les peintures en silence. En revanche, l’éclairage est soigneusement réglé pour un confort visuel total sur l’ensemble des 600 m².

La collection du musée a déjà réuni 1500 oeuvres de Zverev, plus 500 oeuvres d’artistes de son cercle de connaissance (dont les plus connus sont Oskar Rabin et Vladimir Nemukhin). « Les oeuvres d’autres artistes seront exposées dans d’autres lieux, car AZ Museum restera strictement réservé à Zverev », explique Bogomolova. Deux collections sont à l’origine du musée : celle de Natalya Opalova, dont on ne sait pas grand chose, hormis le fait qu’elle dispose de beaucoup d’argent et est la principale mécène du musée. L’autre vient du collectionneur russe d’origine grecque George Costakis (1913-1990), dont la fille a donné près de 700 oeuvres au musée. Pour la somme investie dans le projet et son origine, c’est motus et bouche cousue. Selon la version russe de The Art Newspaper, le bâtiment seul a une valeur comprise entre 15 et 20 millions de dollars. Quant aux oeuvres de Zverev acquises par le musée, la fourchette des prix va de 200 à 100 000 dollars, indique Olga Bogomolova.

La première exposition du AZ Museum se veut biographique, à travers les portraits de personnes ayant joué un rôle important dans la vie de Zverev. Mécènes, muses, diplomates étrangers, amis et artistes. Très prisé par l’étroite « jet-set » moscovite des années 60-70, il aurait été introduit clandestinement dans l’ambassade de France pour y réaliser les portraits de plusieurs diplomates (qu’on peut admirer dans l’exposition présente).

Artiste non-conformiste, associé à la Seconde avant-garde russe, il a évolué d’un style tachiste vers une peinture expressionniste. Confronté en 1958 à l’oeuvre de Jackson Pollock et d’autres peintres abstraits américains, lors d’une exposition exceptionnelle à Moscou, il aurait déclaré en substance qu’il « n’y a rien de nouveau là-dedans, je fais du tachisme depuis longtemps ». A la différence de son compère Igor Nemoukhine, autre figure de l’art non-conformiste soviétique, Zverev ne semblait guère se soucier des tendances de l’art mondial. Il suivait sa propre voie et ne peut être rattaché à une autre tendance esthétique.

Sans surprise, la créativité débridée de Zverev a toujours grandement déplu aux autorités et aux artistes officiels. Unanimement rejeté par la nomenklatura, il était réduit à exposer chez des amis et n’a eu droit qu’à une seule exposition « autorisée » en 1984, peu avant sa mort. A l’étranger, Paris et Genève ont eu la primeur de son oeuvre lorsque le chef d’orchestre franco-suisse Igor Markevitch a convaincu la galerie Motte d’exposer ses oeuvres en 1965. La légende dit que Markevitch aurait littéralement séquestré Zverev dans sa chambre de l’hôtel Metropol, afin que ce dernier peigne des oeuvres spécialement pour Motte. Le MOMA a commencé à acquérir des oeuvres de l’artiste à la même époque. Aujourd’hui, ses oeuvres sont entrées dans les collections des principaux musées d’Etat russes, mais figurent dans une poignée seulement de musées occidentaux, et nulle part en France.

AZ Museum
Moscou, 20-22 2nde rue Tverskaya-Yamskaya
T : 7 (495) 495-5526
www.museum-az.com

Légendes photos
Vue d'une salle du AZ Museum © Photo AZ Museum
Façace du AZ Museum © Photo AZ Museum

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque