Patrimoine

Syrie

Un colloque à Damas sur la résilience du patrimoine

Par Marie Zawisza · Le Journal des Arts

Le 14 février 2017 - 1310 mots

DAMAS / SYRIE

Dans un pays ravagé par la guerre, un colloque scientifique s’est tenu à Damas en décembre dernier. Sans tromper sur son affichage politique, il a permis de prendre la mesure des atteintes au patrimoine.

SYRIE - Palmyre saccagée par Daech [acronyme arabe de l’organisation État islamique], les sites archéologiques pillés, la vieille ville d’Alep bombardée… Ces destructions spectaculaires font les « unes » des médias. D’autres, moins visibles, collatérales, menacent également les sites syriens. Pour établir des « propositions pour la résilience du patrimoine syrien », un colloque scientifique international a été organisé par la Direction générale des antiquités et des musées de Syrie (DGAM) à Damas en décembre 2016. Une centaine de personnes ont assisté aux travaux, parmi lesquels des archéologues, architectes, universitaires, représentants d’associations, étudiants et membres individuels de l’Icomos, cette organisation internationale non gouvernementale œuvrant à la conservation des monuments et des sites historiques.

Sur la vingtaine de participants internationaux venus échanger avec les experts syriens du patrimoine, rares étaient ceux à avoir pu se rendre à Damas depuis le début de la guerre. Une occasion de prendre la mesure non seulement des destructions engendrées par la guerre et les pillages, mais aussi des conséquences indirectes du conflit, qui fragilisent à court et long terme des sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco.

Des maisons inflammables
La vieille ville de Damas est aujourd’hui très appauvrie par la guerre. Les combustibles nécessaires au chauffage des habitations et des commerces manquent : Daech contrôle désormais les grands barrages de l’Euphrate et de nombreux champs de gaz. La population, parmi laquelle on recense de plus en plus de personnes déplacées, expérimente de nouveaux moyens de se chauffer, avec du mazout, du gaz ou des branchements électriques anarchiques. Par ailleurs, le vieillissement, le manque d’entretien et diverses adjonctions affaiblissent le bâti. Les services municipaux chargés des contrôles semblent relâcher leur vigilance.

Conséquence, plusieurs incendies se sont spontanément déclarés depuis un an dans les souks de ce quartier de la capitale classé au patrimoine mondial. « Les maisons de la vieille ville ont généralement des ossatures en bois, et leurs matériaux sont inflammables. Alors qu’on avait endigué les incendies depuis une dizaine d’années, plusieurs feux se sont succédé ces derniers mois », a pu observer Samir Abdulac, président du groupe de travail de l’Icomos sur la sauvegarde du patrimoine culturel en Syrie et en Irak. Un important bâtiment du XIXe siècle qui abritait jadis la banque ottomane et des boutiques dans les souks ont ainsi été détruits par les flammes.

Or, ce risque incendiaire qui continue de planer sur la vieille ville de Damas est accentué par la pénurie d’eau potable, une source ayant été coupée par un groupe rebelle. La pression de l’eau dans le réseau et les bornes incendie de la vieille ville est insuffisante. Pour limiter les risques, un fourgon d’incendie doit stationner en permanence près de la mosquée des Omeyyades.

Quant aux reconstructions des bâtiments endommagés, elles souffrent, elles aussi, de la guerre. Les autorités municipales favorisent une reprise des activités rapide. « Cependant, même les réparations les plus simples deviennent difficiles dans le contexte actuel. Le caractère du bâti, les détails, les matériaux ne sont guère respectés », explique Samir Abdulac. Ainsi, une demi-douzaine de boutiques du souk couvert Al-Hamidiyeh à Damas, ravagées par les flammes en 2016, ont été restaurées mais non dans le respect de la qualité patrimoniale : de « nouveaux stores métalliques », sans rapport avec les colonnes de pierre, assurent désormais leur sécurité. Et partout, « lorsqu’un pan de mur en brique tombe, il est rebâti à l’aide de ciment », constate Samir Abdulac.
Mais les conséquences indirectes de la guerre risquent de se révéler plus préoccupantes encore sur le long terme. En effet, de nombreux artisans, porteurs d’un savoir-faire ancestral, ne pratiquent plus leur métier, devenus inutile dans un pays en guerre. Pis, ils ne transmettent plus leurs compétences aux nouvelles générations. Or l’artisanat constitue une part importante du patrimoine syrien. Exemple, à Alep, les demeures traditionnelles étaient décorées de panneaux de bois sculptés. Dans l’est de la ville où les maisons ont été désertées par leurs habitants, ces panneaux ont été démontés par les groupes armés. Les fabriquer à nouveau une fois la paix revenue coûterait une fortune…, mais surtout, les artisans capables de les sculpter seront-ils encore vivants, présents dans le pays, et assez nombreux ?

Contrairement au bâti vernaculaire, les monuments sont restaurés avec soin par la DGAM chaque fois que la situation le permet – à l’exemple de la mosquée des Omeyyades de Damas lorsqu’une de ses façades fut touchée par des coups de mortier. Mais des pratiques illégales rendues possibles par un contexte de guerre dégradent les sites et leur environnement. Un peu partout dans le pays, dans les villes, des bâtiments ont été surélevés à proximité de monuments classés, et dans les campagnes, des habitations anarchiques se sont implantées non loin de sites archéologiques. Il est peu probable que les autorités, quelles qu’elles soient, prennent le risque de s’aliéner la population en les détruisant une fois la paix revenue. Par ailleurs, au nord de la Syrie, des familles se sont installées dans les villages antiques avant que les éventuels dégâts causés par cette occupation aient été évalués.

Développer d’autres économies que le tourisme
Enfin, la DGAM est actuellement préoccupée par un projet turc de modification du cours du Tigre, qui risque de faire disparaître le pont d’Ain Dewar datant de l’époque seldjoukide au nord-est du pays. « Concernant ses projets hydrauliques, la Turquie n’a jamais eu de bonne concertation avec les pays situés en aval », observe Samir Abdulac. La guerre et l’interruption des relations diplomatiques empêchent tout contact, même pour la restitution d’antiquités volées en Syrie.
Conscients des blessures profondes et parfois encore invisibles infligées à leur patrimoine, les Syriens préparent ainsi l’après-guerre en cherchant à développer d’autres objectifs économiques que le seul tourisme culturel. Ainsi, une étude menée au sein de la faculté d’architecture de l’université de Damas sur la planification régionale autour de Palmyre après guerre envisage pour le site une rupture d’avec le tourisme, en imaginant la création de réserves naturelles et le développement d’énergies alternatives à l’échelle du pays. Au cas, sans doute, où le pire arriverait…

La reconstruction d’Alep n’est pas encore à l’ordre du jour

Ligne de front entre forces loyalistes et rebelles, la vieille ville d’Alep aurait perdu un tiers de son bâti ; un autre tiers aurait été endommagé. Sa reconstruction, évoquée à l’occasion du colloque de Damas, s’annonce des plus difficiles. « Dans le tissu d’une ville orientale, les monuments – mosquées, églises, souks, bains, caravansérailsÂ… — sont imbriqués au bâti vernaculaire : on ne peut pas penser aux monuments sans prendre en compte les habitations ordinaires », explique Samir Abdulac, vice-président du comité scientifique international de l’Icomos pour les villes et les villages historiques. Pour l’heure, des aides ponctuelles sont octroyées pour les restaurations urgentes. Une réhabilitation plus globale devra sans doute impliquer la population. Concernant les financements, l’Aga Khan Trust for Culture aurait manifesté sa volonté de prendre en charge la restauration du secteur « iconique » d’Alep, englobant la grande mosquée, le souk et la citadelle. Un mécène syrien vivant à l’étranger voudrait quant à lui restaurer le minaret écroulé de la mosquée des Omeyyades à Alep.

Une guerre civile entre archéologues ?

À la suite du colloque scientifique international pour la résilience du patrimoine syrien organisé par la Direction générale des antiquités et des musées de Syrie (DGAM) à Damas en décembre 2016, l’archéologue belge Marc Lebeau a lancé une polémique relayée par le quotidien Libération, accusant les participants ayant répondu à l’invitation de la DGAM d’un soutien indirect au gouvernement syrien. La première victime en serait un des plus importants archéologues du Moyen-Orient, Paolo Matthiae, découvreur du site d’Ebla. Son éditeur américain l’a enjoint de ne pas lui envoyer de manuscrit, au motif que son nom figurait sur le programme du colloque de la DGAM. Une déclaration qui a provoqué un semblant de guerre civile dans la communauté scientifique.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°473 du 17 février 2017, avec le titre suivant : Un colloque à Damas sur la résilience du patrimoine

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