Musée

Le Musée de la chasse monte d’un ton

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 8 juin 2021 - 1091 mots

PARIS

Après dix-huit mois de travaux, le Musée de la chasse et de la nature dévoile début juin son nouvel étage, augmentant d’un tiers sa superficie. Une extension qui réaffirme le parti pris muséographique original de ce « musée-maison ».

Diorama anthropocène dont le fond est peint par l'artiste François Malingrey, scénographie par l'agence Scéno-Associés. © Photo Béatrice Hatala
Diorama anthropocène dont le fond est peint par l'artiste François Malingrey, scénographie par l'agence Scéno-Associés.
© Photo Béatrice Hatala

Paris. Quelle meilleure présentation qu’un diorama pour comprendre le positionnement original du Musée de la chasse et de la nature ? Instructif et légèrement désuet, le diorama inspire les artistes contemporains : en 2017, le Palais de Tokyo organisait une exposition autour de ce dispositif muséographique singulier, qui consiste à mettre en situation des animaux naturalisés ou des mannequins devant un paysage peint. Pas vraiment un Muséum, ni un centre d’art contemporain, pas plus qu’il n’est un musée de « period rooms », le Musée de la chasse s’incarne bien dans cet objet à la fois propice à la rêverie et support d’un discours scientifique.

C’est donc naturellement que la nouvelle extension du parcours muséographique s’ouvre sur un diorama, conçu à partir des collections d’animaux naturalisés du musée et des peintures de l’artiste contemporain François Malingrëy. Cette séquence introduit à un nouvel étage de 250 m², qui augmente d’un tiers la superficie totale des espaces visitables du musée. Libéré des bureaux administratifs, qui ont déménagé près de la Fondation Henri Cartier-Bresson voisine, le niveau aménagé sous les combles offre un contrepoint au premier étage de ce « musée-maison ». « C’est une autre ambiance, explique Christine Germain-Donnat, directrice des lieux depuis 2019. Au premier étage, vous êtes dans la maison du chasseur, de l’esthète, avec un rapport valorisant à l’animal : le beau chien de chasse, le beau gibier chassé. Au second étage, on évoque l’homme comme étant au milieu des autres êtres vivants. »

La relation humain-animal

Lancés en décembre 2019, ces travaux d’agrandissement poursuivent l’esprit insufflé en 2007 lors de la première extension du musée abritant les collections de la Fondation François Sommer. Installé dans l’hôtel Guénégaud depuis 1964, le musée avait alors investi son voisin, l’hôtel de Mongelas, pour développer une muséographie originale. Entre les deux hôtels particuliers respectivement du XVIIe et du XVIIIe siècle, le visiteur est invité à flâner, découvrant ici un Derain, là un Rubens, dans l’atmosphère intime d’une demeure de gentilhomme chasseur. Les œuvres d’art contemporain voisinent avec les trophées empaillés et les collections d’armes, un choix sous-tendu par l’ambition d’interpeller le visiteur sur la relation entre l’humain et l’animal.

L’agrandissement au second étage permet d’actualiser cette interrogation, devenue pressante dans le débat public, et d’introduire par exemple la question du ressenti animal. Une séquence du parcours niché sous les combles de l’hôtel Guénégaud s’ouvre ainsi sur la lettre « A » de l’abécédaire de Gilles Deleuze, dans lequel le philosophe fait état de sa fascination pour les poux et les tiques. Le penseur donne le ton ce cette enfilade de trois salles où les œuvres d’art contemporain apostrophent le visiteur-flâneur. Une tique en verre magnifiée, du collectif Art orienté objet, un dessin à l’encre d’Edi Dubien représentant un baiser entre un homme et un cervidé, ou un grand Narcisse en céramique de Johan Creten en déstabiliseront peut-être quelques-uns, avant de pénétrer dans une évocation apaisante de la cabane d’Aldo Leopold, chasseur et pionnier de la protection environnementale aux États-Unis.

Une recherche du « choc esthétique »

Si l’intention de chacune de ces salles est explicitée dans des fiches didactiques, augmentées d’un contenu en ligne accessible par QR code, c’est davantage le « choc esthétique » que la précision du discours que Christine Germain-Donnat et ses équipes recherchent dans ce musée sans cartel. « On invite à la déambulation, explique la directrice. Nous voulons que les gens soient attirés par les œuvres pour ce qu’elles sont. » Ainsi, un petit cabinet de curiosités reconstitué évoque la figure de Darwin, réunissant avec humour des mini-dioramas, des photos du film La Planète des singes et, acquisition du musée pour cette réouverture, une collection de modèles floraux en papier mâché du début du XXe siècle. Le fameux texte sur les orchidées du naturaliste britannique sert ici de point de départ, mais c’est bien le plaisir des yeux, et non celui de la lecture, qui est sollicité devant ces vitrines.

La pièce qui répond le mieux au questionnement initial, tout en respectant l’esprit des lieux, demeure cependant le diorama. Les animaux naturalisés, représentant la faune actuelle de l’Île-de-France, sont mis en scène devant une évocation poétique de l’anthropocène par François Malingrëy. Inspiré par la déflagration qui a sinistré le port de Beyrouth, le peintre représente une explosion vue depuis un bocage au soleil couchant, mettant en fuite la faune du sous-bois. Sur un autre panneau, c’est une nature « anthropisée », où les fils électriques et les traînées des avions barrent le ciel et dans laquelle prennent place hérissons, faucons et perruches.

À la réouverture, c’est Damien Deroubaix qui inaugurera un nouveau cycle d’expositions d’art contemporain, dont le musée s’est fait une spécialité. Le lieu est « aimé d’énormément de gens, assure celui-ci. Chaque fois que je dis que j’expose ici on me dit “ah, c’est mon musée préféré !” ». Les grands formats du peintre et graveur y évoquent la sixième extinction de masse et les dégâts ravageurs du dérèglement climatique. En phase avec les thématiques portées par l’extension, le ton de cette exposition est indiscutablement plus tranchant qu’au second étage du « Musée-maison ».

Un tableau d’exception pour la réouverture  

Collection. Les travaux n’ont pas seulement concerné le second étage du Musée de la chasse. Au rez-de-chaussée, le lieu est augmenté d’une librairie et d’un café, des équipements désormais indispensables pour un établissement culturel de cette envergure. Au premier étage, le parcours a été légèrement remanié. Parmi les nouvelles œuvres présentées se trouve une acquisition récente, un tableau de 1661 exécuté à deux mains par les peintres flamands Jean Daret et Nicasius Bernaerts. Pour les collections du Musée de la chasse, c’était la pièce manquante : ce portrait versant dans la scène de genre inaugure le motif iconographique du gentilhomme chasseur, repris abondamment aux XVIIIe et XIXe siècles, et largement illustré dans les salles de l’hôtel Guénégaud. La représentation de ce chasseur fourbu, allongé au pied d’un arbre et entouré de ses chiens, tranche avec des sujets de chasse jusqu’alors voués à un registre martial ou politique. L’œuvre, qui avait été adjugée en salles des ventes en janvier, a pu être préemptée par la Fondation Sommer pour 370 000 euros, grâce au label « Musée de France » du musée. Après une première restauration, Ce Portrait de chasseur assis en compagnie de ses chiens accueille les visiteurs à l’entrée du premier étage lors de la réouverture, avant de regagner les laboratoires du C2RMF où il fera l’objet d’un examen approfondi.

Musée de la chasse et de la Nature,
ouverture début juin, 62, rue des Archives, 75003 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°567 du 14 mai 2021, avec le titre suivant : Le Musée de la chasse monte d’un ton

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque