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La Cour des comptes pointe les fragilités de Chambord

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 5 décembre 2023 - 913 mots

Pour la Cour des comptes, le domaine s’est lancé dans des diversifications hasardeuses déséquilibrant son modèle économique.

Château de Chambord. © Leonarde Serres
Le Château de Chambord.
© Leonarde Serres

Chambord (Loir-et-Cher). Chambord vs Kronenbourg : le domaine avait poursuivi le brasseur en justice pour avoir utilisé, sans autorisation, en 2010, l’image du château dans une publicité. Un procès perdu par Jean d’Haussonville – alors directeur général du domaine –, mais une avancée sur le terrain législatif. En effet, la loi LCAP de 2016 introduit la création des « domaines nationaux », assortie de mesures protégeant et monétisant leur image de marque.

Cet épisode, comme d’autres, a forgé l’image d’un patrimoine bien défendu et d’une stratégie économique efficace durant les treize années – en trois mandats – de Jean d’Haussonville. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2019, le domaine du Loir-et-Cher excédait ses objectifs d’autofinancement, avec 82 % de recettes venues des ressources propres. La fréquentation du site a grimpé de 25 % entre 2011 et 2019, grâce à une politique de développement et de diversification de la programmation culturelle. Sur le papier, un exemple à suivre. Mais pour les magistrats de la Cour des comptes, qui ont publié leur rapport en novembre, ce modèle attrayant comporte d’importantes fragilités.

Un budget sous tension

Dans son objectif d’autonomie financière, le domaine de Chambord se heurte à une limite : celle du prix du billet d’entrée, qui a augmenté de 68 % (aujourd’hui 16 € en plein tarif), et ne laisse « que d’étroites marges de manœuvre » pour accroître la fréquentation. Prolonger cette augmentation pour s’approcher de la vingtaine d’euros, en période d’inflation, repousserait une partie du visitorat potentiel : un calcul dangereux, puisque comme la Cour des comptes le note, « les deux-tiers de l’accroissement des ressources sont directement liés à la fréquentation du domaine », grâce aux boutiques, parkings, et activités proposées sur le site. D’autant que, en même temps que les recettes, les charges du château ont augmenté de 7 % par an, entre 2011 et 2022 : « La croissance des charges a largement absorbé les recettes nouvelles », estime le rapport. Financièrement sous tension, l’établissement doit consolider son visitorat, et – comme le recommandent les magistrats – lisser la fréquentation sur l’année.

Avant de quitter Chambord pour l’ambassade de Monaco cet été, Jean d’Haussonville ne manquait pas d’idées pour développer les ressources du domaine. La Cour des comptes porte toutefois une appréciation sévère sur ces divers projets, qui tireraient parti du vaste domaine forestier. La commercialisation des crédits carbone, qui permettrait de valoriser la plantation de nouvelles futaies, fait partie de ces projets présentés comme vecteur de croissance pour le domaine, mais que la Cour des comptes considère tout juste capable d’absorber le coût du reboisement de la forêt, très endommagée.

Les comptes du domaine sont plombés par d’autres activités aujourd’hui déficitaires telles que le jardin potager et l’activité viticole du château qui ont ainsi fait perdre plus de 1,5 million d’euros depuis 2019. Le travail sur l’image de marque Chambord, engagé de longue date, porte de menus résultats : l’établissement a touché 426 000 euros en redevance, entre 2016 et 2023, mais a consacré 382 000 euros depuis 2010 au procès contre Kronenbourg.

Une trop grande autonomie managériale

Le développement du mécénat est en revanche remarquable : de 200 000 euros en 2011, il intervient aujourd’hui dans les recettes de Chambord à hauteur de 3 millions d’euros. De grands groupes ont été fidélisés, comme Generali ou EDF, notamment grâce aux contreparties « cynégétiques » qu’offre ce domaine de chasses présidentielles. La Cour des comptes relève néanmoins une incohérence juridique à utiliser ces invitations aux battues comme contreparties (elles ne peuvent être valorisées financièrement), tout comme des manquements dans l’évaluation de la valeur des mécénats de compétence et en nature : les magistrats soulignent « un manque de vigilance en la matière et de manière répétée dans le temps ».

Investissements hasardeux, mécénat opaque, mais aussi marchés publics irréguliers, ces situations sont favorisées par une gouvernance très autonome. Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), débarrassé du statut d’opérateur de l’État depuis 2019, le domaine de Chambord navigue sans lettre de mission du ministère de la Culture et ne rend que très peu de comptes à sa tutelle. Les rares réunions des divers conseils (d’administration, d’orientation ou des collections) laissent également le champ libre à la direction générale de l’établissement. Dans le fonctionnement de l’EPIC, ce management qui n’a de comptes à rendre qu’à lui-même fait peser des risques psychosociaux sur les nombreux salariés (les effectifs ont fortement augmenté pour accompagner la croissance de l’établissement), risques objectivés par un audit en 2022. Et pour le patrimoine bâti du château de Renaissance, l’absence de vision stratégique comme d’encadrement par les autorités compétentes se montre également délétère : en déshérence, l’aile François Ier a été fermée au public en 2019.

Rambouillet-Chambord, un attelage bringuebalant  


Gestion patrimoniale. Si le Centre des Monuments Nationaux (CMN) est gestionnaire du château de Rambouillet, c’est le domaine de Chambord qui en gère le Grand parc pourtant à 140 km de Chambord. Le directeur général du château du Loir-et-Cher porte aussi la casquette de commissaire à l’aménagement du parc des Yvelines. Le patrimoine fortement dégradé du Grand parc pèse sur les comptes de Chambord, qui mise sur le mécénat pour le réhabiliter. La Cour des comptes fait état, dans son rapport, d’un manque de coordination entre les différents acteurs (CMN, EPIC de Chambord, mais aussi Centre d’enseignement zootechnique) dans la gestion de ce patrimoine éclaté. Faute d’un opérateur unique, le rapport demande au moins une gouvernance unique pour mettre en place un schéma directeur à Rambouillet.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°622 du 1 décembre 2023, avec le titre suivant : La Cour des comptes pointe les fragilités de Chambord

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