Archéologie

Dominique Garcia : « La France entière est devenue un chantier de fouilles »

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 28 mars 2022 - 700 mots

Voilà vingt ans que l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) a vu le jour : quel est le chemin parcouru ?

Nul ne remet aujourd’hui en question l’archéologie préventive. On a oublié qu’elle a dû s’imposer parfois de manière forte. Durant les Trente Glorieuses, la France a connu un développement important de l’aménagement de son territoire. Avant la création de l’Inrap, les archéologues couraient après les pelles mécaniques. On était dans une archéologie de sauvetage et les vestiges disparaissaient parfois avant d’avoir été vraiment étudiés. Même la fouille réalisée à l’occasion de la construction de la pyramide du Louvre dans les années 1980 n’a pas été parfaitement exploitée scientifiquement. L’Inrap a vu le jour en 2002, en application d’une loi votée en 2001 après un débat parlementaire houleux. Cette dernière marquait la volonté de l’État de mener en parallèle deux actions fortes : l’aménagement du territoire et la préservation du patrimoine par l’étude. Elle nous a donné les moyens de passer d’une archéologie de l’urgence à une archéologie réellement préventive, permettant de fouiller, conserver, étudier et transmettre. En vingt ans, le champ de nos recherches s’est considérablement élargi, aussi bien dans le temps, puisque nous étudions désormais les époques moderne et contemporaine, que dans l’espace, avec le développement de l’archéologie subaquatique et ultra-marine. Avec le développement des axes de communication, c’est toute la France qui est devenue un chantier de fouilles, à l’exception des zones littorales et des forêts : en vingt ans, nous avons réalisé près de 50 000 opérations archéologiques, dont 5 000 fouilles !

Comment partagez-vous le fruit de vos découvertes ?

Les vestiges exhumés sont rarement conservés in situ. Le site est généralement démonté, ce qui nous permet de le comprendre en tant que tel : si on le sanctuarisait, ce serait comme un livre que l’on n’étudierait pas. En procédant à des fouilles, on en détache les pages. On peut ainsi faire une lecture du site et transmettre une histoire. C’est ce que nous faisons chaque année à travers la trentaine d’expositions auxquelles nous participons (comme « La Terre en héritage », au Musée des Confluences) et les musées qui ouvrent grâce à nos fouilles, comme celui de la Romanité à Nîmes, ou Narbo Via à Narbonne. Nous éditons aussi des livres. Les Français sont friands de nos découvertes. Quand nous réalisons un documentaire avec Arte, il représente le record annuel d’audience pour la chaîne !

En quoi les découvertes réécrivent- elles l’histoire de France ?

Notre histoire a été écrite à partir des archives. Mais ces textes sont partiels et partiaux ! Un exemple ? L’histoire de Gaule nous a été racontée par César. Cependant, les Gaulois n’ont pas seulement vécu au moment où ils ont été attaqués. C’est une civilisation de sept siècles, dont nous découvrons l’essor, les sanctuaires, les nécropoles au fil des chantiers que nous menons. De même, l’histoire du Moyen Âge était lacunaire : elle racontait celle de l’Église et des aristocrates. On sait encore peu de choses de l’économie, des pratiques culturelles, des modes de vie des plus modestes ou de la vie des communautés juive et musulmane, absentes des livres d’histoire. C’est cette histoire que nos sous-sols nous dévoilent aujourd’hui.

Quels sont les projets de l’Inrap ?

J’en citerais deux. D’une part, les zones littorales et les fonds sous-marins vont être bouleversés, et avec les changements climatiques, de nouvelles espèces vont devoir être plantées dans les forêts : ce sera le moment d’approfondir l’histoire de ces espaces. D’autre part, il nous apparaît essentiel de fouiller et d’étudier ces monuments dont on a longtemps cru que les bâtiments étaient « éternels ». Notre-Dame-de-Paris nous a rappelé que ce n’était pas le cas. Nous devons fouiller ces espaces monumentaux pour mieux connaître leur histoire (Notre-Dame, le Mont-Saint-Michel, les arènes de Nîmes…).

12 millions 

C’est le nombre de visiteurs accueillis lors des portes ouvertes des chantiers de l’Inrap depuis vingt ans.


Le livre

La Fabrique de la France, 20 ans d’archéologie préventive, Flammarion/Inrap, 29 € (en réimpression suite à son succès).

 

« Nous voulons écrire non pas l’histoire des seuls monuments, mais celle de tout un pays. » Dominique Garcia, le 2 février 2022, lors de la conférence de presse « L’Inrap a 20 ans ! »

Archéologue et historien, Dominique Garcia est spécialiste des sociétés protohistoriques d’Europe occidentale. Il préside l’Inrap depuis 2014.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°753 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : Dominique Garcia : La France entière est devenue un chantier de fouilles

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