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Champollion, Sallier et les hiéroglyphes d’Aix

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 31 août 2020 - 1831 mots

Le Musée Granet expose sa riche collection égyptienne, constituée notamment à partir de celle de François Sallier, à qui Champollion avait rendu visite il y a près de deux siècles…

« Je tiens l’affaire ! » Ce cri de joie aurait été celui de Jean-François Champollion faisant irruption chez son frère aîné, le 14 septembre 1822. Ce jour-là, grâce à son étude de la pierre de Rosette trouvée lors de l’expédition de Napoléon en Égypte en 1799, il a déchiffré les hiéroglyphes. Un coup de tonnerre : l’égyptologie voit le jour. Désormais, cette civilisation mystérieuse qui fascine l’Occident depuis l’Antiquité grecque et romaine, et que l’on croyait immuable, dévoile son histoire. Jusqu’à aujourd’hui, elle continue de se révéler à nous dans le temps, à travers les recherches des historiens et des conservateurs.

Ainsi, à Aix-en-Provence, l’exposition « Pharaon, Osiris et la momie » présente dans son intégralité la merveilleuse collection égyptienne du Musée Granet, en même temps qu’elle livre le fruit des recherches de Christophe Barbotin, co-commissaire de l’exposition et conservateur au département des antiquités égyptiennes du Louvre. Le fonds égyptien du musée a été constitué principalement autour de la collection de François Sallier. Or, dès le XIXe siècle, cette dernière a éveillé l’attention de Champollion. Le père de l’égyptologie séjourna à deux reprises à Aix pour l’étudier, déchiffrant en particulier ses papyrus hiératiques, aujourd’hui au British Museum, et dont l’exposition présente un fac-similé. Ces séjours semblent aujourd’hui comme un lointain prélude à l’exposition de cet automne au Musée Granet.

François Sallier, l’édile passionné

Si François Sallier n’est jamais allé en Égypte, il a tenté de faire entrer un peu de cette dernière dans son cabinet. En cette première moitié du XIXe siècle, sa passion pour la civilisation pharaonique est dans l’air du temps : depuis l’expédition du général Bonaparte, qui s’était entouré de savants et d’artistes pour étudier et rendre compte des merveilles de l’Égypte, elle fascine plus que jamais les Européens. La publication en 1802 par Dominique Vivant Denon du Voyage dans la Basse et Haute-Égypte, illustré de trois cents dessins et croquis, a attisé cette passion et cette soif de connaissances.

François Sallier a 35 ans lorsque paraît cet ouvrage. Dès l’enfance, cet Aixois se passionne pour l’art et l’Antiquité. Et il ne s’agit pas pour lui de se complaire dans des rêves romantiques. Au moment de la Révolution française, il a participé activement à la Société patriotique, un de ces clubs où les citoyens se réunissaient pour débattre de questions politiques et économiques, jouant un rôle important dans la politique locale. En 1791, il est parti pour l’Italie et plus particulièrement pour Rome afin d’étudier les arts. En 1802, le voici qui devient maire d’Aix, restaurant les thermes de la ville, réorganisant son école de dessin, ses hospices, faisant renaître l’université et rétablissant les finances publiques. Lorsqu’il se démet de ses fonctions, celui qui devient receveur des finances continue de consacrer son temps aux affaires publiques. Comme le ferait tout bon citoyen de cette Antiquité qui le passionne. Mais son engagement pour la cité ne l’empêche pas de s’adonner avec passion à ses recherches sur l’art, et de constituer une merveilleuse collection d’antiquités et de peintures.

Une collection jalousée par les plus grands musées

À cette époque, les Égyptiens ne s’intéressent pas encore à leur patrimoine. Les permis de fouilles sont accordés facilement, et on peut trouver des trésors archéologiques sur les marchés locaux, qui alimentent les collections européennes. En 1828, François Sallier écrit avoir « acheté, il y a quelques années d’un marin originaire d’Égypte, une partie d’antiquités provenant de cette contrée et qui se composait de médailles, figures en bronze, amulettes, scarabées, ustensiles de toute nature, vases de différentes formes, enfin d’une douzaine de papyrus ».

La renommée du cabinet de François Sallier dépasse bientôt les frontières, au point de constituer un passage obligé pour tous les savants et visiteurs qui voyagent en Provence. « Monsieur Sallier, ancien maire de la ville d’Aix, aujourd’hui receveur particulier des finances, a réuni avec autant de goût que de choix une magnifique collection d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines... Plusieurs momies, dont une à triple caisse, avec de riches ornements et des hiéroglyphes, le tout d’une parfaite conservation ; des papyrus fixés sur toile, des bas-reliefs, des statues, des canopes, des scarabées, toutes sortes d’ustensiles, de bijoux et d’objets de parures et d’agréments », s’enthousiasme le comte de Villeneuve en 1826, l’année même où est créé ce qui deviendra le département des antiquités égyptiennes du Louvre, dont Champollion prendra la tête. Par ailleurs, dès 1816, le comte de Forbin, directeur général des Musées de France et ami de François Sallier, avait fait acheter par l’État, pour le Musée du Louvre, trois œuvres de la collection Sallier, parmi lesquelles une merveilleuse « statue égyptienne plus grande que nature ayant le dos et base couverts de hiéroglyphes », représentant Nakhthorheb, haut fonctionnaire égyptien qui vécut sous la 26e dynastie, au VIe siècle av. J.-C.

Aujourd’hui encore, certaines des pièces de la collection Sallier conservées au Musée Granet éveillent la jalousie des plus grands musées du monde, comme ce fragment de stèle du début de la 19e dynastie, l’un des chefs-d’œuvre de l’exposition, conservé au Musée Granet. Il représente dans sa partie supérieure le lever du soleil et, dans la partie inférieure, Osiris et les divinités qui lui sont associées, figurant ainsi le cycle éternel du jour et de la nuit. « C’est l’une des plus belles que je connaisse », reconnaît Christophe Barbotin, le conservateur général du patrimoine au département des antiquités égyptiennes du Louvre. Ou encore une très rare et étonnante momie de varan, ce reptile géant aux allures de dragon, dont le Musée Granet présente la tomographie réalisée pour étudier la façon dont les Égyptiens l’ont embaumé.

Champollion découvre un « vrai trésor historique »

En 1828, lorsque Champollion réalise enfin son rêve de partir en Égypte, il s’arrête donc à Aix-en-Provence. « La connaissance de mes manuscrits lui sera d’un grand secours pour les investigations qu’il va faire en Égypte », se félicite François Sallier, évoquant les papyrus en sa possession. Pendant deux jours, Champollion se consacre en effet à l’étude de la collection Sallier, et plus particulièrement à ses quatre papyrus hiératiques – c’est-à-dire dont les hiéroglyphes sont simplifiés pour permettre aux scribes d’écrire plus rapidement. « Champollion a été ébloui par les papyrus hiératiques, notamment par l’un d’eux, un très beau texte littéraire qui raconte la bataille de Kadesh », explique Christophe Barbotin. Le déchiffreur des hiéroglyphes témoigne en effet de son vif intérêt dans une lettre : « Cette affaire-ci est de la plus haute importance, et le peu de temps que j’ai donné à son examen m’a convaincu que c’est un vrai trésor historique », écrit-il. Il y relève avec soin « les noms d’une quinzaine de nations vaincues », comme ceux de « leurs chefs emmenés en captivité », et « les impositions que ces pays ont supportées ». « Ils me serviront à reconnaître ces mêmes noms en hiéroglyphes sur les monuments de Thèbes, et à les restituer, s’ils sont effacés en partie », explique-t-il. « Cette trouvaille est immense. »

Au retour de sa longue mission en Égypte, en 1830, Champollion se rend à nouveau chez François Sallier et y reste plus longtemps qu’il ne l’avait escompté. « Je ne l’ai quitté qu’après avoir mis en portefeuille des notes complètes sur les parties les plus importantes de ce vieux monument. J’ai reconnu qu’il contient le récit dramatique de la guerre de Sésostris contre les Scythes (Schéta), alliés avec la plupart des peuples de l’Asie occidentale », écrit-il. Et surtout, il s’émerveille de l’éclairage inattendu que ce papyrus donne à l’une de ses découvertes à Thèbes : « Il est extrêmement piquant d’avoir reconnu aussi que ce même texte est gravé en grands hiéroglyphes sur la paroi extérieure sud du palais de Karnac à Thèbes ; ce texte historique est fort endommagé et presque perdu à Karnac, devais-je m’attendre à le retrouver à Aix dans toute son intégrité ? Le rapprochement de ce double texte me le donnera tout entier », se réjouit-il.

Une collection dispersée

François Sallier meurt en 1831, l’année suivant la visite de Champollion, à l’âge de 64 ans. Sa collection est vendue par ses descendants. La Ville d’Aix ne peut acquérir pour son musée l’intégralité de son fonds égyptien, considéré alors comme l’un des plus importants de Provence. « Jamais la ville n’éprouvera sans doute, à propos d’acquisitions scientifiques, un regret pareil à celui de ne pouvoir acheter le cabinet entier de M. Sallier », se lamente la notice historique sur le collectionneur en 1833. Le Louvre et quelques autres musées, dont le Musée Calvet d’Avignon, purent acquérir une partie des pièces égyptiennes, mais ce fut le British Museum qui parvint en 1839 à faire entrer dans ses collections les papyrus hiératiques, si intéressants « pour la science et pour la gloire de Champollion même », disait-on à l’époque...

Toutefois, nombre de trésors de la collection qui éblouit Champollion entrent au Musée Granet, dont les portes ouvrent au public en 1838. À l’occasion de l’exposition « Pharaon, Osiris et la momie », les trésors du fonds égyptien du musée sortent des réserves pour raconter cette civilisation égyptienne que les générations d’égyptologues ne cessent d’approfondir et de redécouvrir depuis Champollion.

L’exposition du Musée Granet

Comment était organisé le pouvoir politique, incarné par Pharaon ? Quelle était la religion des Égyptiens ? Leur pensée funéraire ? C’est à ces trois questions essentielles pour comprendre l’Égypte antique que répondra l’exposition « Pharaon, Osiris et la momie », à partir du 19 septembre. Les quelque cent cinquante objets du fonds égyptien du Musée Granet, restaurés pour l’occasion, accompagnés de chefs-d’œuvre prêtés par des musées d’Italie, d’Allemagne, des Pays-Bas et de France – parmi lesquels le Louvre, qui prête en particulier un colosse de 2 m représentant une statue royale de la lignée des Ramessides et un Livre des morts de 18 m – plongent ainsi les visiteurs au cœur de la civilisation égyptienne. En même temps qu’on découvre les trésors du Musée Granet – notamment une collection de 13 stèles, dont certaines exceptionnelles, ou encore deux magnifiques bas-reliefs de Khéops –, la pensée égyptienne se dévoile, donnant à comprendre avec limpidité le fruit des recherches menées par le conservateur du Louvre Christophe Barbotin. « Les fondements de la pensée égyptienne sont en réalité très simples : pour les Égyptiens, tout est ramené à la nature. Ainsi, le mot égyptien ba est souvent traduit par «âme». Les Égyptiens le figuraient comme un oiseau à tête humaine. Or, un oiseau, pour les Égyptiens, représente le principe de mobilité, cette mobilité qu’ils espèrent retrouver après la mort. Quant au ka, qu’on traduit par “énergie vitale”, il est tout simplement la force que l’on tire de la nourriture », explique le co-commissaire de l’exposition. Pour les visiteurs, la nourriture sera spirituelle, et l’invitation au voyage du Musée Granet creuse d’ores et déjà notre faim.

Marie Zawisza

« Pharaon, Osiris et la momie »,

du 19 septembre 2020 au 14 février 2021. Musée Granet, place Saint-Jean-de-Malte, Aix-en-Provence (13). Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs : 8 et 6 €. Commissaires : Bruno Ély et Christophe Barbotin. www.museegranet-aixenprovence.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°736 du 1 septembre 2020, avec le titre suivant : Champollion, Sallier et les hiéroglyphes d’Aix

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