Musée

Carnavalet, machine à remonter le temps

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 8 avril 2021 - 1285 mots

PARIS

À l’issue d’un chantier de rénovation historique, ce musée inclassable, conservatoire du Paris d’antan, se prépare à retrouver ses visiteurs auxquels il promet un voyage dans le Paris de la Révolution, de Madame de Sévigné comme celui de Proust.

Paris 1866 : sous la houlette du baron Haussmann, une armée d’ouvriers s’affaire à « aérer, unifier et embellir » Paris, selon la lettre de mission de Napoléon III. À coups de percements de grands boulevards et d’immenses avenues, l’homme de confiance de l’Empereur entend sauver la ville de son insalubrité et la faire entrer dans la modernité ; quitte à sacrifier des pans entiers du vieux Paris. Parallèlement à ce saccage, l’édile, qui n’est pas avare en paradoxes, sauvegarde de l’autre main les vestiges de l’histoire de la capitale dans un musée dédié, qui prend ses quartiers dans un écrin formidable : l’hôtel Carnavalet. À son instigation, la municipalité rachète ce splendide édifice qui constitue l’un des rarissimes témoignages de l’architecture civile de la Renaissance dans la capitale. Cette perle du Marais devient un palimpseste de l’histoire de Paris, ses façades intégrant des éléments architecturaux d’édifices détruits, dont l’arc de Nazareth et le pavillon des Drapiers. Plusieurs sculptures emblématiques y emménagent aussi, dont l’épique Louis XIV par Coysevox.

Une collection de period rooms

Conçu comme un coffre-fort patrimonial, le musée prend rapidement sa colorature, grâce à l’arrivée des premiers décors de boiseries démontés dans d’anciens monuments, ainsi que de nombreux plafonds peints. Véritable machine à remonter le temps, ce dispositif muséographique permet de s’immerger dans l’intimité d’illustres Parisiens comme Madame de Sévigné, ancienne locataire de Carnavalet, dont le bureau est ici évoqué. Ces period rooms sont aussi une occasion exceptionnelle de se glisser avec délice dans quelques-uns des plus prestigieux décors du Paris aristocratique et bourgeois. Au gré des pièces, on arpente ainsi le fameux salon La Rivière de Le Brun, on s’émerveille devant les boiseries de Ledoux provenant du très sélect Café militaire, réservé aux officiers, et on s’esbaudit face au charme exquis du décor insouciant et idyllique du salon Demarteau, un graveur au goût très sûr qui avait confié la décoration de son appartement de l’île de la Cité à la crème du siècle des Lumières, à savoir Boucher, Fragonard et Huet.

Si l’Ancien Régime se taille la part du lion, toutes les époques sont en réalité représentées, y compris le XXe siècle avec des pépites Art nouveau, dont la renversante bijouterie Fouquet dessinée par Mucha. Conservatoire du Paris d’antan, le musée documente l’évolution du cadre de vie, tout en relatant des épisodes de l’histoire de France autant que des histoires plus anecdotiques. Le tout crée un récit absolument unique où les chefs-d’œuvre tutoient les objets à la forte charge émotionnelle, chaque artefact résonnant de manière singulière dans cette atmosphère authentique et enveloppante.

La Révolution, un musée dans le musée

Inclassable, Carnavalet est à la fois un musée d’art, d’archéologie, d’arts décoratifs et d’histoire culturelle, politique et sociale. En effet, ce lieu hautement composite fait cohabiter des décors époustouflants avec des objets prosaïques telle cette pirogue témoignant des moyens de transport des premiers habitants de Paname, ou encore la série d’enseignes qui racontent avec humour et nostalgie l’activité commerciale de jadis. Cette collection haute en couleur est une des signatures du musée, faisant revivre l’atmosphère de la ville et de ses petits métiers à une époque où les rues n’avaient pas de nom et où il fallait attirer le chaland par une image séduisante ou humoristique.

Quelques marches plus haut, finie la légèreté : c’est un récit autrement plus sinistre qui se raconte dans les salles de la Révolution française. Les objets triviaux et les produits dérivés de la Bastille dialoguent avec les reliques de la famille royale rassemblées dans une chambre évoquant la prison du Temple. Sans équivalent, cette collection constitue pratiquement un musée à part entière. Pour déployer ce fonds, le musée avait d’ailleurs dû coloniser l’édifice voisin, l’hôtel Lepeletier de Saint-Fargeau, créant un véritable labyrinthe de salles et de galeries. Un dédale d’un kilomètre et demi de visite ponctué de 2 400 m2 de jardins à la française ; une pause salutaire pour reprendre son souffle dans ces méandres qui retracent une histoire plurimillénaire à échelle humaine. Un chantier historique vient d’offrir un véritable bain de jouvence à ce lieu absolument hors norme. Objectif : lui redonner du lustre et de la cohérence, tout en le faisant entrer dans le XXIe siècle, grâce à une muséographie actualisée, sans rien sacrifier à l’alchimie et à la magie du lieu.

Le musée le plus insolite de Paris

Les passants flânant sur le pont de l’Alma ne se doutent certainement pas qu’ils déambulent au-dessus d’un musée souterrain. Et pas n’importe quel musée, puisqu’il s’agit du musée le plus insolite de Paris. À des dizaines de mètres sous terre, il dévoile les entrailles de la capitale : ses égouts. Ce lieu atypique donne accès aux coulisses de cette véritable ville sous la ville, représentant un vaste réseau de plus de 2 000 km de longueur ! La portion de galerie visitable, récemment réaménagée et modernisée, explique le cycle de l’eau, le travail des égoutiers et l’évolution des techniques d’assainissement au fil des siècles, depuis la cloaca de l’antique Lutèce jusqu’aux aménagements modernes réalisés au XIXe siècle sous l’impulsion du préfet Haussmann. De nombreux outils de médiation et des dispositifs scénographiques rythment cette plongée hors du commun. Le parcours fait surtout la part belle aux maquettes et engins utilisés hier comme aujourd’hui. Parmi les objets qui ont fait la réputation du lieu, on trouve, entre autres, le wagon-vanne utilisé pour le curage des égouts, le bateau-vanne qui opère dans les grands collecteurs ainsi qu’une ancienne pompe de relevage des eaux.

Isabelle Manca

 

Musée des égouts de Paris, pont de l’Alma, face au 93, quai d’Orsay, Paris-7e, www.paris.fr

La chambre de Proust

Les fameuses period rooms ont été bichonnées et pour certaines réaménagées, à l’instar de la chambre de Proust. Cette dernière a quitté le recoin exigu où elle était cantonnée pour se déployer dans un vaste espace à l’ambiance tamisée. Un déménagement qui a permis de retrouver l’esprit de la chambre où il travaillait, mais aussi de mieux mettre en valeur son mobilier, à commencer par son lit en laiton, ainsi que ses effets personnels, dont sa pelisse à col de loutre et son nécessaire à barbe.

Isabelle Manca

 

Musée Carnavalet, 23, rue Sévigné, Paris-3e. Accès gratuit dans les collections permanentes. www.carnavalet.paris.fr

Fontevraud prend l’art

C’est un musée dont les amateurs d’art moderne attendent l’ouverture avec curiosité. La collection, jalousement gardée depuis des décennies dans l’appartement de Martine et Léon Cligman, se dévoilera dès l’ouverture des musées. Ce mystérieux ensemble, dont nous vous avons raconté la genèse en décembre 2020, prend ses aises dans un lieu inattendu : l’abbaye royale de Fontevraud. Plus vaste cité monastique d’Europe, ce site hors norme s’étend sur treize hectares au cœur du Val de Loire. Haut lieu de l’histoire de France, ce monument historique est un extraordinaire patchwork. Ses murs millénaires ont vu défiler des générations de moniales et de moines avant qu’elle soit transformée par Napoléon en l’une des plus strictes prisons de l’Hexagone, en activité jusqu’en 1963. La donation Cligman prend ses quartiers dans la Fannerie, les anciennes écuries des mères abbesses, un vaste bâtiment entièrement reconfiguré pour accueillir les 900 œuvres de la donation. Dans l’esprit du « musée imaginaire », le parcours confronte peintures, sculptures et dessins des XIXe et XXe siècles avec des objets extra-européen afin de mettre en évidence les fils conducteurs de la collection et laisser voir une unité formelle et chromatique.

Isabelle Manca

 

Musée d’art moderne de Fontevraud – Collections nationales Martine et Léon Cligman, abbaye royale de Fontevraud, Fontevraud-l’Abbaye (49), www.fontevraud.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°743 du 1 avril 2021, avec le titre suivant : Carnavalet, machine à remonter le temps

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