À Besançon, le Musée de la Résistance modernise son parcours

Besançon, Doubs. À la veille de l’inauguration du Musée de la résistance et de la déportation totalement repensé, Anne Vignot, maire de Besançon (EELV) présentait ainsi ce nouvel « outil citoyen » : « Ce n’est pas un musée qui ne parle que du passé, il parle aussi de l’histoire actuelle. » Faire résonner au présent les atrocités du passé, alors que la guerre, les régimes autocratiques et les partis d’extrême droite ont refait surface en Europe, tel est l’objectif assumé par la municipalité dirigée par une coalition de gauche. Pour attirer le visiteur et lui faire comprendre ces enjeux, le nouveau musée emprunte un chemin bien différent de la précédente mouture.

« L’exposition que nous avons démontée était une grande exposition, qui a fait date, tient à souligner Vincent Briand, conservateur du musée. C’était une véritable réussite, mais elle a été montée en 1982, et elle n’était plus adaptée aux pratiques et aux publics d’aujourd’hui. » Fondé par Denise Lorach, bisontine rescapée du camp de Bergen-Belsen, ce parcours mettait en pratique la théorie de la pédagogie par le « choc des images ». Densité des informations et présentation sans filtre des images les plus explicites des camps de la mort, le parcours s’adressait à un public contemporain de la Seconde Guerre mondiale. « Il y a une vraie rupture de génération : cette période, nous ne l’avons pas vécue, analyse Alexis Patras, scénographe du nouveau parcours. On hérite de cette histoire, et la charge émotionnelle n’est pas la même. »

Dans ce nouveau parcours, le choc de la vérité fait place à la proximité de l’intime. Dans une démarche micro-historique, le Musée de la résistance et de la déportation raconte une histoire à hauteur de femmes et d’hommes, à l’image des trois personnages qui forment l’un des fils rouges du parcours : l’anthropologue et survivante des camps Germaine Tillon, le résistant Henri Fertet, exécuté à quelques mètres du musée, et Jeanne Oudot, jeune femme de la région qui raconte sa guerre dans un journal intime. Ce parti pris est cohérent avec les collections du musée, intégralement constituées de dons, qui entraînent avec eux une multitude de récits personnels.

Le musée a aussi pour ambition de marquer une étape dans la visite de la citadelle Vauban. Pour l’équipe du musée, l’enjeu de cette rénovation est de capter l’attention du public venu principalement visiter le monument construit par Vauban, le parc zoologique ou le musée comtois, pas forcément pour s’informer sur l’une des périodes les plus noires de notre histoire. Un« visitorat d’opportunité », comme le qualifie le directeur de la citadelle, qui représente 1/5e des touristes arpentant les 11 hectares du site. Logé dans le bâtiment des Cadets, une large caserne perpendiculaire à l’entrée de la citadelle, le musée a gagné une entrée moderne, un parallélépipède transparent, posé devant l’architecture militaire, et qui remplace la petite porte logée sous le porche menant au cœur du fort militaire.

La scénographie imaginée par Alexis Patras lie la solennité qu’exige le sujet à un parcours progressif au récit rythmé et facilement compréhensible. Pensées comme une « entrée dans la nuit », les cimaises de l’exposition s’obscurcissent à mesure que l’histoire s’assombrit, avant un retour relatif à la lumière avec la Libération – présentée ici comme un moment complexe, et pas seulement une fête. La hiérarchisation des contenus est parfaitement menée dans le parcours, permettant de jongler entre la grande histoire et les parcours individuels.

Espace extrêmement contraint (un enchaînement de petites cellules), discours dense et objets en grand nombre, la réalisation de ce parcours a été un véritable défi. Architectes du patrimoine, équipe muséale et maîtrise d’œuvre ont dû adapter les lieux aux ambitions du nouveau musée. Ainsi de la nouvelle entrée, ajout moderne et réversible sur l’architecture militaire du XVIIIe siècle, tout comme des percées dans l’épais mur central du bâtiment, afin d’assurer des circulations verticales : un évidement pratique, qui permet aussi d’ouvrir une fenêtre sur les techniques de construction de la citadelle.

Des 1 200 objets répartis sur 300 mètres carrés, la collection aujourd’hui exposée a été réduite de moitié. Et il a fallu innover pour valoriser ces témoignages dans les anciennes chambrées. Avec le concours du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), des vitrines-murs ont été créées sur mesure afin de tirer le meilleur parti de chaque paroi. Cela crée un parcours enveloppant, isolé du bourdonnement touristique de la citadelle. Les collections sont ainsi bien installées, et les efforts muséographiques et scénographiques rendent les pièces particulièrement éloquentes. « Dans chaque salle, nous avons placé des objets phares, synthétiques, qui sont directs et parlant pour un public pas forcément habitué au musée », explique Vincent Briand. Exemple dans la première salle : un réveille-matin à l’effigie de Hitler, où une croix gammée marque les secondes, et un exemplaire à moitié calciné de l’Amok de Stefan Zweig, sauvé d’un autodafé. Au choc des images, le nouveau musée préfère désormais le choc des objets.