Musée

Donner forme à la mémoire

Architecture et muséographie

Par Nathalie Jérosme · Le Journal des Arts

Le 4 décembre 1998 - 880 mots

Si un musée des beaux-arts se laisse définir par la nature-même de ses collections, il en va autrement d’un musée de la Résistance et, a fortiori, d’un centre pour la paix. Comment illustrer des notions souvent abstraites, comment aborder des thèmes aussi terribles que la Shoah ou faire parler un gant de pelote basque, telles sont les questions que conservateurs, scénographes et architectes des musées de société sont amenés à résoudre.

Quoi de plus générique qu’un ticket de rationnement, une affiche de propagande ou un poste radio-émetteur ? Ce qui distingue un musée de la Résistance d’un autre tient davantage à l’atmosphère du lieu et à la présentation des événements qu’aux collections. De même, les musées d’arts et traditions populaires et les centres d’identité régionale s’appuient principalement sur des pièces produites en série, caractéristiques de la vie quotidienne. Leur intérêt réside dans leur représentativité et la manière de les exposer.

Si les centres d’interprétation fonctionnant sans aucune collection, comme le Musée de la Diaspora à Tel-Aviv, sont plutôt rares en France, la plupart des conservateurs reconnaissent que leurs objets originaux servent avant tout à illustrer un propos, parallèlement à d’autres outils, tels les documents d’archives, les diaporamas, les films et les évocations avec mannequins ou bandes-son. Lorsqu’ils mettent en exergue une pièce dont la lecture n’est pas autonome, ils lui confèrent un statut symbolique. Les souvenirs de déportés au Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère prennent valeur de reliques, tandis qu’au Museon Arlaten, le berceau du fondateur et poète Frédéric Mistral évoque la renaissance régionaliste de la Provence.

De façon significative, les rares musées de société qui placent réellement leurs collections au cœur-même du parcours, comme le Musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris ou l’Historial de la Grande guerre à Péronne, possèdent une part importante d’œuvres d’art dont le discours est autonome. Mais une telle approche se révèle parfois une contrainte. Ainsi, le centre de Péronne n’aborde pas le thème des mutineries, en partie faute de témoignages matériels.

Le musée objet de collection
Bien souvent, le message doit donc être assumé par des éléments extérieurs à la collection, même si certains accrochages – telle la confrontation systématique d’objets allemands, britanniques et français à l’Historial de la Grande guerre – sont porteurs de sens bien au-delà des fonds présentés.
La traditionnelle visite guidée se révèle particulièrement intéressante dans le cas des musées de mémoire, lorsqu’elle peut être assurée par des membres de la communauté ou des témoins des événements évoqués et aboutir à un dialogue. “Nous parlerons du prophétisme à des membres du mouvement charismatique et insisterons plutôt sur la vie quotidienne dans les Cévennes pour un groupe du troisième âge”, explique ainsi Michel Caby, du Musée du Désert à Mialet.

Malheureusement, à partir d’une certaine fréquentation, les établissements doivent chercher d’autres solutions pour faire parler les objets. Si “l’audioguide empêche les visiteurs de communiquer entre eux”, comme le dénonce Olivier Ribeton, conservateur du Musée basque, les textes, irremplaçables par leur précision, sont d’un maniement délicat. Le Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère a passé beaucoup de temps à mettre en place un double niveau de lecture et à retravailler ses panneaux explicatifs à la lumière d’une étude d’impact. Traitées avec autant d’attention, les nouvelles technologies, et notamment les bornes interactives, devraient apporter au public un outil de compréhension formidable. D’ailleurs, malgré des moyens souvent faibles, les musées de société se montrent plutôt en avance dans ce domaine.

Mais c’est surtout en matière de scénographie, voire d’architecture, que ces établissements mènent une réflexion beaucoup plus poussée que les musées de collections, puisque tout ce qui entoure l’objet fait sens. Cette osmose nécessaire avec les lieux avait déjà été perçue au début du siècle : le Musée du Désert a investi la maison d’un chef camisard, et le Musée basque occupe une demeure traditionnelle du XVIIe siècle. Dans la même perspective, le récent Centre d’histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon s’est ouvert dans les locaux où sévissait la Gestapo, et une section du Musée d’art et d’histoire du judaïsme exploite le “passé juif” de l’Hôtel Saint-Aignan.

Dans le cas d’un bâtiment contemporain, certaines architectures s’efforcent tellement d’exprimer la thématique du musée qu’elles évoquent singulièrement un monument commémoratif. La façade du Mémorial de Caen est traversée par une faille, symbole de la percée alliée dans le mur de l’Atlantique, et le plan en triangles imbriqués du Jüdisches Museum de Libeskind prend la forme d’une étoile éclatée et comprimée. Les mêmes effets se retrouvent au niveau de la scénographie : ainsi, cette omniprésence des murs au Centre d’histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon, ou cette spirale descendante évoquant la faillite de la paix de Versailles au Mémorial de Caen.

Bien souvent d’ailleurs, plutôt que de tenter une impossible “explication” de l’Holocauste, les conservateurs recourent à la puissance évocatrice d’une scénographie proche de l’installation, quand ils ne font pas directement appel à des artistes. Christian Boltanski et Nancy Spero ont respectivement créé des installations pour le Musée d’art et d’histoire du judaïsme et le Jüdisches Museum du palais Eskeles. Dans ce dernier établissement, une section sur les grandes figures de la Vienne juive utilise le support de l’hologramme pour exprimer la fragilité du destin de cette communauté.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°72 du 4 décembre 1998, avec le titre suivant : Donner forme à la mémoire

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