Art contemporain

Les tampons hygiéniques… pour Joana Vasconcelos

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 28 août 2019 - 601 mots

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci Joana Vasconcelos.

Fétiche - « Les tampons hygiéniques ont changé ma vie ! », déclare avec enthousiasme Joana Vasconcelos. Confidences entre filles ? Pas exactement : l’assertion est à prendre au pied de la lettre car l’artiste portugaise, qui a passé une partie de son enfance en France, se réfère à son œuvre A Noiva (La Fiancée)à l’origine de sa renommée internationale, et présentée à la Biennale de Venise en 2005, où elle a fait sensation. Soit un immense lustre style Louis XVIII de 6 m de hauteur, dont les perles de verre des guirlandes sont remplacées par 14 000 tampons hygiéniques ! Effet saisissant, détournement choc, mise en lumière transgressive de la condition féminine, son thème favori. Voilà pourquoi Joana Vasconcelos peut, légitimement et sans complexe, désigner ce petit cylindre de cellulose et de coton pressés qui s’insère dans le vagin durant les menstruations comme son objet fétiche : « En fait, renchérit-elle, lorsque j’ai exposé ce lustre pour la première fois, je n’avais pas conscience à quel point cela était tabou. J’ai eu l’idée de cette sculpture quand l’une de mes amies a été la première à se marier… J’ai combiné l’envie de réaliser un objet de luxe pour un jour de fête, avec celle d’écorner le symbole de pureté représenté par la blancheur de la robe car, en Europe, la plupart des jeunes mariées ne sont plus vierges. » En donnant à voir au grand jour un attribut qui, d’habitude, reste bien caché, Joana Vasconcelos n’imaginait pas l’onde de choc que déclencherait cette œuvre : « Elle a été refusée dans plusieurs lieux, notamment à Versailles où elle devait être suspendue au-dessus du hall d’accueil, en bas des escaliers d’honneur », précise l’artiste, très déçue, mais qui a dû se sentir un peu « vengée » lorsque Anish Kapoor, quelques années plus tard, a évoqué, en plaisantant, le « vagin de la Reine » à propos d’une de ses sculptures en forme de cône évidé posée sur la pelouse face au château ! « Au Portugal, quand je montre cette sculpture jugée scandaleuse, je reçois des lettres de prêtres très choqués ; ailleurs, le lustre peut générer des discours gênés, des situations insolites, comme, par exemple, à Istanbul où lors d’un enregistrement pour CNN, le très jeune cameraman s’est mis à rire. Il ne pouvait pas croire qu’il s’agissait de vrais tampons, il n’avait que des frères et n’en avait jamais vu ! » Ceinture noire de karaté, Joana Vasconcelos a très tôt utilisé cet accessoire intime : « C’est indispensable pour pouvoir pratiquer un sport. C’est une révolution, ça permet aux filles de continuer à vivre normalement et d’avoir une relation de liberté avec leur sexualité. Donc, pour moi, ça n’a rien d’un objet honteux. Après Venise, je suis devenue l’artiste des tampons, et ça m’a incitée à m’intéresser à d’autres tabous liés à la femme, celui notamment qui concerne la dualité entre la femme reléguée dans sa cuisine et la femme spectacle, d’où les escarpins de Marilyn Monroe que j’ai réalisés en format XXL uniquement avec des couvercles et des casseroles. J’aime relier deux univers antagonistes, histoire de mettre le doigt sur nos contradictions. » Sa méthode ? N’avoir peur de rien, s’atteler à des œuvres monumentales, détourner les fonctions et jouer de la provocation. Aussi Joana Vasconcelos est-elle une des rares femmes à s’être hissée au firmament des stars de l’art contemporain. Elle marque une pause et conclut : « Quand j’y pense, je suis rentrée dans l’histoire de l’art comme l’artiste des tampons. Alors, je ne pouvais pas trouver d’objet plus fétiche que celui-là ! » Ni plus sexué…

« Joana Vasconcelos. Je suis ton miroir »,
jusqu’au 17 novembre 2019. Kunsthal, Museumpark, Rotterdam (Pays-Bas), www.kunsthal.nl

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°726 du 1 septembre 2019, avec le titre suivant : Les tampons hygiéniques… pour Joana Vasconcelos

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