Françoise Pétrovitch

La vie en rouge

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 25 janvier 2010 - 1444 mots

Dans sa maison bien ordonnée de la banlieue parisienne, Françoise Pétrovitch travaille à la réalisation d’un œuvre où l’enfance et la mémoire dominent.

Ce jour-là, elle revenait tout juste de Miami. Non qu’elle court après les foires – si elle est toujours ravie d’y participer, elle n’est pas de ceux qui pensent que c’est là que les choses existent – mais elle y est allée pour fabriquer sur place une sculpture en résine que lui avait commandée un collectionneur privé. Alors, autant faire d’une pierre deux coups et pourquoi pas s’y rendre plutôt à ce moment-là qu’à un autre. Pour voir, pour savoir et forger sa propre opinion. Interrogée à ce propos, elle répond que, côté boulot, c’était parfait, mais que le reste n’était pas mieux que cela !
 
Françoise Pétrovitch est une bosseuse et rien ne l’excite plus que d’expérimenter de nouveaux matériaux. Les foires, elle aime mais sans excès. D’ailleurs, elle est plutôt du genre discret et ne cherche pas à se mettre en avant. En revanche, dès qu’elle parle de son travail, elle est pleine d’enthousiasme, le montre avec grand plaisir et abondance d’explications. Pas pour le justifier mais pour que son interlocuteur entre dans son jeu. Si son œuvre en appelle à tout un monde de figures étranges et familières qui nous interpellent au plus profond de nous-mêmes, elle est aussi portée par une dimension ludique que pimente un curieux mélange entre douceur et violence, émerveillement et effroi, beauté et laideur.

Dans son atelier, tout est soigneusement rangé
Installée depuis plusieurs années en banlieue sud proche de la capitale, Françoise Pétrovitch vit avec son mari photographe et ses deux enfants dans une grande maison construite au début du siècle dernier. Agrémentée d’un jardin qui compte notamment un palmier quelque peu inattendu, celle-ci est augmentée de petites dépendances qui servent de garage et de lieux de stockage. Son atelier, l’artiste l’a établi au premier étage de la maison, aussi c’est sur le perron de celle-ci qu’elle accueille ses visiteurs, les invitant à la suivre et à grimper aussitôt l’escalier.
 
L’intérieur fait penser à une simple et agréable maison de campagne dont les pièces, lumineuses, aux carrelages et parquets de bois ont été aménagées de façon moderne. Au premier étage, l’atelier de Françoise se découvre aux yeux du visiteur dans un parfait état de rangement. Les murs blancs, le parquet foncé, des étagères ici et là, des petits meubles de classement, une grande table sans la moindre trace de travail en cours, des tas de feuilles et de carnets soigneusement empilés, pinceaux, encres et autres outils légers rangés dans un petit bac en métal blanc : tout est en ordre.
 
L’artiste reconnaît volontiers être un peu maniaque, simple question de disposition mentale dès lors qu’il s’agit de se mettre à l’œuvre. Il faut dire que l’art de Pétrovitch relève d’abord et avant tout du dessin – voire du graphique en général, estampes et éditions confondues – et que c’est un exercice qui requiert organisation et place nette. Si, depuis plusieurs années, elle consacre beaucoup de son temps à la sculpture, elle la fait à l’extérieur dans les ateliers avec lesquels elle travaille, directement sur place : la céramique à Sèvres, le verre à Meisenthal, etc.

Dans un coin, Alice, son lapin et un revolver de môme
À peine gravies les premières marches de l’escalier menant à l’atelier que, ce matin-là, on entendait de plus en plus distinctement l’air de La Vie en rose. Françoise Pétrovitch l’écouterait-elle en boucle toute la journée pour se donner du tonus ? Non, mais elle avait mis en marche les éléments d’une installation sonore présentée il y a peu à La Rochelle : une série de guéridons en bois, peints en rose, sur lesquels sont placées des boîtes à musique surmontées d’une Alice en céramique tenant un animal dans ses bras. Une œuvre réjouissante qui s’organise comme un bal un peu suranné.
 
Des figures féminines aux allures de poupées, l’atelier de Pétrovitch en regorge de toutes sortes. Sur un mur, elle en a accroché en ligne, certaines rapportées de ses voyages, d’autres offertes par des amis. Parmi elles, une plantureuse Barbie des premiers temps, encore très élégante avec ses cheveux qui lui tombent sur les hanches, et une petite Chinoise aux vêtements multicolores.
 
Ailleurs, sur le plat d’un petit meuble de rangement, Pétrovitch a soigneusement disposé quatre sculptures céramiques – une paire de pieds étrangement imbriqués l’un dans l’autre, Alice avec son lapin dans les bras, un revolver de môme et la tête trophée d’une biche. Toutes sont parfaitement vernissées, rose, céladon ou noir, c’est selon. Sur un autre mur est accroché un grand lavis d’encre sur papier au motif d’un jeune garçon, les mains glissées dans des gants de boxe trop grands pour lui et tendant le poing vers le regardeur comme s’il était prêt à le frapper.

Au sol, une foule de figures de toutes espèces, toutes rouges
Comme elle souhaite montrer ses derniers dessins, Françoise Pétrovitch s’est assise par terre pour ouvrir une sorte de grand portfolio en bois posé à plat sur le sol. Sitôt qu’elle en a soulevé le couvercle, apparaît la figure rouge sang d’une petite fille qui semble faire la révérence. Elle est simplement vêtue d’un tutu dont les franges se noient dans la matière même du papier du fait de la diffusion du lavis d’encre. Avec une extrême précaution, l’artiste fait glisser les feuilles les unes sur les autres et, curieusement, sur certaines d’entre elles, l’enfant porte des chaussures qu’elle a évidemment empruntées à sa mère, ce qui la déstabilise et gauchit complètement son attitude. Après avoir remis un à un les dessins dans leur boîte, l’artiste se saisit maintenant d’une pochette dans laquelle se trouve un lot de sérigraphies.
 
« C’est une série que j’ai commencée en 2005, intitulée Rougir, et qui continue », dit-elle en les sortant une à une avec délicatesse et en les étalant devant elle au sol. « C’est quelque chose de très important pour moi. Un peu comme mon laboratoire. Je dessine directement au trait avec un pinceau sur un Rhodoïd qui servira de matrice au sérigraphe pour la fabrication des écrans à partir desquels il tirera une quarantaine d’exemplaires de chaque image. » Au fur et à mesure qu’elle parle, le sol s’est recouvert d’une foule de figures de toutes espèces, toutes également rouges. Ici, une petite fille sur un vélo ; là, une autre qui tient un arrosoir et le déverse malencontreusement sur sa robe ; là une autre encore dont les cheveux longs font écho à une tache en forme de flamme qui monte d’entre ses cuisses.

Avec cette série, Françoise Pétrovitch dit vouloir « déployer [son] dessin dans le temps et dans l’espace ». Pour ce faire, elle s’est fixée une règle en n’utilisant que des moyens très simples : une seule et même couleur, un papier Rivoli assez ferme et deux ou trois formats différents. C’est là pour elle une série sans fin qui finit par constituer un véritable réservoir de formes qu’elle met par la suite en jeu dans son travail.
 
Comme on lui fait observer que, le plus souvent, ses ouvrages s’offrent à voir comme des sommes, Pétrovitch est ravie de sortir d’un carton un gros livre rouge – décidément ! – dont la couverture striée d’argent énonce un titre en larges lettres : Radio Pétrovitch. Il s’agit là en fait d’un travail qu’elle a mis dix ans à porter jusqu’à sa réalisation livresque. Deux années durant, entre le 27 mai 2000 et le 27 mai 2002, jour de son anniversaire, Françoise Pétrovitch a relevé les titres de France Inter à 7 heures du matin y répliquant aussitôt par un premier dessin, puis un peu plus tard dans la journée par un second. Au fil du temps, c’est une forme de journal au quotidien qu’elle a constitué au regard tant de l’actualité que de sa propre vie. Textes dactylographiés et dessins opèrent comme un mémoire dans lequel on s’empresse d’aller fouiller pour se rappeler telle ou telle date, tel ou tel événement.
 
Le dessin, l’enfance et la mémoire, ce sont là les trois ingrédients majeurs de l’œuvre de cette artiste qui n’a pas son pareil et dont l’univers élabore les termes d’une véritable fable.

Biographie

1964
Naît à Chambéry.

1989
Première exposition personnelle (centre culturel français, Amman, Jordanie).

1998
Elle aborde la peinture sans abandonner le dessin.

2002
La série Supporters inaugure son travail au lavis d’encre.

2005
Céramiques, lavis et « dessins-aux-murs » sont exposés au Frac Alsace.

2007
Création de poupées de verre.

2010
Vit et travaille à Cachan. Agrégée en arts, elle enseigne à l’École supérieure Estienne, Paris.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°621 du 1 février 2010, avec le titre suivant : Françoise Pétrovitch

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