Thomas Grenon

La RMN fait vivre les chefs-d’œuvre du patrimoine

Par Jean-Christophe Castelain · L'ŒIL

Le 19 juin 2008 - 1826 mots

Administrateur général de la Réunion des musées nationaux, Thomas Grenon témoigne d’une forte appétence pour la culture et ses dérivés...

Vous êtes à la tête de la RMN : un sigle familier aux amateurs d’art et pourtant méconnu du grand public. À quoi sert cette institution qui ne compte pas moins d’un millier de collaborateurs ?
Thomas Grenon : La Réunion des monuments nationaux a été créée en 1895, afin d’acquérir des œuvres d’art pour le compte de l’État ou des musées nationaux. Depuis, ses missions se sont élargies, elle est devenue l’un des plus gros producteurs d’expositions au monde, avec environ vingt-cinq événements par an d’ampleur internationale.
La RMN gère notamment les Galeries nationales du Grand Palais à Paris, où ont été présentées « Mélancolie » et « Klimt, Schiele, Moser, Kokoschka. Vienne 1900 », qui ont accueilli près d’un million de visiteurs. Nous coorganisons ou coproduisons aussi des manifestations comme « Courbet » avec Orsay, « Marie-Antoinette » avec le château de Versailles, « La Figuration narrative » avec le Centre Pompidou, « Babylone » avec le Louvre, etc.

Les événements sous la nef du Gand Palais sont-ils du ressort de la RMN ?
La nef du Grand Palais est gérée par un autre établissement public, présidé par Yves Saint-Geours. De par son volume et son architecture, la nef accueille d’autres types de manifestations, tels la Force de l’Art ou Monumenta que nous coorganisons.
Cette année Richard Serra succède à Anselm Kiefer. Pour dresser, au millimètre près, ses cinq sculptures en acier hautes de 20 mètres, pesant 80 tonnes, il a fallu consolider le sous-sol, s’ancrer dans la roche. Et pour transporter ces pièces monumentales, mobiliser des camions de 100 tonnes, ne comptant pas moins de vingt essieux !

Deux établissements publics différents pour les Galeries et la nef : un parcours labyrinthique pour le visiteur. Comptez-vous faire quelque chose pour rendre ces lieux plus fonctionnels et conviviaux ?
Une réflexion est en cours avec la ministre de la Culture, Christine Albanel, Yves Saint-Geours et moi-même pour une meilleure utilisation des lieux et davantage de lisibilité. Les Galeries nationales s’étendent sur 15 000 mètres carrés dont 4 000 consacrés aux expositions, une surface sans équivalent. C’est en outre un des lieux d’art les plus prestigieux au monde. Mais il convient d’en faire un lieu de vie avec restaurants, librairies, espaces dédiés aux enfants et, pourquoi pas, un centre de documentation, mémoire des expositions majeures que nous avons proposées...

Quel rôle jouez-vous en région ?
Nous mettons notre savoir-faire et notre relationnel au service de la trentaine de musées nationaux répartis sur le territoire et nous avons aussi tissé des liens avec les collectivités locales. En 2006, par exemple, l’exposition « Cézanne » coproduite avec la National Gallery of Art de Washington et présentée au musée Granet d’Aix-en-Provence, n’aurait pu être montée sans nous, sans les relations de confiance établies avec les prêteurs, qu’il s’agisse de privés ou d’importants musées étrangers. Songez que les valeurs d’assurances des tableaux exposés s’élevaient à 2 milliards d’euros ! Il fallait garantir aux prêteurs que leurs œuvres seraient manipulées et transportées avec toutes les précautions nécessaires.
Nous avons aussi fait jouer nos réseaux pour trouver des mécènes et sollicité les journalistes pour assurer les retombées presse. Le résultat a été à la hauteur de nos efforts avec 450 000 visiteurs, lesquels ont pu s’offrir en prime la montagne Sainte-Victoire grandeur nature en toile de fond !
Même chose pour la rétrospective « Philippe de Champaigne » à Lille. Selon Alain Tapié, conservateur en chef du musée des Beaux-Arts, un événement coorganisé avec la RMN lui apporte deux fois plus de visiteurs. De manière générale, nous avons un rôle à jouer dans la mutualisation des ressources des musées au profit des plus petits. En 2007 nous avons géré l’accueil de 2,8 millions de visiteurs dans les musées dont nous gérons la billetterie.
Notre expertise s’étend également à l’étranger, telle cette exposition à La Nouvelle-Orléans avec le New Orleans Museum of Art organisée par la RMN après le sinistre provoqué par le cyclone Katrina.

La RMN est un gros éditeur de catalogues, d’ailleurs jalousé. Quelle place occupez-vous exactement dans ce secteur ?
Nous sommes un des premiers éditeurs d’art en Europe, avec environ 150 titres par an, et le leader mondial dans l’édition des catalogues d’expositions. C’est un métier dans lequel nous nous sommes engagés il y a déjà une trentaine d’années, nous étions des pionniers. Parmi nos best-sellers, les catalogues « Mélancolie » et « Vienne 1900 » ont été vendus à près de 80 000 exemplaires.
Nous publions également des guides de visite, des albums jeunesse pour sensibiliser les enfants à l’art, des publications scientifiques, des beaux livres comme le Dictionnaire des arts de l’Islam réalisé avec le CNRS ; en matière de multimédia, nous produisons des DVD et des cédéroms, concevons des sites culturels sur Internet et développons l’édition en ligne, notamment avec le musée Guimet ou avec Versailles. Cela permet de publier des travaux pointus et complets, parfois d’un millier de pages, nécessitant des années de recherche, mais qui au final n’intéresseront que quelques centaines de spécialistes.

Les expositions sont pour vous une source d’inspiration pour décliner une large palette de produits dérivés : lesquels ont le plus de succès ?
Nous essayons de faire vivre les grands chefs-d’œuvre du patrimoine à travers la carterie, les affiches, la papeterie, divers objets. Avec 4,5 millions de cartes postales vendues chaque année, nous sommes là encore numéro un en France. Par exemple, plus de 400 000 cartes et marque-pages ont été commercialisés suite à l’exposition « Vienne 1900 ».
L’atelier des moulages de la RMN, gardien du patrimoine royal puis national, reproduit quant à lui depuis deux cents ans les plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art, fabriqués toujours selon des procédés originaux. Cet atelier travaille pour des musées ou des particuliers tel ce propriétaire en région parisienne qui a passé une commande de 600 000 euros pour compléter une allée de sphinx. L’an dernier, ce sont douze statues de plâtre qui ont été réalisées pour l’école des Beaux-Arts de Xian, en Chine.
Depuis plusieurs années, nous avons initié avec des professionnels de la création, du design ou de la décoration, des objets inspirés des collections nationales tels des bijoux, des accessoires, de la vaisselle... Ainsi à l’occasion de l’exposition Marie-Antoinette, une collection a été préparée avec le porcelainier Raynaud, les tissages Moutet, le cristallier Lalique. De manière générale, les bijoux figurent parmi nos axes de travail prioritaires, avec plusieurs centaines de références, reproductions de parures anciennes ou créations d’après un détail de tableau.

Est-ce avant tout un apport en ressources ou un vecteur d’image ?
Sur un chiffre d’affaires global de 91 millions d’euros, les produits dérivés représentent le tiers. Si l’on prend en compte l’ensemble des activités éditoriales et commerciales de la RMN, cela correspond à 62 millions d’euros. Ce sont donc des ressources essentielles. Nous gérons un réseau d’une quarantaine de librairies et comptoirs de vente, ainsi qu’une boutique en ligne.
La librairie du Louvre est notre magasin phare : il sera rénové dans le cadre du projet Pyramides qui apportera de nouveaux espaces au Louvre d’ici 2012. Nous réfléchissons à une éventuelle filialisation de notre activité librairie, ce qui faciliterait les développements à l’international.
Concernant notre image, il est difficile de la mettre en avant lorsque l’on est prestataire de services. Comme le fabricant de microprocesseurs Intel, nous sommes en quelque sorte « Inside ». Nous avons repensé notre identité visuelle, il nous faut maintenant valoriser notre marque sur un maximum de supports – édition, objets d’arts, expos, photos, Galeries du Grand Palais... – pour qu’elle devienne un gage de qualité.

Votre agence photographique connaît pourtant un fort développement à l'étranger ?
Notre agence photographique est effectivement la plus importante en France dans le domaine des arts plastiques, la troisième en Europe et, parmi les dix premières dans le monde, riche d’un fonds de 1,2 million d’images dont 425 000 sur Internet. Cette collection qui s’étend de la préhistoire jusqu’au xxe siècle diffuse dans le monde entier.
L’agence est présente dans 160 pays, compte 11 000 clients. Elle gère notamment les fonds photographiques du Centre Pompidou, du musée de l’Armée, du Metropolitan Museum of Art de New York, du British Museum à Londres, des musées de Berlin et des fonds du patrimoine photographique tels Harcourt, Sam Lévin, Kertész...

Concernant l’acquisition des trésors nationaux, peut-on dire que vous êtes « le bras armé » de l’État ?
En effet. C’est la RMN qui reçoit aussi l’argent du mécénat d’entreprise pour ces acquisitions, soit 25 millions d’euros en 2007, ce qui a permis d’acquérir La Fuite en Égypte de Nicolas Poussin, par exemple, pour 17 millions d’euros. Autrement, le tableau serait parti à l’étranger.

Vous avez été nommé en 2005 à la tête de la Réunion des musées nationaux avec quel ordre de mission ?
J’ai été choisi par Renaud Donnedieu de Vabres, alors ministre de la Culture, pour réveiller cette belle endormie, redresser ses comptes, assurer le développement en région et à l’étranger, et renouer des relations plus sereines avec le monde des musées car on ne peut pas programmer les Galeries nationales « contre » les grands musées.
Nous avons effectivement retrouvé des résultats bénéficiaires pour la seconde année consé­cutive, affichant un résultat de 3,1 millions d’euros l’an passé, le double de celui de 2006.

Quels sont vos goûts en matière culturelle ?
Ils sont assez ouverts. J’aime l’opéra, et je joue du piano. Je collectionne le mobilier français du XVIIIe siècle L’exposition « Marie-Antoinette » est pour moi une référence car cette époque représente un des sommets de l’art décoratif occidental. Je m’intéresse beaucoup aux peintres de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle.

Quels sont les futurs grands événements organisés par la Réunion des musées nationaux à ne surtout pas manquer ?
Il faudra absolument aller voir « Picasso et les maîtres » à l’automne, aux Galeries nationales du Grand Palais. Un événement exceptionnel auquel s’associent le musée Picasso, le musée du Louvre et le musée d’Orsay. Il va recréer le panthéon artistique de Pablo Picasso qui, tout au long de sa vie, s’inspira des chefs-d’œuvre de la grande peinture et dont l’œuvre s’affirme comme une relecture majeure.
On pourra revoir d’un seul coup d’œil La Maja desnuda de Goya, qui va faire le voyage du Prado à Madrid à Paris, L’Olympia de Manet, La Grande Odalisque d’Ingres et d’autres nus couchés. Une façon de vérifier, comme le dit lui-même Picasso, « qu’en art, il n’y a ni passé, ni avenir ».

Biographie

1963 Naissance à Paris. 1989-1992 Après des études à l’École polytechnique, il intègre le ministère de l’Industrie. 1995-1997 Conseiller technique de Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Culture et de la Communication. 1999-2000 Secrétaire général d’Axa France. 2001-2003 Directeur d’investissement à la Royal Bank of Scotland. 2003-2005 Directeur général de la Cité des Sciences et de l’Industrie, à Paris. Depuis 2005 Administrateur général de la RMN.

Quelques missions de la RMN – la production des expositions présentées aux Galeries nationales du Grand Palais, dont elle a la charge, ainsi que d’expositions temporaires en collaboration avec une trentaine de musées nationaux et établissements publics à Paris et en région – l’édition de catalogues, de supports audiovisuels et multimédia – l’aide à l’acquisition d’œuvres par les musées – la création de produits dérivés en marge des expositions La RMN et les moulages L’atelier de moulage du Louvre et des musées de France a été créé en 1794 afin de fournir aux musées et aux écoles des beaux-arts des reproductions des chefs-d’œuvre de la statuaire antique. Les moulages commercialisés portent l’estampille de la Réunion des musées nationaux, certificat de garantie de leur provenance et de la qualité de leur fabrication. Gardien de la tradition, ce fonds constitue un véritable répertoire de la sculpture mondiale. « Picasso et les maîtres » Après la Seconde Guerre mondiale, Pablo Picasso entreprend une série de tableaux d’après Courbet, Velázquez, Delacroix et Manet notamment. L’exposition « Picasso et les maîtres » mettra en rapport le travail du peintre avec les maîtres qui l’ont marqué. Parallèlement à l’événement, deux ensembles d’œuvres de Picasso seront respectivement confrontés aux Femmes d’Alger de Delacroix au Louvre et au Déjeuner sur l’herbe de Manet au musée d’Orsay.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°604 du 1 juillet 2008, avec le titre suivant : Thomas Grenon

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