Mathieu Lehanneur, designer non standard

L'ŒIL

Le 1 janvier 2004 - 695 mots

Diplômé des Ateliers-l’ENSCI- en 2001, Mathieu Lehanneur est déjà un designer rompu à toutes les problématiques de son métier.

Concepteur de scénographies saluées par la critique pour plusieurs musées français et étrangers, lauréat de nombreux concours organisés entre autres par le BHV, auteur de projets pour Salomon, DuPont de Nemours ou encore Thomson-Multimédia, ce designer a déjà une vision précise de son métier. L’image, selon lui, très lissée que développe le design aujourd’hui traduit l’emprisonnement moral dans lequel il se trouve. Il rejette la vision naïvement positive et finalement assez totalitaire dont se targue le design et quelques grands designers qui voient dans leurs créations un progrès pour l’humanité. Mathieu Lehanneur se veut plus pragmatique et interroge ce que serait un design plus informel, sans recette ni registre de formes préétablies. Un design apte à se reconfigurer en permanence en fonction d’un processus de fabrication, d’un contexte social ou de lapsychologie d’un utilisateur.

Dans le domaine de l’habitat, Lehanneur s’intéresse au mode de conception d’une forme plutôt qu’à son esthétique. Il se méfie des approches exclusivement plastiques et préfère même laisser aux utilisateurs le soin d’y répondre. Le portemanteau qu’il vient de dessiner pour la collection homme du couturier Yohann Serfaty est un principe de forme en évolution. Dessiné sur la base d’un portemanteau « perroquet » en bois cintré, il se prolonge de longues tiges en bois qui peuvent se cintrer à la main et dont la forme finale est déterminée par son utilisateur. Mathieu Lehanneur en parle comme d’une sorte de « mutation génétique » des travaux des frères Thonet.

Les Moulures Utiles, éditées par FR 66 participent aussi de cette conception. Déclinaisons des moulures haussmanniennes et fabriquées en plâtre chargé de résine, elles sont conçues pour former des étagères, des vides poches ou des bancs. Sans aucune finition, elles peuvent être peintes ou recouvertes de papier peint. Cette gamme d’objets répond pour lui à une fusion des problématiques liés au design et à l’architecture, à mi-chemin entre le mobilier et l’immobilier. Refusant d’envisager la collaboration avec l’architecture comme un rapport contenant-contenu (où l’architecte façonne le bâtiment que le designer s’empresse de remplir), il vient de réaliser un projet d’habitation avec l’architecte François Roche et l’agence R&Sie. Destinée à être installée à Trinidad, île infestée par les moustiques, cette habitation aux contours biomorphiques a été pensée à partir du piège à moustiques. Sans aucune fondation, cette maison faite d’un tressage de cordons plastiques transparents épouse parfaitement la forme de son environnement et piège les moustiques en son sein. Elle s’observe autant comme design que comme architecture : la frontière entre les deux disciplines n’est plus visible. Ce projet qui vient d’être acheté par le MoMA de San Francisco a retenu l’attention du Centre Georges Pompidou qui l’expose dans le cadre de l’exposition « Architectures non standard » (cf. pp. 76-81).

Mais Mathieu Lehanneur ne s’arrête pas au mobilier et à l’habitat. Son projet Objets thérapeutiques témoigne des nouvelles orientations qu’il souhaite donner au design. Partant du constat qu’un médicament sur deux est mal pris, Lehanneur s’est interrogé sur la consommation des médicaments. Cherchant à comprendre les ressorts du désir, de l’attirance, ou de la peur vis-à-vis de la substance médicamenteuse, il intègre dans le traitement médical des stratégies issues de la grande consommation ou de la superstition pour obtenir des effets placebo. Ce travail a abouti à la création de dix objets proposant de nouveaux modes de consommation. Ainsi, pour les somnifères, Mathieu Lehanneur a imaginé une baguette qui, au contact de l’eau, se ramollit. Lorsque cette baguette s’est complètement dissoute, le patient peut considérer que le médicament est prêt à la consommation. À travers cette réaction chimique particulièrement suggestive, le malade, anxieux, se convainc de l’efficacité du médicament. Ces solutions n’ont pas encore trouvé d’application dans l’industrie pharmaceutique mais ont déjà séduit le corps médical. En attendant l’aboutissement de ce projet, Mathieu Lehanneur collabore avec le département astrophysique du palais de la Découverte sur l’élaboration de dispositifs interactifs, dessine un restaurant et une librairie pour un musée d’Art contemporain à Bangkok et s’intéresse de près aux progrès de la nanotechnologie – matériaux intelligents, électronique moléculaire, biostructure – pour envisager les futurs standards.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°554 du 1 janvier 2004, avec le titre suivant : Mathieu Lehanneur, designer non standard

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