Ventes aux enchères

Artcurial à l’assaut du monde

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 22 octobre 2015 - 1004 mots

La maison de ventes française Artcurial, qui doit consolider ses bases internationales pour grandir, s’implante à Hong Kong et Munich après Monaco.

Cette fois, c’est fait : la maison de ventes aux enchères française Artcurial se lance à l’assaut de l’Asie. Elle vient d’organiser les 5 et 6 octobre derniers à Hong Kong sa première vacation en collaboration, sur le plan logistique, avec la maison anglaise Spink qui possède des salles d’exposition et de vente dans l’ex-colonie britannique. Habilement baptisée « From Paris to Hong Kong », cette vente a rapporté 7,25 millions d’euros, soit moins que les estimations espérées (10 millions) car un Picasso est resté invendu, mais a affiché deux lots millionnaires et des records en bande dessinée pour Enki Bilal et Moebius. « Il s’agissait de présenter aux collectionneurs asiatiques, notre art, notre culture et notre « parisian touch » », explique Isabelle Bresset, directrice d’Artcurial. Au menu, du mobilier et des objets décoratifs provenant d’une noble famille européenne, de l’art moderne dont des œuvres de Camille Claudel, Picasso et Chagall, de l’art contemporain asiatique et français, du design, des voitures de collection, de la maroquinerie de luxe vintage, etc.

Une offre diversifiée
La Chine est devenue numéro deux sur le marché de l’art mondial derrière les États-Unis et la maison détenue majoritairement par la famille Dassault ne pouvait l’ignorer, d’autant qu’elle attire dans ses ventes de plus en plus de collectionneurs asiatiques, lesquels achètent de l’art chinois mais pas seulement : ils apprécient les sacs Hermès ou le vin, en bref l’art de vivre à la française. Face aux multinationales de l’art Sotheby’s et Christie’s, à l’émergence de nouveaux riches ici ou là, il faut savoir aller à la rencontre des clients potentiels et dénicher la marchandise partout où elle se trouve. Artcurial qui, en une dizaine d’années, n’a cessé de croître l’a bien compris : elle doit conforter ses bases à l’international, avec un modèle bien à elle qui s’est avéré payant. Pas question d’être la grenouille qui veut devenir plus grosse que le bœuf : elle ne rattrapera jamais les positions du duopole multiséculaire Sotheby’s-Christie’s car elle n’a ni les moyens de l’américaine cotée à la bourse de New York, ni ceux de l’anglaise détenue par François Pinault. Du moins à New York, Londres ou Hong Kong, car pour ce qui est de Paris, elle a déjà réussi l’an dernier à devancer Christie’s.
En revanche, dès le départ, au lieu de se battre sur les blue chips, les top lots de l’art contemporain que ses concurrents

s’arrachent à coups de garanties exorbitantes faites aux vendeurs, Artcurial a su diversifier son offre, dans la bande dessinée, le design, les voitures et le luxe vintage, bien avant que les autres maisons ne la copient, et se créer une image beaucoup plus fun, moins conservatrice, capable d’attirer une clientèle plus jeune. Alors, forte de son succès à Paris, Artcurial a accéléré ces derniers mois les grandes manœuvres hors des frontières de l’Hexagone. À Monaco, où elle a réalisé l’été dernier 10,5 millions d’euros de ventes de bijoux, montres et sacs, elle a décidé d’ouvrir un bureau, dirigé par une personnalité très influente dans la principauté : Louise Gréther, une résidente monégasque de langue maternelle anglaise, qui a fait ses études en Écosse et aux États-Unis. « Nous allons concentrer notre pôle luxe à Monaco, très fréquenté par la jet-set internationale, avec une vente l’été et une autre en janvier pendant le Festival international du cirque. La principauté bénéficie d’une notoriété internationale et nous y avons déjà des clients qui apprécient l’opulence, la sécurité qu’offre Monaco », commente François Tajan, coprésident d’Artcurial. Un choix d’autant plus malin que Christie’s et Sotheby’s ont, elles, fait fermer leurs antennes monégasques. La maison française compte ainsi drainer de la marchandise de toute la Riviera.

Savoir prendre des risques
Artcurial s’implante aussi cet automne outre-Rhin, à Munich. Pour ce faire, l’entreprise a recruté un ancien de Sotheby’s, Moritz von der Heydte. Pour Francis Briest, coprésident d’Artcurial, « l’Allemagne, pays de collectionneurs et d’amateurs d’art, est une étape clé de notre développement à l’étranger ». Cette initiative va permettre à la maison de ventes de compléter le maillage européen qu’elle a entrepris de constituer depuis 2012, avec des ouvertures à Bruxelles, Milan et Vienne. Ces divers lieux d’exposition, tous nichés dans des bâtiments historiques au cœur de ces métropoles, permettent à Artcurial de renforcer sa notoriété. La société pilotée par Nicolas Orlowski a également posé ses jalons au Proche-Orient. Elle s’est attaché les services du collectionneur Philippe Cohen à Tel-Aviv. « Il y a un potentiel important en Israël : il existe dans ce pays des patrimoines qui se transmettent de génération en génération. En outre, il y a un vif intérêt pour tous les départements clés représentés par Artcurial : design, voitures de collection, art moderne et contemporain. Enfin, de plus en plus de méga-collectionneurs européens s’y installent, comme cela est mon cas », explique Philippe Cohen, qui propose à ses prospects des visites d’expositions et a déjà organisé une conférence sur l’art de collectionner à l’Institut français de Tel-Aviv.

Last but not least, Artcurial a décroché cet automne à Marrakech la dispersion de la collection d’art islamique de Pierre Bergé-Yves Saint Laurent : 180 lots (armes, broderies, tissages, céramiques, bijoux, tapis, éléments d’architecture) vendus au profit de la Fondation Jardin Majorelle. Cette première vacation de la maison Dassault au Maroc s’accompagne de l’exposition « African Spirit » qui sera suivie d’une vente aux enchères à Paris le 9 novembre. Artcurial avait déjà organisé des expositions itinérantes en Suisse et aux États-Unis. Car si la maison de ventes peut se féliciter d’avoir contribué à stimuler la place de Paris, en taillant des croupières aux deux géants mondiaux des enchères, elle sait que dans un marché de l’art globalisé, il faut prendre davantage de risques. « Déjà 12 à 15 % de notre chiffre d’affaires sont générés par nos bureaux étrangers. À terme, ce sera 16 à 18 %, peut-être même 20 % », pronostique François Tajan. 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°684 du 1 novembre 2015, avec le titre suivant : Artcurial à l’assaut du monde

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