Livre

Entre-nerfs

"Les Brutalistes", d’Owen Hopkins

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 25 avril 2023 - 723 mots

Dépouillée, sans compromis, l’architecture brutaliste, qui refuse toute séduction optique au nom d’une souveraineté structurelle, a longtemps été négligée par les historiens de l’art. Un livre s’emploie à lui rendre justice.

Issu du mouvement moderne, dont il est une frange héroïque, le brutalisme se caractérise par le recours au béton brut, qui lui donne son nom, par la multiplication de modules identiques et son refus de toute tentation décorative. Ce mouvement, radicalement réformiste, entend réagir au pittoresque et à la joliesse. Cinquante ans après l’architecte viennois, ces prosélytes auraient pu faire leur la célèbre formule d’Adolf Loos : « L’ornement est un crime ». Partant, malgré la labilité plastique du terme « brutalisme », il est aisé d’en reconnaître ses réalisations majeures, souvent cyclopéennes, présidées par une rigueur géométrique, un sens aigu de la répétition et l’absence de peinture ou d’enduit. Faire grand et faire nu. Faire vrai. Inspirés par Le Corbusier, les brutalistes allaient chahuter le raffinement architectural, longtemps en vogue, afin de répondre aux nouveaux enjeux économiques, démographiques et politiques liés à l’après-guerre. Comment construire justement après la ruine mondiale ? De la pauvreté élevée au rang de spiritualité…

Anthologie

Relié, le présent ouvrage épouse un format A4 classique (21 x 29,7 cm) et se distingue par sa sobriété élégante, parfaitement respectueuse de son sujet. Pas d’affèterie, pas de baroquerie. La première de couverture abrite, outre les mentions de l’auteur et de l’éditeur, les onze lettres du titre, incrustées dans l’épaisseur du papier et peuplées chacune du détail d’un édifice emblématique. Ce patchwork graphique résume la dimension anthologique de cette publication qui, présentant « pour la première fois les personnalités qui ont fait l’un des mouvements les plus saisissants de l’histoire de l’art », ne saurait pour autant constituer une analyse scientifique du brutalisme – d’une polysémie éminemment complexe.

Riche de 368 pages, peuplée de 350 illustrations et de 210 bâtiments emblématiques, cette « étude de référence », ainsi qu’elle est décrite sur la quatrième de couverture, est donc une épaisse somme de morceaux choisis, en ceci conforme aux livres publiés par la prestigieuse maison d’édition Phaidon, laquelle livre depuis des années de roboratives synthèses dans le domaine de l’histoire de l’art.

Phraséologie

Succédant à un index onomastique, l’étude liminaire, signé Owen Hopkins, est le seul essai de l’ouvrage. Directeur du Farrell Centre à l’université de Newcastle, l’auteur tente d’approcher « les dualités du brutalisme », un mouvement tout à la fois international et régional, architectural et sculptural, éthique et esthétique. Sémantiquement issu de la locution « béton brut », le terme « brutalisme » fut inventé pour désigner ironiquement une maison suédoise, construite à Uppsala, avant de caractériser une inflexion britannique de l’architecture, associée aux réalisations d’Alison et Peter Smithson, parmi lesquelles l’école secondaire qu’ils conçurent à Hunstanton – ossature aride, netteté des espaces, système électrique visible. Désormais, le béton n’est plus employé comme un matériau lisse, mais travaillé en pleine pâte. Désormais, l’audace technique le dispute à la feinte austérité, et la structure trahit la fonction. La bannière brutaliste fédère des tendances hétérogènes que cette introduction, dont l’exergue n’est autre qu’une citation tirée de la « story Instagram » (sic) de Gwyneth Paltrow, peine singulièrement à décrire, la faute à une phraséologie sinusoïdale, souvent discutable, et parfois tautologique (« L’architecture high-tech est généralement considérée comme le dernier style moderne ayant célébré la technologie, et c’est certainement vrai »). Dommage.

Sérendipité

L’ouvrage se déploie alphabétiquement et, de Georges Adilon à Jean-François Zevaco, balaie trois décennies de brutalisme (des années 1950 aux années 1970), sans négliger ses avatars tardifs, ainsi de l’extraordinaire Casa Oyamel (2014), imaginée par Rafael Pardo Ramos à Xalapa, au Mexique. Chaque architecte assigné bénéficie d’une notule historique qui, étayée d’une ou plusieurs photographies (en noir et blanc et de qualité remarquable), frustre le désir de savoir mais comble la pulsion scopique. Car comment ne pas être fasciné par ces réalisations d’une hardiesse vertigineuse (Ponte City, à Johannesburg, en 1975, par le cabinet Manfred Hermer & Grosskopff) ou d’une rigueur toute cistercienne (église Sainte-Agnès, à Berlin, en 1967, par Werner Düttmann), essaimées du Japon au Brésil en passant par l’Allemagne ? Comment ne pas être ébloui par la variété typologique d’un mouvement grandiose, susceptible de bouleverser le regard et les échelles, la manière de voir et la manière de vivre ? Frustré, parfois égaré dans ce dédale anthologique, le lecteur misera donc moins sur des analyses fulgurantes que sur des découvertes fortuites, sur cette sérendipité consolatrice…

Owen Hopkins, « Les Brutalistes. Les plus grands architectes du brutalisme, »
Phaidon, 368 p., 59,95 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°764 du 1 mai 2023, avec le titre suivant : "Les Brutalistes", d’Owen Hopkins

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