Livre

À l’Élysée, le mobilier des (p)résidents

Par Marie Potard · L'ŒIL

Le 26 février 2024 - 1253 mots

Du comte d’Évreux jusqu’à Emmanuel Macron, un ouvrage dresse le panorama historique de ce palais, où d’illustres occupants ont laissé leur empreinte.

Il y a exactement trois siècles sortait de terre l’actuel palais de l’­Élysée, dans un quartier en pleine urbanisation depuis le retour du roi à Paris : le faubourg Saint-Honoré. L’ouvrage collectif qui vient de paraître, préfacé par Emmanuel Macron, tombe donc à pic. C’est une campagne de restaurations, lancée dans certaines parties de l’édifice, qui est à l’origine des recherches et des avancées dans la connaissance de son passé : le Mobilier national, chargé de l’entretien du lieu, a souhaité les consigner. Le livre retrace ainsi toute l’histoire prestigieuse de l’élysée, et celle des résidents successifs qui y ont laissé leur empreinte, depuis sa construction au début du XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui, en abordant tant son architecture que ses décors et son ameublement. Au printemps 1718, Louis-Henri de La Tour d’Auvergne, comte d’Évreux, marié à Marie-Anne Crozat (fille d’Antoine Crozat, « l’homme le plus riche de son temps »), acquiert un terrain sur lequel il fait construire un bâtiment par l’architecte Armand-Claude Mollet (1660-1742). Achevé en 1720, l’hôtel est construit entre cour et jardin, la façade s’organisant autour d’un avant-corps central, tandis qu’à l’intérieur, le logis comprend un rez-de-chaussée, un étage noble et un étage sous combles.

une vitrine du savoir-faire à la française

En 1753, la marquise de Pompadour acquiert l’hôtel, et le fait en partie remanier et redécorer. Après sa mort en 1764, la Couronne récupère la demeure, en fait différents usages – entre autres, le garde-meubles y siège quelque temps – avant de revendre le bâtiment au riche banquier d’origine bordelaise Nicolas Beaujon, en 1773. L’édifice est finalement racheté en 1786 par le roi Louis XVI, qui le cède ensuite à sa cousine, Bathilde d’Orléans, duchesse de Bourbon : il devient alors un haut lieu de fêtes. C’est à cette époque que le palais prend le nom d’ « Élysée », en référence à son jardin qui jouxte les Champs-Élysées. Il connaît une histoire mouvementée pendant la période révolutionnaire, mais à partir de 1805 il est occupé par Joachim et Caroline Murat, duc et duchesse de Berry (de 1816 à 1820), puis par Louis-Napoléon Bonaparte, devenu Napoléon III, et son épouse l’impératrice Eugénie. Finalement, en 1871, le palais entre définitivement dans le domaine de l’État et devient la résidence officielle des présidents des IIIe, IVe et Ve Républiques. Le lieu, classé monument historique, reflète ainsi l’histoire politique de la France et ses soubresauts, tout en incarnant l’évolution de l’architecture et du décor intérieur, au gré des modes et des changements de goût. Aujourd’hui, patrimoine national et création contemporaine se côtoient en permanence au sein du palais, devenu à la fois le gardien et la vitrine du savoir-faire à la française.Au fil des pages, à l’aide de photographies d’archives et in situ, certains des espaces les plus emblématiques de la demeure – à l’instar de la bibliothèque de NapoléonIII, du boudoir d’argent, de la salle de bains de l’impératrice Eugénie ou encore des appartements des Pompidou – sont analysés en détail ainsi que le mobilier qui les a un jour garni ou qui est encore en place.

consoles laquées du salon murat

Ce vaste espace entièrement remanié par Joachim et Caroline Murat à leur arrivée, en 1805, est orné d’un décor militaire prestigieux, dont ce tableau montrant le Rhin surplombé par le château de Benrath, à Dusseldorf. Brigitte et Emmanuel Macron y font installer, en 2017, une paire de consoles laquées rouge « Psychose » créées par Hervé Van der Straeten, qui remplacent les bibliothèques XVIIIe siècle de Ferdinand Bury.

meubles modernes et boiseries d’époque

Dans le salon de la Cartographie sont installées une déclinaison du siège « Niko » en quatre modules garnis de tissu lin bouclé et une table basse « Jeruk » en bronze martelé doré, signés Thierry Lemaire. Une console « Maillon » d’Hervé Van der Straeten en marbre noir, bronze patiné et mordoré complète l’ensemble.

une console des futurs rois de Naples

Cette table console à double face, 1806-1808, dont le piétement dit « à la grecque » a été réalisé par François-Honoré-Georges Jacob-Desmalter (1770-1841), était dans la grande chambre de parade de Joachim et Caroline Murat, qui gardent l’hôtel jusqu’en 1808, date à laquelle Joachim devient roi de Naples.

un buffet cressent pour le fumoir

Le fumoir décoré par la Maison Dominique, dans l’ancien salon des Paysages, a été utilisé pendant toute la présidence de René Coti (1954-1958). Il accueillait ce buffet bas de Paul Cressent, à décor de laque, livré en 1947 sous Vincent Auriol, premier président de la IVe République.

le berceau en orme et frêne de louise d’artois

Louise d’Artois, fille du duc et de la duchesse de Berry, voit le jour à l’Élysée le 21 septembre 1819. C’est à cette occasion qu’est livré le célèbre berceau en loupe d’orme et de frêne et bronze doré, connu sous le nom de « berceau du duc de Bordeaux », dû à l’ébéniste Félix Rémond (1779-1860).

Dans le salon de Mac-Mahon

Cette console de 1819, à décor de plaques de porcelaine de Sèvres d’après des dessins d’Alexandre-Évariste Fragonard (1780-1850), arrive dans le salon Murat en 1878, sous la IIIe République du président Mac-Mahon. Elle était initialement, en 1821, dans le grand salon de la duchesse d’Angoulême au palais de Saint-Cloud.

bureau particulier de Valéry giscard d’estaing

Ce bureau plat de Jean-Henri Riesener, livré en 1786 pour le contrôleur général des finances, a été utilisé par Valéry Giscard d’Estaing, grand amateur du XVIIIe siècle. Il l’avait choisi pour son bureau particulier, installé dans l’ancienne chambre de l’impératrice Eugénie et communiquant avec les appartements privés.

De l’Empire à la République

Ce bureau 1815-1830 d’Alphonse Jacob-Desmalter (1799-1870), a été utilisé par Sadi Carnot, président de la IIIe République de 1887 à 1894. En palissandre de Rio et bronze doré, il trônait dans l’ancienne bibliothèque de Napoléon III et l’empereur lui-même s’en était servi.

le boudoir de l’impératrice joséphine

Exceptionnellement conservé jusqu’à aujourd’hui dans son salon d’origine, le boudoir d’argent de ­Joséphine a probablement été livré en 1806 par Jacob-Desmalter. L’ensemble se compose de deux méridiennes, quatre fauteuils gondoles, deux chaises à dossier en lyre, deux consoles servant de jardinières et une table, en bois peint en blanc et dorés à l’or blanc. C’est ici que Napoléon Ier signa son deuxième acte d’abdication en 1815.

Table de nuit de l’impératrice Eugénie

Le lit dans la chambre à coucher de l’impératrice Eugénie, à partir de 1867, était accompagné de deux tables de nuit appelées « somno ». De style Louis XVI, elle étaient richement sculptées, en bois peint rechampi or et avaient été livrées en même temps que le lit dix ans plus tôt.

Le goût contemporain des Pompidou

Georges et Claude Pompidou, tous deux collectionneurs d’art contemporain, arrivent à l’Élysée en 1970. L’année suivante, ils lancent la modernisation des pièces du rez-de-chaussée de l’aile est. Ici, une vue du Salon des tableaux, dans les appartements semi-privés, conçu par le designer Pierre Paulin (1927-2007).

fauteuil Stark de Danielle Mitterrand

Le couple Mitterrand fait réaménager les petits appartements privés du palais de l’élysée au premier étage de l’aile est. C’est dans la chambre de Danielle Mitterrand que Philippe Starck (né en 1949) installe en 1983 un fauteuil club revisité, en aluminium et cuir.

table de travail du général de gaulle

Charles de Gaulle préférait travailler sur ce bureau plat d’époque Régence, attribué à Charles Cressent (1685-1768). Il a également servi à Félix Faure mais aussi à Émile Loubet, Armand Fallières, Georges Pompidou, François Mitterrand durant sa première mandature, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande.

À lire
« Le Palais de l’Élysée. Architecture, décor et ameublement »,sous la direction de Muriel Barbier,
Gourcuff Gradenigo et Mobilier National, 304 pages, 49 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°773 du 1 mars 2024, avec le titre suivant : À l’Élysée, le mobilier des (p)résidents

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