Le dossier Caravage

L'ŒIL

Le 1 juin 2000 - 446 mots

Enfin ! Voici qu’un éditeur s’avise de réimprimer ce grand livre, unique en son genre, salué de longue date comme le plus bel ouvrage de fortune critique qui soit. Le Dossier Caravage d’André Berne-Joffroy, publié par les éditions de Minuit en 1959, se présente comme l’instruction d’une affaire en cours.

C’est que, loin de jouir de son actuelle popularité, Caravage était encore, au début du XXe, une figure obscure et méconnue de l’histoire de l’art. La moindre toile ancienne, pour peu qu’elle présentât un éclairage contrasté et des types populaires, lui était systématiquement attribuée, alors que certains de ses plus grands chefs-d’œuvre étaient donnés à d’autres, ou carrément inconnus     (le Bacchus des Offices, par exemple, découvert en 1913 par Marangoni, moisissait dans les dépôts de ce musée, relégué dans d’anciennes latrines). La redécouverte de Caravage, amorcée à la fin du XIXe, est le fruit des recherches passionnées de plusieurs historiens et critiques, dans la première moitié du XXe siècle (Lionello Venturi, Hermann Voss, Roberto Longhi, Matteo Marangoni, Denis Mahon, et quelques autres). Berne-Joffroy reconstitue, en une somme impressionnante, le déroulement de « l’enquête », citant ou résumant les textes, examinant chaque nouvelle pièce versée au dossier avec une précision et une sagacité exemplaires. Et c’est absolument passionnant. Il nous plonge au cœur de la recherche, vivante, aléatoire et savante, pleine d’erreurs fécondes, d’aveuglements et d’intuitions géniales. Mais son véritable dessein, comme l’indique le sous-titre du livre, est de dégager une « psychologie des attributions ». Car, écrit-il, « comment (les chercheurs) pouvaient-ils aborder Caravage, sinon par celles de ses qualités qui correspondaient à leurs idées et à leurs goûts ? » Il s’agit donc moins d’une redécouverte que d’une reconstruction, où la recherche du « vrai » est guidée par de très variables mobiles personnels. Ce dossier reste, probablement, le plus beau livre écrit sur le sujet. Yves Bonnefoy, directeur de la collection « Idées et recherches », est pour beaucoup dans cette initiative. Lui-même est à l’honneur chez le même éditeur, avec la réédition de son livre Rome, 1630, dans la précieuse petite collection « Champs ». Avec le chantier de Saint-Pierre, la cité d’Urbain VIII est alors un immense carrefour où affluent les artistes venus de toute l’Europe, et où fleurissent les genres les plus divers, du caravagisme tardif d’un Valentin au baroque exultant du Bernin, en passant par le paysage et la scène de genre (Dughet, Van Laer). L’auteur évoque superbement cette scène foisonnante d’hommes et d’idées, tout en s’attardant sur les figures majeures, et notamment Poussin.

André Berne-Joffroy, Le Dossier Caravage, éd. Flammarion, 384 p., 250 F, ISBN 2-08-010942-1.
Yves Bonnefoy, Rome, 1630, éd. Flammarion, 280 p., 61 F, ISBN 2-08-081638-1.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°517 du 1 juin 2000, avec le titre suivant : Le dossier Caravage

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