Je me souviens

Chris. Marker, du film au cédérom

Le Journal des Arts

Le 19 mars 1999 - 479 mots

Aussi discret que fondamental, le cinéaste Chris. Marker s’est trouvé avec le cédérom un nouveau champ d’expérimentation, dans lequel il prolonge les thèmes de son œuvre cinématographique. Avec la même liberté par rapport au médium, il poursuit, dans Immemory , produit par le Centre Georges Pompidou, sa quête obstinée d’une mémoire qui se dérobe.

En 1990, le cinéaste Chris. Marker avait présenté à Beaubourg une installation mêlant vidéo, informatique, photo... baptisée Zapping Zone. Son dernier film de cinéma, Level Five (1997), avait confirmé cet intérêt pour le multimédia : il y mettait en scène une femme face à son ordinateur, aux prises avec un jeu récalcitrant, incluant à divers moments des images infographiques. Avec le cédérom Immemory, produit par le Centre Georges  Pompidou où il avait été présenté en 1997 – du moins quand les ordinateurs fonctionnaient –, il franchit le pas mais sans jamais s’éloigner de ses thématiques. Nouvelle variation sur la mémoire, Immemory recueille l’écho de ces travaux antérieurs, de La Jetée à Level Five. Toutes les photos sorties de ses archives personnelles, et pour la plupart inédites, qui peuplent les diverses “zones” du cédérom nous rappellent ainsi ce commentaire saisi dans Sans soleil (1982) : “Je me souviens de ce mois de janvier à Tokyo, ou plutôt je me souviens des images que j’ai filmées au mois de janvier à Tokyo. Elles se sont substituées maintenant à ma mémoire, elles sont ma mémoire”.

Proust et Hitchcock
Un “plan” sous-tend les images rassemblées sans ordre apparent au cours de son existence, et le découvrir constitue la raison d’être de ce travail, de cette recherche du temps perdu. L’association d’idées si caractéristique du processus de la mémoire trouve un équivalent dans l’arborescence du cédérom et dans les multiples liens unissant les thèmes choisis : le cinéma, la photographie, la mémoire, le musée, la guerre, le voyage, la poésie, autant de sujets qui ne sont souvent que les deux faces de la même médaille. À la madeleine de Proust, référence obligée à tout travail de mémoire, répond la Madeleine d’Hitchcock, l’héroïne de Vertigo, autre quête désespérée du temps perdu. S’amusant des possibilités du support, il multiplie les intermèdes ludiques, tandis que surgit régulièrement un chat pour offrir au navigateur de nouvelles connexions. Ne manque finalement que la voix grave et volontiers ironique de l’auteur, qui nous offre ici une sorte d’autoportrait en creux. On ne saurait pour autant réduire Immemory à une entreprise narcissique car, ainsi que Marker l’explique dans le livret : “Mon vœu le plus cher est qu’il y ait ici assez de codes familiers (la photo de voyage, l’album de famille, l’animal fétiche) pour qu’insensiblement le lecteur visiteur substitue ses images aux miennes, ses souvenirs aux miens, et que mon immémoire ait servi de tremplin à la sienne pour son propre pèlerinage dans le Temps Retrouvé.”

Chris. Marker, Immemory, cédérom, Centre Georges Pompidou, Mac/PC, 295 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°79 du 19 mars 1999, avec le titre suivant : Je me souviens

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