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Entre-nerfs

Germaine Richier

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 23 mai 2023 - 764 mots

Impeccable, le catalogue de l’exposition que le Centre Pompidou consacre à la sculptrice Germaine Richier (1902-1959) s’impose déjà comme un opus incontournable, à mi-chemin entre l’étude monographique et l’analyse scientifique. Un ouvrage raisonné, en somme.

C’est peu dire qu’elle était attendue. Mais, faute à des démêlés nombreux, l’œuvre était demeurée un trésor en jachère, en souffrance, quoique célébrée grâce à une exposition majeure organisée par le Musée national d’art moderne en 1956, mais depuis dissimulée au plus grand nombre, comme si cet éblouissement avait été un bouquet final, trop tôt advenu. Le rayon vert, splendide, puis un coucher de soleil. Et un crépuscule. Les études sur Richier demeurèrent rares, menées notamment par Valérie Da Costa, et peuplées des quelques suaires abordables, alimentées de pièces connues et familières, autorisées. La présente exposition du Centre Pompidou, qui voyagera à l’été puis à l’automne au Musée Fabre de Montpellier, intervient donc comme une véritable réparation. Enfin Richier. Enfin ses Guerriers. Enfin ses sculptures peintes. Enfin. C’est donc peu dire, enfin, que le catalogue qui accompagne cette assomption, publié par les Éditions du Centre Pompidou, répond à un horizon d’attente enflammé par l’impatience et la frustration.

Temps et espace

De grand format (23 x 30 cm), cet épais catalogue relié abrite en première de couverture une splendide photographie de Michel Sima représentant Germaine Richier, 50 ans passés, derrière son Ouragane (1948-1949), dont Marie Darrieussecq, dans un essai qu’elle réserve à ce chef-d’œuvre de bronze, estime qu’elle « dévaste et elle vit », et qu’elle « ne fait pas de différence entre le temps et l’espace », ce qui pourrait résumer la sculpture de Richier, capable dans un même mouvement de faire et de défaire, et d’ainsi établir des effigies de l’irréductible présence. Cette pétrification de l’être, presque pompéienne, est immémoriale, se « tient prête ».La quatrième de couverture, sur un délicat fond rouge tommette, accueille la note programmatique de l’ouvrage, dirigé par Ariane Coulondre, en des termes limpides et ambitieux : « Synthèse des recherches les plus récentes, le catalogue témoigne de la place centrale de Germaine Richier en son temps et, plus largement, de son impact décisif dans l’histoire de la sculpture du XXe siècle. » Que vouloir de plus, rêver de mieux ?

Hybridation et métamorphose

Cette publication s’ouvre avec six essais : Ariane Coulondre examine l’importance du défi figural dans la sculpture de Richier (« Seul l’Humain compte ») ; Maud Marron-Wojewodzki sonde « l’espace-temps » de son œuvre, traversée par des expédients scéniques ou scénographiques, intégrant le regardeur ; Florence de Mèredieu revient sur l’étourdissant Christ d’Assy (« Une œuvre. Un contexte. Une polémique »), féerie spirituelle étreinte par le souvenir de la barbarie ; Ivanne Rialland revient sur l’exposition fondatrice du Mnam, en 1956, sacrant Richier « femme de l’année » ; Michael Semff fouille le rôle primordial du dessin et de la gravure, « hors de l’élément attendu », et Paul-Louis Rinuy hisse Richier en « statuaire de la fragilité ».

Étayés de nombreuses archives photographiques donnant corps à cette grande auscultation des corps – la nudité plantureuse de Nardone comme la maigreur austère de Lyrot –, de dessins et de manuscrits – ainsi du formidable texte rédigé par Francis Ponge pour l’exposition de 1956 –, ces textes savants, mais d’une science joyeuse, donnent à approcher le déploiement d’une œuvre qui, de son balbutiement chez le maître Antoine Bourdelle jusqu’à L’Échiquier, grand (1959), s’impose dans sa souveraine cohérence, hantée par l’hybridation et par la métamorphose.

Signes et schèmes

Mythographique, la sculpture de Germaine Richier engendre des signes nouveaux, invente des schèmes inédits. Elle est une écriture hiéroglyphique, à sa manière. Et nombreux furent les écrivains à essayer de la déchiffrer, d’en exprimer le secret enfoui. Francis Ponge, bien sûr, mais aussi Jean Paulhan ou René de Solier, et, pour le catalogue, Maryline Desbiolles qui, sur La Forêt (1946), observe subtilement l’absence de « lumière ingrate », ou Philippe Lançon qui, face à La Sauterelle (1955-1956) note que « là où Giacometti réduit, Richier augmente ».

Le catalogue des œuvres, pourvu de notices roboratives et d’une iconographie généreuse, permet à cet ouvrage, par sa rigueur scientifique, d’excéder la seule actualité de l’exposition. Il s’agissait d’être pionnier mais d’être sérieux, ce que confortent une chronologie substantielle, une liste copieuse des expositions puis des œuvres exposées. Ce faisant, Germaine Richier apparaît comme une source vive de la sculpture moderne, comme un aval inépuisable, offrant des réflexions sur le socle, sur le vide, sur l’espace, sur la couleur, sur l’ombre, sur l’archaïsme et sur l’hubris. Qu’eût donné la peinture de Richier si elle avait exploré plus avant ce médium ? Les compositions de 1958 laissent rêveur, car, par tous les moyens, l’artiste sut entrer en reine dans l’empire des signes.

Ariane Coulondre (dir.), « Germaine Richier »,
Éditions du Centre Pompidou, 304 p., 45 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°765 du 1 juin 2023, avec le titre suivant : Germaine Richier

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