Livre

BEAU LIVRE

Des indiennes au succès fou

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 13 décembre 2023 - 499 mots

Ces toiles de coton peintes ont suscité un engouement inouï. Elles ont accompagné et souvent été le moteur d’un siècle et demi de modes et d’innovations industrielles.

Directrice depuis 2022 du Musée des tissus de Lyon, Aziza Gril-Mariotte a soutenu en 2007 une thèse sur la manufacture de Jouy. Exploitant notamment les archives de ses propriétaires, les Oberkampf, elle s’intéresse cette fois à la fabrication et l’usage des indiennes dans le vêtement et la décoration aux XVIIIe et XIXe siècles. Ce sont des toiles de coton peintes à la main dont la mode « en Europe remonte au XVIe siècle, lorsque les premières importations des vaisseaux portugais ramènent des étoffes dont la texture, la vivacité des couleurs et la légèreté provoquent l’admiration ». Les produits importés d’Inde sont cependant surtout « des étoffes très ordinaires imprimées de petits motifs fleuris, et bien souvent de simples cotonnades unies ». Elles concurrencent les soies françaises et leur prohibition est décrétée en 1686, avec celle des contrefaçons suisses et anglaises envahissant le royaume. La fabrication sera finalement autorisée en 1759 ; à ce moment, « le goût des indiennes s’est déjà répandu dans toute la société, la dernière décennie […] ayant progressivement laissé faire la contrebande ». D’ailleurs, rapporte le baron von Grimm en octobre 1755 : « Nos femmes se promènent publiquement en robes d’indienne et de Perse [coton glacé également indien] […]. Et comment la loi serait-elle en vigueur, puisqu’elle n’est pas respectée par les législateurs, et que, par exemple, dans tout le château de Bellevue il n’y a pas un meuble qui ne soit de contrebande ? » Les sièges de la maison de campagne de la marquise de Pompadour étaient donc recouverts d’indienne…

Dès la levée de la prohibition, les fabricants français se mettent à produire « à Jouy, à Nantes, en Normandie ou en Alsace ». Très vite, la toile (la plus fine étant longtemps importée vierge d’Inde) n’est plus peinte à la main mais imprimée. La dernière touche est cependant apportée par un peintre, par exemple pour obtenir des verts – avant l’arrivée sur le marché des couleurs synthétiques –, par superposition de peinture jaune sur du bleu. Des dessinateurs et des graveurs sont formés dans les manufactures puis des ateliers de dessin s’ouvrent, fournissant des modèles différents à plusieurs commanditaires.

Peu à peu, des entrepreneurs comme Johann Rudolf Wetter (1705-après 1767), Samuel Koechlin (1719-1776), Jean-Henri Dollfus (1724-1802), Christophe Philippe Oberkampf (1738-1815) et son fils Émile (1787-1837) lancent les modes d’été et d’hiver, soldant les coupons de la saison précédente. Ils produisent aussi des robes à disposition, c’est-à-dire prêtes à monter, des rubans, des bordures. Enfin, ils améliorent continuellement les techniques d’impression comme la qualité et la variété des couleurs. Parmi les dessinateurs qui fournissent les modèles de décor, on connaît les peintres Jean Pillement (1728-1808), Mademoiselle Jouanon (active entre les années 1770 et 1800), Jean-Baptiste Huet (1745-1811), le dessinateur Henri Lebert (1794-1862) ou le photographe Adolphe Braun (1812-1877). Ils sont les acteurs d’une histoire qui concerne toutes les catégories sociales et toutes les régions françaises.

Des étoffes pour le vêtement et la décoration. Vivre en indiennes, France (XVIIIe-XIXe siècle), Aziza Gril-Mariotte,
Presses universitaires de Rennes, coll. « Art et société », 2023, 216 p., 32 €.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°623 du 15 décembre 2023, avec le titre suivant : Des indiennes au succès fou

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque