Art contemporain

Anish Kapoor acquiert les droits exclusifs du noir « Vantablack »

1960, Yves Klein dépose la formule de son bleu IKB

Par Julie Paulais · Le Journal des Arts

Le 30 mars 2016 - 740 mots

MONDE

Sujet d’une récente polémique, Anish Kapoor a une nouvelle fois fait parler de lui en acquérant le droit exclusif d’utiliser « le noir le plus noir du monde ».

Développé par la société Surrey NanoSystems, le « Vantablack » est un matériau composé d’une multitude de minuscules nanotubes de carbone, si resserrés qu’ils absorbent 99,96 % de la lumière. Sa principale caractéristique est d’effacer les textures, les aspérités et l’aspect tridimensionnel de la surface sur laquelle il est appliqué, donnant l’impression d’une sorte de trou noir dans l’univers, selon ses concepteurs. Destiné à l’origine à l’industrie spatiale et militaire, le Vantablack a rapidement intéressé les artistes pour son potentiel illusionniste, et parmi eux Anish Kapoor. « Le matériau est si noir que votre œil ne peut pratiquement pas le voir […] et j’ai toujours été attiré par des matériaux exotiques à cause des réactions qu’ils suscitent en vous », avait-il expliqué il y a peu à la BBC Radio 4. L’artiste britannique sera désormais le seul à pouvoir l’utiliser.

Cette exclusivité a immédiatement fait réagir plusieurs figures du monde artistique, dont le peintre Christian Furr, qui projetait d’utiliser le Vantablack pour une série de tableaux. « Nous devrions être en mesure de l’utiliser. Ce n’est pas juste qu’il appartienne à un seul homme […] C’est la première fois que j’entends parler d’un artiste qui posséderait le monopole sur un matériau », a-t-il déclaré au Daily Mail.

Pourtant, un précédent d’appropriation d’une matière colorée par un artiste existe bel et bien, et ce depuis les années 1960.

Né à Nice en 1928, Yves Klein s’est très vite familiarisé avec la peinture grâce à ses parents tous deux artistes, mais il s’oriente d’abord vers une autre carrière, celle de judoka. Suite au refus de la Fédération française d’homologuer son titre de ceinture noire quatrième dan obtenu au Japon, Yves Klein décide en décembre 1954 de ne plus se consacrer qu’à la peinture. À partir de cette date, l’artiste ne crée que des peintures monochromes de différentes couleurs, « seule manière physique de peindre permettant d’atteindre à l’absolu spirituel » explique-t-il dans le catalogue de sa première exposition publique. Cette recherche d’absolu le conduit rapidement à privilégier le bleu outremer, un choix confirmé par son voyage à Assise (Italie), où il est fasciné par les ciels de Giotto, véritable précurseur de la monochromie bleue. Pour l’artiste, le bleu est chargé de sensibilité et propice au passage du matériel à l’immatériel : « Le bleu n’a pas de dimension, il est hors dimension, tandis que les autres, elles, en ont […] Toutes les couleurs amènent des associations d’idées concrètes […] tandis que le bleu rappelle tout au plus la mer et le ciel, ce qu’il y a après tout de plus abstrait dans la nature tangible et visible. »

Le International Klein Blue
Associé au marchand de couleurs Édouard Adam, Yves Klein recherche alors un liant autre que l’huile traditionnellement utilisée dans la majorité des peintures, qui puisse parfaitement fixer chaque grain de pigment bleu outremer « sans qu’aucun d’eux ne soit altéré ni privé de ses possibilités autonomes de rayonnement ».

Le 19 mai 1960, Yves Klein dépose à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) sous la forme d’une enveloppe Soleau n° 63471 (solution moins onéreuse qu’un brevet) la formule de son invention, qu’il nomme IKB (International Klein Blue). Cette formule comprend un certain dosage de Rhodopas MA, d’alcool d’éthyle et d’acétate d’éthyle, permettant de fixer le pigment bleu outremer n° 1311. Célèbre dans le monde entier, ce bleu outremer si profond est devenu la signature de l’artiste. Yves Klein crée quelque deux cents monochromes IKB, la plupart réalisés en 1960, et poursuit ses recherches en imprégnant des éponges de sa couleur fétiche et en inventant sa fameuse « technique des pinceaux vivants » (ou « anthropométrie »), qui revient à laisser au corps humain le soin de faire le tableau. Admirés en France, les monochromes IKB d’Yves Klein reçoivent pourtant un accueil mitigé aux États-Unis, où l’artiste expose pour la première fois en 1961. Afin de justifier sa démarche, Yves Klein rédige un an avant sa mort le Manifeste de l’hôtel Chelsea, dans lequel il développe sa conception de l’immatériel et du spirituel dans sa peinture, et conclue, comme une sorte de pressentiment à l’invention de cet ultra-noir si convoité : « L’artiste futur ne serait-il pas celui qui […] exprimerait une immense peinture à laquelle manquerait toute notion de dimension ». Nul doute qu’Yves Klein aurait, lui aussi, été fasciné par une couleur ayant la capacité de supprimer l’aspect tridimensionnel de n’importe quelle surface et de suggérer un espace infini.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°454 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : 1960, Yves Klein dépose la formule de son bleu IKB

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque