GALERIES

Une « saison russe » à Saint-Germain

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2018 - 805 mots

Trois galeries de la rive gauche, Jeanne Bucher Jaeger, Le Minotaure et Alain Le Gaillard, ont collaboré pour exposer des peintres d’origine russe rattachés à l’école de Paris.

Paris. Situées à quelques encablures les unes des autres, trois galeries spécialisées en art du XXe siècle se sont associées pour organiser un événement inédit. En effet, Le Minotaure et Alain Le Gaillard, qui ont l’habitude de collaborer, présentent chacun dans leur espace respectif les Monochromes du Russe Serge Charchoune, tandis que, simultanément, la galerie Jeanne Bucher Jaeger se concentre sur les artistes russes qu’elle a soutenus depuis ses débuts en 1925. Si ces trois galeries s’étaient déjà réunies en 2016 autour de l’exposition de Vera Pagava (1907-1988), « cette “saison russe” est une première dans le quartier », annonce Emmanuel Jaeger, petit-fils de Jeanne Bucher et directeur de la galerie qui porte leurs noms. Le moment est opportun : dans le même temps se déroule dans le quartier le Parcours des mondes, qui draine amateurs et collectionneurs d’art (lire p. 38).

Charchoune à l’honneur

Arrivé à Paris en 1912, Serge Charchoune (1888-1975) réalise ses premières œuvres abstraites dès 1916-1917. Adhérant successivement à différents mouvements comme Dada ou le purisme, créant le concept de « cubisme ornemental », il est un artiste difficile à classer. « Selon moi, il est “l’artiste des artistes”. Un des seuls qui remettait toujours tout en question, souligne Benoît Sapiro, fondateur de la galerie Le Minotaure. Il a évolué en permanence et a fait des recherches toute sa vie. Il ne s’est pas contenté de trouver son style. » Parmi ses recherches, le monochrome tient une place non négligeable, c’est pourquoi les deux galeries ont choisi de se focaliser sur ce pan-là de son œuvre.

Si le Carré noir (1915), de Malevitch est considéré comme le premier monochrome de la peinture contemporaine, Charchoune en réalise à partir de 1926. Il en peindra jusqu’à la fin.

Bien que l’exposition s’intitule « Monochromes », les deux galeristes élargissent le propos, y rattachant le cubisme ornemental. « Nous voulons faire comprendre au public comment Charchoune en vient au monochrome, quelle a été sa démarche, étape par étape », explique Benoît Sapiro. Sur la surface polychrome, le peintre déposait une pellicule de peinture blanche, « comme un voile blanc », plus ou moins opaque. Apparaissaient alors en filigrane des ocres, des roses, des verts… Quand Charchoune réalisait un tableau polychrome, soit il le conservait en l’état, soit il le recouvrait d’un voile blanc. Ainsi, La Mer perfide (1949) est toute en polychromie tandis qu’une couche de peinture blanche est apposée sur Guitare, Variation III (1960). « L’Avocat marron, réalisé en 1926, permet de voir les étapes intermédiaires puisque la peinture est partiellement recouverte de blanc », indique le galeriste. Même chose pour Une douce mélodie des ruines (1952) : « Nous sommes à deux doigts du monochrome. Il aurait fallu un voile blanc supplémentaire. » D’autres fois, Charchoune peignait directement en blanc sur la toile comme dans Composition inspirée par Beethoven (1959). À ne surtout pas manquer, Venise (1968), issue d’une série, est l’un des monochromes les plus séduisants de l’exposition (280 000 €). Accompagnée d’un catalogue, la cinquantaine d’œuvres présentées affiche des prix allant de 45 000 à 280 000 euros.

À la galerie Jeanne Bucher, le thème de l’exposition est plus large puisque Emmanuel Jaeger a sélectionné des œuvres non seulement de Serge Charchoune – exposé à la galerie en 1926 –, mais de six autres artistes, tous russes. « Nous avons à cœur de mettre en avant l’histoire de la galerie et de trouver des thématiques en lien avec elle, explique-t-il. En écho à l’exposition consacrée à l’avant-garde russe à Vitebsk au Centre Pompidou [qui s’est achevée le 16 juillet], la galerie a choisi de rendre hommage aux artistes russes qu’elle a présentés dans son espace depuis son ouverture en 1925 et jusqu’en 1955, à la mort de Nicolas de Staël. » Parmi les sept artistes exposés (en plus de Charchoune), figurent Kandinsky et de Staël – que Jeanne Bucher (1872-1946) a découvert –, mais aussi André Lanskoy, Serge Poliakoff, Youla Chapoval et Vera Pagava. En tout, la galerie présente dix-huit œuvres, proposée à des prix allant de 20 000 euros à 3 millions d’euros.

Pièce phare de l’accrochage, Communauté (1942), de Kandinsky, n’est pas à vendre puisqu’elle a été offerte par l’artiste à la galerie. Cette toile, emblématique de son travail, a été présentée dans de nombreuses expositions internationales. « [Elle] nous permet de montrer l’influence de Kandinsky sur les autres artistes exposés ici », indique le galeriste. Trônant au fond de la galerie, Eau de vie, de De Staël (1948, 3 M€) « est une œuvre typiquement russe. Très chargée, avec beaucoup de matière, elle est même torturée ». À côté d’elle, plus colorée, se tient Lueur incertaine, de Lanskoy, 1947 (125 000 €), « un des chefs-d’œuvre de l’artiste », sans oublier Youri Chapoval, avec Sans titre, poisson, exposée à la galerie en 1949.

Les Russes à Paris, 1925-1955,
jusqu’au 3 novembre, galerie Jeanne Bucher Jaeger, 53, rue de Seine, 75006 Paris ;
Serge Charchoune, Monochromes,
jusqu’au 3 novembre, Galeries Le Minotaure, 2, rue des Beaux-Arts, et Galerie Alain Le Gaillard, 19 rue Mazarine, 75006 Paris.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°507 du 21 septembre 2018, avec le titre suivant : Une « saison russe » à Saint-Germain

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