Galerie

ART CONTEMPORAIN

Un nouveau cycle pour Oscar Murillo ?

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2020 - 937 mots

PARIS

La galerie David Zwirner présente une série de peintures qu’il a réalisée pendant le confinement. Depuis mars, le colauréat du Turner Prize 2019 est retourné vivre dans son village natal en Colombie.

C’est le premier solo show d’Oscar Murillo (né en 1986) à Paris, le sixième chez son galeriste David Zwirner. En 2017, on avait pu voir une vidéo de sa série « Estructuras resonantes » au CAPC-Musée d’art contemporain de Bordeaux ainsi qu’au Jeu de paume à Paris, mais jamais ses peintures n’avaient été montrées, en France, avec une telle ampleur : neuf grandes toiles réparties dans la galerie, dont certaines monumentales. Murillo n’a pas encore de collectionneurs dans l’Hexagone, où son marché reste à développer, explique Justine Durrett, la directrice de la galerie. Les prix sont compris entre 280 000 et 500 000 dollars (entre 236 000 et 420 000 € environ).

On connaît le parcours de cet artiste originaire de Colombie, maintes fois surnommé le « Basquiat du XXIe siècle » – formule qui laisse un peu songeur : parle-t-on d’un Matisse ou d’un Picasso du XXIe siècle ? Murillo, c’est vrai, a déjà sa légende. On sait la façon dont, étudiant, il paya ses cours au Royal College of Art, d’où il sortit diplômé en 2012 : il fit des ménages avant de voir ses toiles, très vite, s’arracher autour de 400 000 dollars. On a eu vent aussi, de ses coups de tête, comme lorsqu’en 2016, à bord d’un vol pour l’Australie, il détruisit son passeport et ne put jamais, par conséquent, se rendre à la Biennale de Sydney où on l’attendait. Enfin l’an dernier, Oscar Murillo, pour la première fois de l’histoire du Turner Prize, a, d’un commun accord avec les trois autres artistes nommés, accepté de partager collectivement la prestigieuse récompense au lieu qu’elle soit attribuée à l’un ou l’une des quatre. Coup d’éclat âprement discuté dans le monde de l’art.

Un rituel très physique

Depuis huit mois, le voici confiné dans son village natal de La Palia où il n’était pas retourné depuis plusieurs années. Lui qui se définissait comme étant toujours dans le mouvement a même renoncé à prendre l’avion pour venir voir son exposition à Paris. Les tableaux présentés ont tous été réalisés en Colombie, selon un processus créatif déjà éprouvé qui consiste à réutiliser d’anciennes toiles (cette fois, son studio londonien les lui a expédiées). Posées à plat au sol, les toiles sont d’abord imprégnées de peinture comme sous l’effet d’une presse, selon un rituel très physique, puis découpées et recousues entre elles. Murillo rature ensuite ce fond « sérigraphié » à l’aide de gros crayons de peinture à l’huile, jusqu’à les écraser complètement sur la toile – où leurs emballages cartonnés restent incrustés. Il emploie également le rouleau pour certains aplats, et use de motifs récurrents, comme celui, ici, d’un emballage de thé japonais stylisé. Par endroits, des lettres en partie effacées ou recouvertes se laissent deviner, formant les mots « news », « power » et « law » [« informations », « pouvoir » et « loi »]. La gamme chromatique est celle, habituelle, d’une palette de couleurs sombres, noir, rouge et bleu profonds. Mais, fait nouveau, l’artiste a également recours à un cobalt intense qui zèbre le fond à la façon d’un éclair. Le tout dégage une impression de force physique : Murillo parle d’une « décharge d’énergie ». Dans ces compositions abstraites, on voudrait voir la frustration de l’inertie obligée, une forme peut-être de colère, de révolte. Cette série, baptisée « News », ne prend-elle pas place dans un ensemble plus vaste intitulé « Manifestation » ? Mais sans doute faut-il l’entendre plutôt comme celle d’une épiphanie. Finalement, cet arrêt brutal dû à la pandémie est venu clôre un cycle d’une dizaine d’années au cours duquel Murillo affirme avoir nourri sa curiosité. Il y voit une opportunité de renouveler sa pratique, et peut-être, de se tenir davantage à distance du monde de l’art. Pour autant que ce dernier lui conserve une place de choix.

Trois questions à Oscar Murillo

Depuis le mois de mars, vous êtes resté confiné dans votre village natal de La Palia. Comment avez-vous vécu ces derniers mois ?
Le confinement m’a offert une plus grande simplicité. Cela m’a donné une nouvelle clairvoyance. Je me suis plongé dans la production. Avant, mon emploi du temps était très itinérant, j’allais d’un projet à un autre, dans différents endroits. Là je me suis concentré sur la peinture et sur le fait de reconstruire ma pratique. Ça a été un moment triomphant. Je suis rentré dans un processus automatique. Ce que vous voyez là, c’est de la pure peinture. J’ai pu travailler avec des matériaux traditionnels d’une qualité exceptionnelle, et trouver mes propres moyens de les appliquer sur la surface. Mon corps est devenu une machine qui m’a permis cet engagement frénétique avec la toile.

Dans cette série, un motif est repris d’une toile à l’autre, comme un pochoir, représentant des fleurs stylisées sur un fond rouge. De quoi s’agit-il ?
C’est un thème japonais, la floraison des cerisiers : une représentation symbolique culturelle. Pendant dix ans j’ai travaillé comme un chercheur, avec beaucoup de curiosité pour le monde. Ces références encyclopédiques sont devenues des références graphiques, des motifs sont restés, comme une façon de rompre un formalisme. J’ai un problème avec l’abstraction, je ne crois pas aux chemins de l’abstraction américain et européen.

En Colombie, êtes-vous connecté à la scène artistique locale ?
La scène artistique est à Paris, New York, Londres, Los Angeles, Berlin… Ma relation avec la Colombie est davantage en lien avec la nature. Je suis dans mon petit village, je produis des œuvres, cela m’aide à garder mon énergie.

Propos recueillis par Anne-Cécile Sanchez (entretien vidéo depuis les bureaux de la galerie Zwirner)

Oscar Murillo, News,
initialement jusqu’au 19 décembre, galerie David Zwirner, 108, rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°555 du 13 novembre 2020, avec le titre suivant : Un nouveau cycle pour Oscar Murillo ?

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