Sotheby’s et Christie’s peaufinent leurs préparatifs

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 28 août 1998 - 1651 mots

Mobilier français, livres et manuscrits, mais aussi arts décoratifs du XXe siècle devraient être, à Paris, les spécialités phares des deux grandes maisons anglo-saxonnes qui poursuivent leurs
préparatifs en vue de leurs premières ventes à Paris. En parallèle, Christie’s
et Sotheby’s continuent d’étoffer leurs départements dans des spécialités comme
les tableaux modernes, dont il ne semble pas sûr qu’ils seront vendus à Paris. Cela se traduira-t-il par une nouvelle hémorragie d’œuvres d’art ?

Depuis deux ans, Sotheby’s et Christie’s peaufinent leurs préparatifs. Les deux maisons n’ont pas ménagé leurs deniers pour s’implanter dans le Saint des Saints du marché de l’art parisien, le Faubourg Saint-Honoré. Christie’s, présente en France depuis 1968, aménage au 9 avenue Matignon, dans l’ancienne galerie Artcurial, son futur quartier général parisien. Les nouveaux locaux (entre 4 500 et 5 000 m2), qui comprendront un espace flexible constitué de deux salles de vente et de quatre ou cinq salles d’exposition, ne devraient pas ouvrir avant l’été 1999. Ce qui signifie que si la loi est votée à l’automne ou en début d’hiver, Sotheby’s pourrait devancer sa concurrente en commençant à vendre sur les bords de la Seine plusieurs mois avant l’actuel numéro un mondial. “Nous avions parié sur une ouverture tardive qui interviendrait dans le courant de l’année 1999, explique Philippe Ségalot, nouveau responsable de la division Beaux-arts chez Christie’s. Si Sotheby’s avait commencé à vendre en début d’année 1998, cela aurait été gênant pour nous. En revanche, débuter nos ventes six mois après notre concurrent ne constitue pas un réel problème”.

Des effectifs renforcés
Christie’s France, qui a adopté en 1997 un statut de société anonyme, est dirigée par deux hommes, Hubert de Givenchy, président du conseil de surveillance, et Hughe Joffre, président du directoire. Hors Paris, la société dispose de trois bureaux régionaux, à Lyon, Bordeaux, Aix-en-Provence, et d’un représentant pour la région Centre et Val-de-Loire. Au total, les effectifs ont plus que doublé depuis deux ans et devraient atteindre quatre-vingts à cent personnes quand commenceront les ventes, en 1999. Des recrutements de clercs, de magasiniers, mais aussi de secrétaires et d’agents de sécurité devraient intervenir dans les prochains mois. “Nous nous sommes efforcés, dans un premier temps, de “franciser” nos équipes, explique Hugues Joffre. Nous avons remplacé certains salariés anglo-saxons par des Français. Puis, les équipes de spécialistes se sont renforcées afin de compléter les départements existants (peinture ancienne et moderne). Nous avons ensuite ouvert de nouveaux départements dans les domaines de l’orfèvrerie, de la porcelaine, des arts décoratifs du XXe siècle. Dans un troisième temps, les équipes administratives ont été étoffées. Nous abordons aujourd’hui une quatrième étape, liée à l’ouverture de salles de vente, qui s’accompagnera d’une internationalisation de nos équipes”. Pour se rapprocher de sa clientèle hexagonale, Christie’s a recruté plusieurs spécialistes : Patrick Leperlier (mobilier, responsable de la division Arts décoratifs), Emmanuel Clavé (art contemporain, responsable du département XXe siècle), Félix de Marez Oyens (livres anciens et manuscrits), Sonia Ganne (arts décoratifs du XXe siècle), qui travaillait auparavant à la galerie Laffanour, Pascal Zuber (tableaux anciens), Hervé de la Verrie (porcelaine), Philippe Delalande (arts asiatiques), qui a fait ses premières armes chez Jacques Barrère. Philippe Ségalot, qui était senior consultant spécialisé en tableaux du XXe siècle chez Christie’s à New York, après avoir été associé au cabinet parisien de Marc Blondeau, est aujourd’hui responsable de la division Beaux-arts comprenant onze spécialistes. Au total, une dizaine de nouveaux experts sont ainsi venus renforcer les effectifs en un peu plus d’un an, et de nouveaux recrutements interviendront prochainement, en particulier à la tête du département Art contemporain.

Même effervescence chez Sotheby’s, qui a devancé son illustre concurrent en ouvrant son nouveau QG, dès février 1998, dans la galerie Charpentier, 76 rue du faubourg Saint-Honoré, face à l’Élysée. La maison de vente dispose ici d’une surface de 2 500 m2 – moitié moins que Christie’s, avenue Matignon –, comprenant une grande salle de vente modulable et une salle d’exposition. Elle possède également des délégations à Lyon, Bordeaux, Montpellier et Strasbourg. Sotheby’s France s’est étoffé ces derniers mois d’une douzaine de nouveaux experts, dont Jean-Baptiste de Proyart (livres et manuscrits anciens), Frédéric Gourd (tableaux anciens), Ulriche Goetz (objets d’art), Gabriella Mantegani (bijoux). Simon Shaw (département du XIXe siècle) était auparavant en poste chez Sotheby’s à Londres. Loïc Malle (peinture moderne et contemporaine) a, lui, travaillé chez Didier Imbert Fine Arts. Nicolas Joly et Diana Widmaier ont rejoint le département des tableaux et dessins anciens. Le premier a travaillé chez Mikaeloff pendant huit ans, tandis que la seconde était auparavant au Metropolitan Museum de New York. Le département impressionniste, moderne et contemporain, très renforcé, emploie 7 personnes. Vient ensuite celui du mobilier, dirigé par Alexandre Pradere, chez Sotheby’s Paris depuis vingt ans, puis celui des tableaux et dessins anciens. L’accroissement des effectifs parisiens dans les départements impressionnistes, modernes et contemporains de Christie’s et chez Sotheby’s traduit la volonté des maisons de vente d’intensifier leurs transactions, tout en se montrant très évasives sur la possibilité de vendre ces œuvres à Paris. “Des ventes d’art moderne pourraient néanmoins avoir lieu sur les bords de Seine à la condition qu’il s’agisse de collections très françaises ancrées dans l’histoire nationale”, explique Philippe Ségalot.

Une ouverture qui bénéficiera au marché français
L’année 1997 a été bonne pour les deux maisons : plus de 12 milliards de ventes pour Christie’s, qui réalise son meilleur résultat depuis 1991, et 11 milliards pour Sotheby’s. Elles ont une implantation internationale qui leur permet de vendre là où le différentiel de charges est le plus profitable pour leur clientèle. Pourquoi diable ont-elles donc manifesté leur volonté de vendre à Paris, handicapé par un contexte fiscal et réglementaire peu favorable ? N’avaient-elles pas toute latitude d’obtenir que leur soient confiés des objets d’art en France pour les revendre à l’étranger ? “La France est la troisième place mondiale du marché de l’art en termes de chiffre d’affaires, précise Laure de Beauvau Craon, présidente de Sotheby’s France. Il était tout à fait anormal que des maisons comme les nôtres ne puissent pas y vendre et que la France se renferme dans un système clos qui l’a exclue de la première place qui était la sienne jusqu’à la fin des années cinquante. Cette ouverture imposée par l’Europe ne peut être que bénéfique à la France. Cela modernisera le système”.

Les ventes que Christie’s et Sotheby’s organiseront à Paris dans leurs salles proposeront principalement des objets d’art jusqu’alors vendus à Monte-Carlo, du mobilier français dont l’Hexagone devrait être le grand centre, mais aussi des tableaux anciens et du XIXe siècle, des dessins, de l’argenterie française, des meubles et des objets d’arts décoratifs du XXe siècle, des livres, de l’art tribal, des photographies.

Elles attendent de leur établissement un gonflement du volume d’affaires pour Paris, dont devraient bénéficier tant les marchands que les commissaires-priseurs français. Mais une part croissante du gâteau du marché de l’art ne risque-t-elle pas en réalité d’être avalée par les maisons de vente anglo-saxonnes ? “La pire des situations pour Paris est la situation actuelle, s’emporte  Laure de Beauvau Craon. Si vous additionnez les chiffres d’exportation des deux grandes maisons, la France perd chaque année un volume considérable d’œuvres d’art qui sont vendues hors de l’Hexagone. Nous avons longuement hésité à nous établir en France, en nous demandant s’il fallait ou non ouvrir des salles de vente à Paris. Ne valait-il pas mieux laisser Paris croupir et continuer à “pomper” des objets ? L’ouverture du marché aux maisons de vente anglo-saxonnes arrêtera l’hémorragie que connaît la France. N’ayant pas le droit de vendre à Paris, nous avons créé des marchés artificiels, comme Monaco, Genève ou Zurich. Nous allons désormais fixer sur place une partie de ce que nous exportons et ensuite importer des pays environnants, la Belgique, l’Allemagne et l’Angleterre, des objets d’art que nous vendrons à Paris”.

Quand une grande vente se tient dans une ville, poursuit Hugues Joffre, elle attire trois cents à cinq cents personnes, qui profitent de leur venue pour faire le tour des galeries. D’après lui, l’arrivée de cette clientèle devrait profiter également aux commissaires-priseurs.

Des marchands confiants
Chez nombre de marchands du Faubourg Saint-Honoré et de l’avenue Matignon, comme Monique Magnan (Makassar), le climat semble être au beau fixe. Pour Georges de Jonckheere également, pour qui “toute activité qui se déploie à Paris ne peut qu’être favorable au marché de l’art français. La présence des maisons de vente étrangères attirera de nouveaux clients et renforcera la place parisienne”. La plupart se réjouissent de voir s’installer à proximité de leur fonds de commerce les deux maisons de vente. L’organisation de grandes vacations médiatiques devrait leur permettre de voir arriver dans leur galerie de riches clients étrangers qui ne fréquentent pas d’ordinaire les salles des ventes parisiennes. Pour Manuel Schmit, la compétition obligera en outre les commissaires-priseurs français à s’organiser afin de mettre sur pied des ventes plus riches et homogènes.

Quels bénéfices le marché français obtiendra-t-il de l’ouverture ? “Paris peut redevenir une place internationale importante, à la condition que les acteurs du marché mondial retrouvent en France les règles, en matière de commissions, de taxes et de système d’expertise, qui sont en vigueur dans le reste du monde, soutient Hughe Joffre. Il faut en outre que des changements s’opèrent au niveau légal et fiscal afin de redonner une véritable chance au pays. Une législation trop lourde, trop sévère et bureaucratique nuira au développement de la place parisienne. Il est nécessaire, enfin, qu’à l’échelle de la communauté soient prises des décisions pour donner une vraie chance au marché européen. Si ces règles ne sont pas harmonisées, l’activité risque de quitter l’Europe. De notre côté, notre statut de multinationale nous permettra de toute façon d’échapper au carcan européen en vendant aux États-Unis ou en Suisse. La compétition est la chose la plus saine et la meilleure qui soit. En étant obligés de s’aligner sur un certain niveau de service, les commissaires-priseurs et les marchands en profiteront”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°65 du 28 août 1998, avec le titre suivant : Sotheby’s et Christie’s peaufinent leurs préparatifs

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