Mobilier 1920-1950 : vers un marché français plus sélectif

Le Journal des Arts

Le 21 décembre 2001 - 983 mots

Malgré une conjoncture peu propice à sa santé, le marché français du meuble des années 1920 à 1950 se maintient. Les grandes ventes parisiennes de la saison, organisées par l’étude Tajan et le cabinet Camard, confirment la tendance.

PARIS - L’hiver s’annonçait rude. Après les attentats du 11 septembre, le marché des arts décoratifs des années 1920 à 1950 entrait dans des temps incertains. Les résultats des ventes d’automne de l’étude Tajan et du cabinet Camard ont rassuré les professionnels. L’époque n’est certes pas à l’euphorie ni aux enchères records, fût-ce pour Dupré-Lafon ou Ruhlmann, mais le marché reste solide pour les pièces de qualité.

Les créateurs phares des ventes d’arts décoratifs ont encore enregistré des enchères millionnaires lors des vacations organisées le 20 novembre par l’étude Tajan, rue des Mathurins, et les 4 et 5 décembre par le cabinet d’expertise Camard, à l’hôtel d’Évreux. Florilège : chez Tajan, 3,4 millions de francs au marteau pour un bar d’appartement de Dupré-Lafon, 2,7 millions pour une table basse en chêne du même créateur, 1,1 million pour une paire de fauteuils d’Armand-Albert Rateau ; chez Camard, 1,5 million de francs pour une coiffeuse de Ruhlmann. Des prix plus qu’honorables, dans la fourchette d’estimations toujours vertigineuses. Au total, la vacation organisée par l’étude Tajan récolte un produit vendu de 33 millions de francs ; celle de l’étude Camard un total adjugé de 12,2 millions. Malgré de nombreux invendus (plus de 50 % pour l’étude Tajan, environ un tiers pour le cabinet Camard), les professionnels sont plutôt rassurés. “Les prix se maintiennent pour les belles pièces, alors qu’on a vraiment eu peur après le 11 septembre, les Américains étant les plus gros clients du marché, explique Romain Lefebvre, jeune expert et marchand parisien. Les 4 millions de francs obtenus à Nice en octobre par une commode en galuchat de Jean-Michel Frank nous avaient donné un espoir. Les ventes parisiennes l’ont confirmé.” Même écho chez l’expert Jean-Marcel Camard : “Deux mois après les attentats, les marchands américains qui ont des antennes parisiennes ont repris leurs habitudes. De plus, la clientèle privée américaine qui a déserté les salles de ventes, a été relayée par une clientèle privée française.” “Et les particuliers achètent, confirme Romain Lefebvre. Cela va assainir le marché, c’est une bonne chose.” Dans la même veine optimiste, le marchand signale la bonne tenue, lors de ces ventes, du mobilier des années 1940. “Le mobilier des années 1920 et 1930 a supporté la crise de 1989, ce qui en fait une valeur refuge. Pour le mobilier des années 1940, on pouvait être plus inquiet”, rappelle-t-il. D’autant plus que l’on murmure que certains marchands de la rive gauche, spécialistes du 1940, accusent jusqu’à 80 % de perte de chiffre d’affaires depuis septembre, malgré une affection grandissante des acheteurs pour les styles 1940 et 1950… Les meubles de cette période présentés lors de ces vacations ont pourtant trouvé preneurs. Deux exemples : 155 000 francs pour un secrétaire en bois vernissé noir de Jean Pascaud, vendu par l’étude Tajan dans la fourchette basse de son estimation, et 162 000 francs pour une table basse en marbre de Gilbert Poillerat (estimée entre 150 et 180 000 francs) lors de la vente du cabinet Camard.

Marchands dans l’expectative et clientèle plus circonspecte
Cependant, ces deux vacations ont paru ternes comparées aux ventes électriques de mai et juin dernier. Les 50 % d’invendus de l’étude Tajan, lors d’une vente “très saine, alimentée par des collections particulières”, selon Romain Lefebvre (et non pas par des invendus de marchands), résonnent comme un échec. Parmi ces invendus : une paire de fauteuils bas de Ruhlmann, estimés entre 1,5 et 1,7 million de francs, qui avaient bénéficié d’une grande publicité. Invendue aussi, une bonne partie d’un exceptionnel ensemble de meubles de Paul Dupré-Lafon, parmi lequel trois bureaux, un secrétaire et une table de fumeur, pourtant de bonne qualité. “Peut-être une question d’estimations trop hautes, ou une inadéquation de certains lots avec la demande du public. Certains meubles, étaient un peu trop rustiques pour un public décidément fasciné par un Dupré-Lafon très parisien”, avance Romain Lefebvre. Pour le même créateur, la vente du cabinet Camard a aussi eu à déplorer de nombreux invendus. “Pour Dupré-Lafon, il y a un problème de saturation du marché, explique Jean-Marcel Camard. Les professionnels s’attendaient à écouler leur marchandise en septembre et octobre, période traditionnellement faste. Cela n’a pas été le cas.” Deux autres déceptions lors de cette vente : un mobilier de Joseph-Maria Olbrich, père de la Sécession viennoise, estimé entre 1 et 1,2 millions de francs, a laissé les acheteurs de marbre, tout comme les créations avant-gardistes de René Herbst, à l’exception des luminaires. Deux échecs qui résument bien l’état d’esprit des acheteurs : ne pas prendre de risques, privilégier le goût français classique et faire très attention à la provenance et aux prix. Les meubles de Herbst, en effet, avaient “déjà été vus, et étaient estimés trop cher pour tenter un collectionneur”, avance Romain Lefebvre.

Marchands dans l’expectative et particuliers en quête de placements constituent donc une clientèle circonspecte, loin de l’euphorie du printemps dernier. Force est d’observer cependant que les belles pièces se vendent, qu’elles soient Art nouveau, Art déco, style années 1940 ou 1950. On notera ainsi la surprise de la vente du cabinet Camard : 670 000 francs pour un bureau années 1930 du Lyonnais André Sornay, estimé entre 180 000 et 200 000 francs. Un record mondial pour un meuble exceptionnel, puisqu’il s’agit, selon Jean-Marcel Camard, du propre bureau de Sornay à l’Exposition internationale de 1937. On observe aussi les 260 000 francs obtenus par un miroir années 1940 en résine de Line Vautrin, estimé entre 80 000 et 100 000 francs, et surtout une adjudication à 285 000 francs pour un pied de lampe en bronze années 1940 de Marc Duplantier, estimé tout au plus 30 000 francs. Malgré la conjoncture incertaine, le marché se renouvelle.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°139 du 21 décembre 2001, avec le titre suivant : Mobilier 1920-1950 : vers un marché français plus sélectif

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