Galerie

Les maux d’esprit d’Erik Dietman

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 13 février 2019 - 815 mots

PARIS

Des pièces peu vues, issues de la collection de Claudine Papillon, sont présentées à la galerie, depuis ses œuvres réalisées à l’aide de sparadrap jusqu’aux sculptures des années 1990, en passant par les « Polaroïdioties ».

Paris. Au début des années 1980, Erik Dietman avait eu un joli projet pour une grande place de la ville de Chambéry (Savoie) : ayant remarqué qu’elle était constamment jonchée d’excréments de chien, il avait eu l’idée de les couler en bronze et d’installer ses sculptures à l’emplacement même où se trouvait la matière première. Sa proposition fut retoquée, pour des questions de sécurité. On lui opposa en effet que ses œuvres risquaient d’être dangereuses, surtout pour les personnes âgées qui ne manqueraient pas de buter dedans et de tomber. Il rétorqua que l’argument était ridicule car en marchant sur une vraie crotte, on glissait et on tombait en arrière, ce qui était bien plus grave.

Erik Dietman (né à Jönköping en Suède en 1937, arrivé à Paris en 1959, décédé en 2002) était ainsi : drôle, provocateur, engagé, excessif, rabelaisien, grand amateur de vin et de bonne chère (il adorait lui-même cuisiner), généreux, raffiné, passionné de poésie, féru de jeux de mots et d’aphorismes, parfois grivois, truculent, angoissé, enclin à la dérision… Et surtout libre et indépendant. Lorsqu’on lui faisait remarquer qu’à la fin des années 1950 il avait tourné autour du mouvement Fluxus, de Robert Filliou ou Daniel Spoerri, rencontrés en 1959, il répondait : « Je n’ai pas tourné autour : j’étais juste à côté. » Il avait toujours refusé de s’affilier à un groupe : « Déjà tout seul c’est difficile, alors pourquoi se mettre avec d’autres personnes… »

Œuvres pensées et pansées

Erik Dietman était également sculpteur, peintre, dessinateur, céramiste, il travaillait aussi bien le verre que le fer, le bronze, le marbre ou le sparadrap. Autant de traits de caractère et de disciplines dont rend parfaitement compte l’exposition de la Galerie Papillon qui se veut un prolongement et un complément des monographies présentées l’été dernier au Musée des beaux-arts de Lyon et d’octobre 2018 à janvier 2019 à La Panacée à Montpellier. L’exposition lyonnaise partait de la donation Robelin complétée principalement par des œuvres issues de collections de la Région Rhône-Alpes. Celle de Montpellier, plus large, incluait des œuvres du Moderna Museet de Stockholm, du Louisiana près de Copenhague, du Centre Pompidou…

« Sans toi la maison est chauve », à la Galerie Papillon, choisit un angle plus rétrospectif et comprend des œuvres peu montrées puisque la plupart viennent de la collection de Claudine Papillon (sa veuve). Absolument pas spectaculaire, parfois intimiste, l’ensemble en dit long et large sur l’œuvre et sur son auteur, ses fulgurances comme ses blessures. À l’exemple de ces œuvres réalisées avec du sparadrap, qui tel celui du capitaine Haddock a collé au doigt et à l’esprit de Dietman pendant plusieurs années (il s’était lui-même qualifié de « roi du sparadrap ») ; il en usait pour délimiter des photos ou recouvrir des objets, comme ici une petite horloge en bois. Ces pièces sont d’autant plus rares qu’elles sont les dernières conservées par Claudine Papillon.

Après ces œuvres, les plus conceptuelles, pensées et pansées, on découvre des collages à base de peinture des années 1970-1980, et, datés de ces mêmes années, des Polaroid qu’il avait baptisés ses « Polaroïdioties ». Les années 1990 voient Dietman s’orienter vers le dessin en grand format (voir La Peur de la forme abstraite, 1994), et la sculpture. Est ici présenté Sam Suffit (1982, [voir ill.]) qui montre un piaf (en bronze) venu s’écraser sur le toit de son nichoir (en bois). Ou encore cette Presse à steak aztèque (2001) qui met face à face (combat ou rencontre amoureuse) un petit pressoir pour viande hachée et une drôle de bestiole. Autant d’œuvres qui résument parfaitement l’état d’esprit de Dietman, son goût immodéré pour l’humour (souvent noir – la mort), la poésie, les télescopages surréalistes. Il aimait sculpter les jeux de mots, jongler avec les images, débusquer l’absurde et le dérisoire, ouvrir des fenêtres et créer des appels d’air frais. « J’attends surtout que ça m’amuse, que ça me mette en pleine forme et que je rigole un peu moi aussi, disait-il. C’est tout et c’est essentiel. Si ensuite ça peut faire rire les autres ou leur apporter quelque chose, alors tant mieux. »

Compris entre 2 800 euros pour un Polaroïdiotie et 38 000 euros pour la plus grande sculpture et le plus grand dessin, les prix ne sont pas hors de proportion. Certes il s’agit là d’œuvres de petit et moyen format – des grands bronzes peuvent atteindre 300 000 euros –, mais, étonnamment, sa cote n’a jamais atteint des sommets. Sans doute parce que Dietman s’en souciait comme d’une guigne, qu’il n’a jamais rien fait pour inverser la courbe, et que son œuvre, très variée et singulière, n’a pas toujours été bien regardée. « Mais cela est en train de changer », précise Claudine Papillon. Il serait temps.

Erik Dietman, sans toi la maison est chauve,
jusqu’au 23 février, Galerie Papillon, 13, rue Chapon, 75003 Paris.

À signaler qu’une exposition d’œuvres sur papier d’Erik Dietman, montée en collaboration avec la Galerie Papillon, sera présentée du 28 février au 12 avril à la Galerie Ceysson & Bénétière de Saint-Étienne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°517 du 15 février 2019, avec le titre suivant : Les maux d’esprit d’Erik Dietman

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