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ART CONTEMPORAIN

La reprise selon Bernard Piffaretti

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 9 avril 2020 - 692 mots

Présentés à la Galerie Frank Elbaz avant la fermeture provisoire de l’exposition, ses « moments de peinture », ainsi que l’artiste les dénomme, découlent d’un protocole mis au point dans les années 1980 et toujours efficient.

Paris. Peut-on peindre deux fois la même chose ? Ou, plus exactement, faire deux fois le même acte de peinture ? C’est la question que pose Bernard Piffaretti (né en 1955) depuis 1986, date à laquelle il a mis en place son fameux protocole selon lequel il sépare ses tableaux en deux dans le sens de la verticale par une bande de couleur et peint, en apparence, la même composition de chaque côté. Il ne s’agit pourtant ni de copie, ni d’un jeu des 7 erreurs, ni même d’un jeu d’optique. Car l’enjeu ici est celui de la « duplication », selon le terme même de l’artiste. « La duplication, qui n’a rien à voir avec la copie, comme forme opérante. Dans chacun de mes tableaux il n’y a pas un original et une copie, mais un “avant” ou un “après”. » On ne sait d’ailleurs jamais si c’est la partie gauche ou la partie droite qui a été peinte la première. Les deux options sont possibles et peu importe l’ordre, puisque pour Piffaretti seul compte l’acte de peindre, le recoupement des temps d’intervention. « J’insiste beaucoup sur le fait que ce sont des situations picturales, des moments de peinture et pas des formes particulières », poursuit-il. Des moments qui le conduisent non pas à refaire, à reproduire l’image initiale mais à repasser par tous les gestes, les intentions et les décisions qui ont amené à la possibilité de la première version.

Le temps, axe central

Cette position, dans le sens tant intellectuel que physique du terme, conduit Piffaretti à mettre en avant la question de l’origine et de la fin du tableau, du moment où on le commence comme de celui où on le finit, de son « avant » et de son « après ». Et donc à faire du temps – la mémoire, le décalage, la suite, la répétition – une réflexion centrale. À ce propos, l’artiste rappelle que « l’histoire de la peinture n’est faite que de reprises ». Ajoutant : « Je considère avant tout mon travail comme une méta-peinture pour remettre en avant tout ce qui constitue l’histoire du tableau, l’origine, la chronologie, l’achèvement, des questions inhérentes à tout tableau de tous les temps. » Un programme qui interdit toute expression personnelle et tout ego. « Lorsque j’ai commencé à travailler au début des années 80, l’époque était dominée par la Figuration libre, la Trans-avant-garde, le nouvel expressionnisme allemand. Je suis parti dans le sens contraire », rappelle Piffaretti. Mais cette position intellectuelle, cette volonté de radicalité et cette attitude de distanciation par rapport au résultat final – qui ne sont pas sans rappeler celles qu’a pu adopter un Bernard Frize – laissent heureusement la porte ouverte, comme chez ce dernier d’ailleurs, à de beaux moments de peinture. Si la finalité visuelle, esthétique, n’est pas première dans la démarche et semble même échapper à son auteur, la dépasser, sa réussite, telle une cerise sur le gâteau, est une gâterie dont il serait dommage de se passer. Comme un plaisir tout droit sorti d’une zone d’« interpicturalité » (pour rester dans le registre de vocabulaire de Piffaretti), de la même manière que la littérature engendrait de l’intertextualité, selon la définition qu’en donnait Philippe Sollers, dans la revue Tel Quel, à la fin des années 1960 : « Tout texte se situe à la jonction de plusieurs textes dont il est à la fois la relecture, l’accentuation, la condensation, le déplacement et la profondeur. » Il suffit de remplacer le mot « texte » par celui de « peinture » et on est devant une toile de Piffaretti.

Dans un registre plus matériel, les prix des œuvres varient de 28 000 à 58 000 euros, ce qui est très raisonnable pour un artiste à la carrière déjà longue, qui vient de rentrer à la Lisson Gallery de New York et qui est également représenté par Kate MacGarry à Londres, Klemm’s à Berlin et Philip Martin à Los Angeles. Il participera en 2021 à une grande exposition sur le thème du double à la National Gallery de Washington.

Bernard Piffaretti, Acteur,
fermée pendant le confinement, puis rouverte jusqu’au 30 mai, Galerie Frank Elbaz, 66, rue de Turenne, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°543 du 10 avril 2020, avec le titre suivant : La reprise selon Bernard Piffaretti

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