Art moderne

La Nouvelle Objectivité, un mouvement qui monte

La cote de Beckmann, Dix et Grosz a atteint des records pour les rares œuvres maîtresses de ces peintres

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 4 avril 2003 - 1139 mots

PARIS

Le marché de la peinture réaliste allemande des années 1920 peine à trouver des œuvres maîtresses. Conséquence, les prix ont monté, d’abord pour les ténors du courant de la Nouvelle Objectivité – Beckmann, Dix et Grosz –, puis pour les suiveurs, dont la renommée dépasse désormais les frontières de l’Allemagne. La différence entre les artistes du mouvement porte davantage sur les sujets abordés. Les œuvres se négocient d’autant mieux qu’elles décrivent les gens et l’état d’esprit de l’époque.

PARIS - La France découvre depuis peu les artistes de la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit en allemand) qui ont illustré en Allemagne les mouvements sociologiques de l’entre-deux-guerres, et plus précisément dans les années 1920. “L’ostracisme à l’égard des Allemands et de toute leur production culturelle a perduré longtemps, souligne Jean-Pierre Camard. D’abord de la part des revanchards de la guerre de 1914 puis en réaction au phénomène du nazisme. Résultat : les collections publiques sont particulièrement pauvres sur cette période.” De même, les enchères françaises en sont extrêmement peu pourvues. Pourtant, les plus talentueux d’entre ces artistes, Beckmann, Dix et Grosz, pratiquaient un réalisme social corrosif et dénonciateur qui leur a valu d’être qualifiés d’“artistes dégénérés” par les nazis. Pour ces trois-là, un véritable engouement se dessine de la part de collectionneurs, et des valeurs importantes sont atteintes sur le marché de l’art moderne. Londres est le lieu de prédilection pour ce mouvement pictural, dont les représentants trouvent leur place dans les ventes d’art moderne ou les vacations spécialisées “German and austrian art”. “La clientèle est européenne, d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse. Nous avons aussi des acheteurs américains, souvent de souche allemande. Certains sont de véritables amateurs du mouvement”, indique Emmanuel Di-Donna du département londonien de l’art impressionniste et moderne de Sotheby’s. “Les beaux tableaux se vendent de 1 à 6 millions d’euros”, précise-t-il. Le portrait de Fritz Glaser peint par Otto Dix en 1921, issu de la collection Deyhle, et mis en vente le 6 octobre 1999 chez Sotheby’s, s’est envolé à 6 millions de dollars, près de cinq fois l’estimation haute et un record pour l’artiste. “Le prix est toujours une surprise lorsque l’œuvre est de qualité”, commente Jörg Bertz, spécialiste de Sotheby’s à Cologne. Mais l’objet convoité se fait rare. Ainsi, le deuxième meilleur prix pour Dix reste une composition de 1921 intitulée Le Salon, qui fut adjugée le 23 juin 1986 chez Christie’s à Londres pour environ 850 000 dollars. Un gouffre financier et temporel sépare donc les deux œuvres vedettes du palmarès de l’artiste. Pour Emmanuel Di-Donna, rien d’étonnant : “Le portrait était vraiment une œuvre exceptionnelle et, entre 1986 et 1999, aucune toile importante n’est passée sur le marché.” Il faut dire que nombre de pièces ont intégré des institutions et, si l’on trouve encore quelques aquarelles signées Dix, les morceaux de choix se négocient aujourd’hui à partir de 20 000 euros et, de plus en plus fréquemment, autour de 180 000 euros. C’est aussi le prix à payer pour une très belle œuvre sur papier de Grosz. Quant à Beckmann, qui jouit d’une cote très forte, ses gravures peuvent monter jusqu’à 150 000 euros, voire 200 000 euros.

Le cas Beckmann
Derrière ces trois locomotives de la Neue Sachlichkeit, plusieurs artistes sont prisés, et leurs rares peintures, recherchées. Si les œuvres mineures sont régulièrement dispersées en Allemagne auprès de différentes maisons de ventes localisées dans tout le pays, les rares tableaux qui comptent sont introduits à Londres sur le devant de la scène internationale. Ainsi, le 2 juillet 1998, à Londres chez Sotheby’s, le Portrait d’une inconnue de 1924 par Christian Schad a été emporté à 553 000 dollars, près de cinq fois l’estimation haute. Un autre portrait de femme de 1925, celui d’Hermine Lisa Benko, avait été adjugé un peu plus de 150 000 dollars le 29 novembre 1989, toujours chez Sotheby’s à Londres. La preuve que, en presque dix ans, la pénurie des œuvres aidant, les prix ont augmenté dans une large proportion. Dans une autre vente de Sotheby’s du 9 octobre 2002, une toile de Georg Scholz s’est distinguée en atteignant 182 000 dollars. “La prestigieuse collection Marvin et Janet Fishman, un ensemble important réunissant un grand nombre d’artistes du groupe, disséminés dans toute l’Allemagne, collection dispersée à Londres le 18 octobre 2000, a donné un formidable coup d’accélérateur à la reconnaissance des peintres moins célèbres que Beckmann, Dix et Grosz, affirme Jörg Bertz. Et dopé le niveau moyen des prix pour ces artistes.” Au cours de cette vacation historique, un tableau de Scholz daté de 1919 est monté à près de 400 000 dollars, du jamais vu pour l’artiste. Un dessin de 1924 par Karl Hubbuch a atteint 117 000 dollars.
Le sujet, les dimensions et la date interviennent dans le processus d’appréciation d’une œuvre. “Pour la date, ce sont les années 1920 qu’il faut considérer, précise Jörg Bertz. De toute façon, dans les années 1930, le mouvement artistique perd de sa force, à une exception près : Beckmann.” Le peintre très indépendant reste régulier en qualité durant toute sa carrière. Le marché a d’ailleurs couronné un autoportrait de 1938 adjugé pour 23 millions de dollars le 10 mai 2001 à New York chez Sotheby’s. Pour tous les artistes considérés, le sujet est primordial. Les scènes très détaillées montrant des personnages aux expressions parfois très dures sont les plus demandées. “Il ne faut pas oublier que nous sommes au lendemain de la Première Guerre mondiale avec ses cicatrices, parfois physiques, souvent psychologiques, dont la peinture de la Neue Sachlichkeit est le reflet, rappelle Emmanuel Di-Donna. L’intérêt est fort pour ce courant même si les peintures expressionnistes allemandes sont plus faciles à vivre.” Les paysages et natures mortes, thèmes de prédilection de quelques peintres comme Alexander Kanoldt, parviennent à atteindre des prix plus que convenables mais dérisoires en comparaison des grands sujets de la critique sociale. La maison de ventes allemande Lempertz a vendu le 4 décembre 2002 à Cologne une nature morte de 1922 signé Kanoldt pour 133 000 euros au marteau, et une nature morte de 1925 de Franz Radziwill a été adjugée près de 229 000 euros le 24 novembre 2002 à Berlin par la Villa Grisebach. Alors, entre une paisible mais ennuyeuse nature morte et la représentation de visages stigmatisés par les épreuves de la guerre et de la misère, les acheteurs devront faire leur choix. La peinture de la Nouvelle Objectivité dans sa version la plus noire n’aura jamais collé autant à l’actualité. Et c’est celle qui va le plus compter historiquement.

Les artistes de la Nouvelle Objectivité

Max Beckmann (1884-1950) Julius Bissier (1893-1965) Rudolf Dischinger (1904-1988) Otto Dix (1891-1969) Carl Grossberg (1894-1940) Georg Grosz (1893-1959) Karl Hubbuch (1891-1980) Alexandre Kanoldt (1881-1939) Carlo Mense (1886-1965) Anton Räderscheidt (1892-1970) Franz Radziwill (1895-1983) Albert Renger-Patzsch (1897-1966) Christian Schad (1894-1982) Rudolf Schlichter (1890-1955) Georg Scholz (1890-1945) Georg Schrimpf (1889-1938)

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°168 du 4 avril 2003, avec le titre suivant : La Nouvelle Objectivité, un mouvement qui monte

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque