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ENTRETIEN

La directrice de la galerie Droste compare les marchés allemands et français

Claire Guinet : « Le marché ne détermine pas tout »

Par Amélie Adamo · Le Journal des Arts

Le 4 janvier 2024 - 997 mots

La jeune galerie allemande s’est installée récemment à Paris où elle tient à conserver sa ligne artistique, quitte à ne pas plaire à tout le monde.

Claire Guinet, directrice de la galerie Droste © Christian Koopmans
Claire Guinet, directrice de la galerie Droste.
© Christian Koopmans

La Galerie Droste est une galerie d’art contemporain fondée à Düsseldorf en 2016 par Katharina Galladé et Patrick Droste. Un second espace a été ouvert sur Paris en mars 2022, où était présentée jusqu’au 6 décembre la peinture de l’artiste allemande Tatjana Doll. L’antenne parisienne est dirigée par Claire Guinet, qui explique la ligne de la galerie et commente le goût des collectionneurs de part et d’autre du Rhin.

Comment s’articule la relation entre la maison mère à Düsseldorf et l’antenne parisienne, ouverte en mars 2022 ?

Une relation de confiance solide est établie avec les fondateurs allemands. Avec Laure Saffroy-Lepesqueur, nous pouvons gérer la galerie parisienne de manière très libre et indépendante. Nous défendons les mêmes artistes. Une majorité de germanophones mais aussi des Américains et des Européens. Nous souhaitons garder cette identité internationale, tournée vers la peinture figurative dans une tendance très « coloriste ». Mais nous désirons aussi nous inscrire dans le paysage parisien en développant de nouvelles collaborations avec des artistes français. Si nous sommes déjà présentes sur les foires aux États-Unis et en Asie, nous aimerions à l’avenir participer aux grandes foires européennes. En 2024 nous participerons à Art Brussels.

Entre Düsseldorf et Paris, qui sont vos collectionneurs ?

Il s’agit d’un même groupe de collectionneurs fidèles, un noyau de collectionneurs allemands mais aussi américains et asiatiques. Qu’ils soient primo-collectionneurs ou habitués, tous soutiennent la création émergente même si certains ont les moyens d’acheter aussi des valeurs confirmées. En mars 2022, à l’ouverture de la galerie parisienne, plus de la moitié du public appartenait à ce groupe fidèle. Notre travail est de faire perdurer la relation de confiance que nous avons construite avec eux afin qu’ils suivent aussi chez nous le travail des artistes exposés en Allemagne. Par exemple, pour l’exposition de l’artiste danois Laust Højgaard en mars 2023, l’ambassade du Danemark était présente et nous avons tout vendu. Par ailleurs nous avons placé beaucoup de nos artistes dans des institutions étrangères, musées et fondations. Mais nous désirons aussi faire découvrir à ceux qui nous soutiennent de nouveaux artistes, que nous représentons aujourd’hui à Paris et que nous montrerons en Allemagne. Notre objectif, c’est de construire sur le temps une relation avec de nouveaux collectionneurs français.

Vous avez exposé recemment la peinture du Tatjana Doll, une artiste allemande. Comment sa peinture est-elle reçue à Paris ?

Tatjana Doll est une artiste établie en Allemagne. Reconnue, sa peinture se vend bien, à des collectionneurs privés comme à des institutions. Du fait de son parcours, ses peintures étaient affichées entre 24 800 et 68 000 euros pour les plus grands formats. Ce qui est une cote assez élevée en comparaison avec d’autres peintres français de sa génération, qui ont été moins soutenus par l’institution nationale dans la construction de leur carrière. Concernant l’exposition, il y eut des surprises. Un public large et jeune, peu habitué des galeries, est venu en nombre, intéressé par la peinture de Tatjana pour ses références populaires et musicales. Mais nous avons aussi remarqué une réaction de rejet. Bien que cela n’ait pas toujours été le cas pour certains regards plus à même d’apprécier le geste et la couleur chez cette artiste, une moitié du public n’a pas compris sa peinture, ni dans sa matérialité ni dans ses sujets. C’est moche, ça déplaît, ça dérange : voilà que ce que l’on a pu entendre de la part d’un public français, habitué à l’art contemporain et moderne mais aux yeux duquel le côté rude, disgracieux ou violent de la peinture allemande peut déplaire.

Comment expliquez-vous cette différence de goût entre la France et l’Allemagne, cet écart de perception entre le « beau » et le « laid » ?

Il y a une raison historique. En Allemagne, après 1945, il y a une réelle volonté des peintres de s’éloigner d’un certain naturalisme qui était montré pendant la guerre, imposé par le nationalisme. Il y a eu chez les Allemands une volonté de raser ce classicisme conventionnel, assez lisse, qui était obligatoire pendant la guerre et qui a écrasé tout ce qui était en train de se développer en termes de révolution moderne comme Der Blaue Reiter ou Die Brücke. Alors même que c’est une nation poétique, romantique, l’Allemagne a ainsi eu affaire à une sorte de « lavage de cette poésie » ; ce que la France n’a pas connu. Et il est vrai que chez certains peintres français que nous défendons, la notion de beau et de grâce est très présente, que ce soit dans les drapés d’Ève Malherbe ou dans les paysages lumineux de Karine Hoffman. Chez les peintres allemands que l’on expose, il y a cette nécessité de ne pas avoir affaire à cette beauté directe, cette poésie. Il y a dans leur œuvre une sorte d’ADN allemand : une faculté à l’humour, à la dérision, à la critique. Une façon de montrer les choses quitte à ce que cela soit plus rude ou plus violent. Et cela s’observe aussi dans les grandes écoles qui guident les codes de l’art en Allemagne comme à Düsseldorf ou à Berlin.

Adaptez-vous votre programmation à ce « goût » français ?

Ce qui nous importe, c’est de montrer ce que l’on aime quitte à passer pour un ovni dans le paysage français. Tatjana a été libre de montrer ce qu’elle désirait. Le marché ne détermine pas tout. L’identité de la galerie ne se réduit pas à un label, à une étiquette, à un standard. De même que notre identité ne se réduit pas à une question de nationalité : nous défendons une peinture internationale qui parle à tous. Bien sûr il y a des spécificités dans chaque démarche, identifiables selon les origines de l’artiste. Mais ce qui importe, c’est la force de l’œuvre. De sa couleur, de son geste. Que l’artiste n’obéisse pas à quelque chose pour plaire, pour vendre. Qu’il ou elle soit guidé(e) par une sincérité et une pensée profonde.

Galerie Droste,
72, rue des Archives, 75003 Paris, et Birkenstrasse 14, Düsseldorf, Allemagne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°623 du 15 décembre 2023, avec le titre suivant : Claire Guinet, directrice de la Galerie Droste : « Le marché ne détermine pas tout »

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