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La « directive services » et la réforme de la loi de 2000

Le Journal des Arts

Le 3 novembre 2006 - 1409 mots

La prochaine adoption par l’Europe de la directive Bolkestein va obliger le legislateur français à modifier la loi du 10 juillet 2000 qui régit les ventes publiques volontaires de meubles.

Grâce à la directive sur les services (1), parfois encore appelée « directive Bolkestein », la « réforme de la réforme » que le Syndicat national des maisons de ventes volontaires (Symev) appelle de ses vœux (2), s’annonce inévitable. Cette fois, le législateur français sera contraint d’aller jusqu’au bout de la mise en œuvre de la liberté d’établissement des prestataires et de la libre circulation des services que le traité CE proclame depuis maintenant près de cinquante ans. Par la loi du 10 juillet 2000, le gouvernement français avait répondu à la pression des autorités européennes d’une manière qui ne pouvait satisfaire totalement le droit communautaire. La Commission européenne, gardienne du traité, aurait pu le lui reprocher, mais, sans doute, s’était-elle contentée du texte dans l’attente d’une opportunité pour en susciter la révision. L’heure de cette révision est proche.
La directive va obliger le législateur français à modifier les dispositions actuelles de la loi du 10 juillet 2000 (3) qui sont contraires à la libre circulation des services intracommunautaires et donc à rendre effective cette liberté au profit des professionnels venant des autres États membres de l’Union européenne. Le résultat de ces modifications sera une plus grande liberté pour ces professionnels européens, c’est-à-dire moins de contraintes administratives, moins de démarches, en bref, une plus grande facilité à venir exercer leur activité en France. C’est l’objet même de la directive.
Bien évidemment, le résultat pour les maisons de ventes volontaires françaises sera une concurrence accrue, avec le risque de subir des distorsions de concurrence si les contraintes législatives et réglementaires qui pèsent encore aujourd’hui sur elles ne sont pas modifiées à leur tour. Les autorités françaises pourront-elles laisser ainsi subsister de telles distorsions de concurrence au préjudice des professionnels français ? On ne peut le croire. Un rééquilibrage s’imposera.
Tel est l’enjeu pour le législateur français : se conformer au droit communautaire sans pénaliser les acteurs nationaux. Il lui faut trouver la voie pour modifier la loi de 2000 au profit de tous dans le respect d’un « level playing field ». Dès lors, une réflexion doit s’engager sur une double question : comment contenter la directive et comment satisfaire l’égale concurrence entre tous les acteurs ?

Les modifications de la loi de 2000 pour satisfaire la directive
L’objet de la directive est de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires et la libre circulation des services. Tous les secteurs d’activité sont concernés sauf ceux qui en sont expressément exclus. L’activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques n’étant pas prévue dans les exclusions de la directive, elle entre donc dans son champ d’application. On indique au passage que l’activité de ventes judiciaires en est exclue en vertu de l’exclusion générale des « activités participant de l’autorité publique conformément à l’article 45 du traité ». On ne suivra pas les Cassandres qui émettraient des doutes sur cette exclusion : même s’il est vrai qu’il n’y a pas en droit communautaire de définition de l’exercice de l’autorité publique, on peut soutenir qu’en France les ventes judiciaires participent de cette autorité. Le raisonnement vaut pour d’autres professions tels les avoués à la cour pour lesquels la chancellerie a clairement pris position en ce sens (4).
Pour satisfaire les dispositions de la directive, deux cas doivent être envisagés :
1er cas – Le prestataire établi dans un autre État membre veut exercer en France et, par une présence permanente, l’activité de ventes volontaires. La liberté d’établissement le lui permet. Comment ? Depuis la loi de 2000, il doit constituer en France une société commerciale régie par le code de commerce, ce qui interdit à une société d’un autre État membre d’implanter une simple succursale en France. Elle doit y créer une filiale. Cette exigence, déjà contestable au regard du traité, ne pourra pas subsister avec la directive services. En effet, selon l’article 14.3, il est interdit de « limiter la liberté du prestataire de choisir entre l’établissement sous forme d’agence, de succursale ou de filiale ». Cette disposition est suffisamment claire : l’obligation de créer une société, et donc une filiale en France, devra être supprimée de notre législation. Les professionnels pourront venir exercer en France en implantant des structures plus légères, comme des succursales, voire de simples agences.
2e cas – Le prestataire établi dans un autre État membre veut exercer en France, mais à titre occasionnel, l’activité de ventes volontaires. La libre prestation de services le lui permet. Comment ? Depuis la loi de 2000, il doit faire une « déclaration » au Conseil des ventes : en réalité, il s’agit d’obtenir une véritable autorisation dudit Conseil en produisant de nombreuses pièces et documents énumérés par décret. Cette exigence, déjà contestable au regard du traité et de la jurisprudence de la cour de justice des communautés européennes, semble elle aussi devoir être revue. En effet, selon l’article 16.2 de la directive services, « les États membres ne peuvent restreindre la libre prestation de services en imposant […] b) l’obligation pour le prestataire d’obtenir une autorisation de leurs autorités compétentes […]. » L’activité occasionnelle ne pourra donc plus être subordonnée à l’obtention d’une autorisation du Conseil des ventes dans les conditions actuellement fixées par notre législation. En revanche, il convient d’indiquer que la directive services ne modifie pas l’application des autres directives et en particulier la directive relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (5). En conséquence, seul un contrôle de la qualification professionnelle pourra être maintenu à l’exclusion de toute autre exigence : une toilette de l’article 50 du décret de juillet 2001 sera donc nécessaire.

Les modifications de la loi de 2000 pour assurer le respect d’une égale concurrence
Il est difficile de définir ce qu’est une contrainte inacceptable pour les maisons de ventes françaises : elles seules peuvent le dire, mais elles doivent le dire. Il leur faut, article par article, maintenir leur vigilance pour convaincre le législateur de la nécessité de les mettre dans une situation qui ne nuise pas au marché de l’art national. C’est un combat qui commence, il doit être mené avec l’espoir que les autorités françaises auront pour objectif de ne pas pénaliser le marché français au sein de l’Union européenne. On ne peut oublier que la meilleure des stratégies économiques est le dispositif juridique qui la sous-tend. Dans cette perspective, il conviendra d’évaluer les différentes contraintes pesant ou non sur les professionnels venant d’autres États membres par rapport à leurs collègues français. Par exemple, le professionnel belge doit-il avoir un agrément pour exercer son activité de ventes volontaires ? Est-il soumis à une autorité administrative de régulation ayant des pouvoirs comparables à ceux du Conseil des ventes ? Le professionnel de tel ou tel autre État membre doit-il constituer une double structure pour exercer l’activité de ventes volontaires et l’activité de ventes judiciaires ? Est-il, comme son homologue français, assujetti à des frais de gestion et de fonctionnement accrus du seul fait de cette double structure ? Les professionnels doivent-ils partout payer des cotisations comparables à celles versées au Conseil des ventes ? Ou encore, sont-ils tous obligés d’avoir un commissaire aux comptes ?
En bref, les contraintes que subissent les maisons de ventes françaises depuis la loi de 2000 sont-elles comparables à celles de leurs concurrents européens ? Si tel n’est pas le cas, il faudra sans doute examiner comment alléger leur fardeau pour rétablir une égale concurrence entre tous ceux qui exercent la même activité dans l’Union européenne. Et c’est alors que, devenues plus performantes parce qu’allégées de coûts que d’autres ne subissent pas, les maisons de ventes françaises seront prêtes pour conquérir de nouveaux marchés en Europe. Demain, les professionnels européens pourront venir plus facilement exercer leur activité en France, mais simultanément, les professionnels français devront prendre conscience que leur marché s’étend à toute l’Union européenne. Tel est bien le sens de la libre circulation des services.

(1) En voie d’adoption définitive par le Parlement européen et le Conseil.
(2) Notamment Lettre du Symev no 21, septembre 2006.
(3) Codifiée dans le code de commerce
(4) Marc Guillaume, Les Avoués hors champ d’application de la directive services, Les Annonces de la Seine, 26 juin 2006, p. 11.
(5) Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, JOUE no L. 255 du 30 septembre 2005, p. 22.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°246 du 3 novembre 2006, avec le titre suivant : La « directive services » et la réforme de la loi de 2000

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