Art primitif

La découverte du Cameroun

Trois ventes importantes, de l’Afrique aux Marquises

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1995 - 724 mots

En juin, les collectionneurs d’art primitif connaîtront quelques belles journées, grâce aux trois études parisiennes – Me de Ricqlès, Mes De Quay et Lombrail et Mes Guy et Philippe Loudmer –, qui mettront en vente des objets de grande qualité, provenant de collections importantes.

PARIS -  Austère, stylisé, et encore plus éloigné des canons du goût européen que d’autres formes d’art africain, plus polies et accessibles, l’art du Cameroun n’est pour ainsi dire connu en France qu’à travers la cinquantaine de pièces d’une qualité exceptionnelle qui ont été données au Musée d’art africain et océanien, voici quelques années, par le docteur Pierre Harter. Ce qui reste de la collection de ce médecin dermatologue, qui a exercé au Cameroun pendant les années cinquante, sera dispersé par Me François de Ricqlès à Drouot, le 21 juin.

Presque jamais vues en vente, les pièces camerounaises sont très rares : le régime qui a assumé l’indépendance du Cameroun au début des années soixante a contribué à la destruction massive d’objets d’art primitif, en réduisant les chefferies qui formaient la structure ethnique du pays et en encourageant la pratique de l’Islam, religion fondamentalement hostile à l’idolâtrie.

Composée de près de trois cents lots, estimés entre 500 et 150 000 francs (l’estimation globale est de 3 à 4 millions de francs), la vente Harter comprend soixante pour cent d’objets du Cameroun, de 1860 à 1920, les autres pièces provenant de la Côte d’Ivoire, du Mali, du Nigeria et du Congo.

Les us et coutumes tribaux y sont représentés dans toute leur force, comme en témoigne par exemple une tête réduite, ou une gourde à trophées décorée de mâchoires inférieures, noircies et partiellement édentées, d’ennemis abattus. Ou encore cet autel, informe, fait de boue séchée, mélangée au fil des ans au sang de nombreuses décapitations et circoncisions ...

L’étiquette du docteur Harter
Certaines pièces importantes portent encore l’étiquette du docteur Harter, qui notait scrupuleusement – informations rarissimes en matière d’art primitif – les noms du sculpteur, du propriétaire, et parfois la cérémonie à laquelle certains masques étaient destinés : ainsi, estimé entre 60 000 et 80 000 francs, un masque de danse Ku N’gan, magnifiquement sculpté et décoré de cheveux de femmes et de plumes de queue de perroquets, fut porté par un certain “Tientcheu, père de Wochoko”, de la région de Bamiléké, au nord du Cameroun. Parmi les autres lots, un masque We de la Côte d’Ivoire, aux traits exagérément stylisés, et superbement agrémenté de plumes et de fourrure, estimé entre 40 000 et 50 000 francs, ainsi qu’un masque dominé par un énorme bec courbe, estimé entre 30 000 et 40 000 francs.

Un art de cour
Trente-cinq pièces d’art primitif appartenant au marchand d’art Jean-Claude Bellier – tout ce qui reste d’une collection de cent cinquante objets détruits par un incendie en 1993 – passeront en vente chez Me Francis Lombrail, assisté de l’expert Philippe Giumiot à l’Hôtel George V, le 21 juin. Collectionnées sur une période de quarante ans, et estimées entre 5 et 6,8 millions de francs, ces pièces représentent une large variété de styles dans l’art africain. Une statue Tschokwe fin XVIIIe-début XIXe siècle, qui témoigne du réalisme idéalisé d’un art de cour et provient de la collection du peintre parisien Pailes, est estimée entre 1,2 et 1,5 million de francs.

Un reliquaire Obamba-Nzabi, également de la collection Pailes, provenant de l’Est gabonais et estimé entre 700 000 et 900 000 francs, est d’une beauté bi-dimensionnelle très abstraite. Une cinquantaine de lots, tous issus de collections belges, françaises et italiennes, dont un grand masque d’épaule Wurkum et une statue de maternité Urhobo, figureront également dans la vente.

Cent trente objets d’art africain et océanien, presque tous du XIXe siècle et dans le “goût classique d’avant-guerre” selon l’expert Pierre Amrouche, qui proviennent d’une seule collection privée française, constituée entre 1920-1950 auprès des grands marchands de l’époque, seront dispersés les 23 et 24 juin par Mes Guy et Philippe Loudmer.

La vente comprendra presque exclusivement des pièces sans prix de réserve, confiées par des collectionneurs. Rarissime, une râpe à coco en pierre taillée des îles Marquises, dont seuls deux autres exemplaires sont connus, est estimée entre 60 000 et 100 000 francs. Un masque Baoulé de la Côte d’Ivoire est estimé entre 200 000 et 300 000 francs, tout comme un fétiche à miroirs Longo, du Congo.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°15 du 1 juin 1995, avec le titre suivant : La découverte du Cameroun

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